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Pourquoi la France intervient en Centrafrique

Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a annoncé mardi l'envoi d'un millier de soldats français dans ce pays enclavé d'Afrique centrale.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un soldat français monte la garde à l'aéroport de Bangui (Centrafrique), le 28 mars 2013. (SIA KAMBOU / AFP)

Après le Mali, la Centrafrique. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a annoncé mardi 26 novembre l'envoi d'un millier de soldats français supplémentaires dans cette république enclavée au cœur du continent. Ces troupes devraient, à partir de la mi-décembre, épauler le contingent français de 410 hommes présent sur place. Prévue pour une durée de six mois, cette mission, assure Le Drian, "n'a rien à voir avec le Mali". L'objectif est cette fois de rétablir l'ordre dans le pays après le coup d'Etat de mars 2013.

Francetv info répond aux questions que vous vous posez sur ce nouvel engagement français.

Quelle est la situation en Centrafrique ?

Un pays "au bord du génocide" pour Laurent Fabius, en voie de "somalisation" pour François Hollande, qui présente "une tendance à l'affrontement confessionnel" pour Jean-Yves Le Drian… Ces dernières semaines, les autorités françaises ont multiplié les déclarations alarmistes pour justifier une intervention visant à rétablir l'ordre. Pour Roland Marchal, spécialiste de la République centrafricaine au Ceri-Sciences Po, contacté par francetv info, la situation n'est "pas du tout homogène" et "beaucoup plus compliquée" que cela.

Si le pays n'a jamais vraiment connu la stabilité depuis son indépendance en 1960, les choses ont brutalement dégénéré avec l'arrivée au pouvoir des rebelles de la Séléka. Les nouveaux maîtres du pays, qui s'installent à la tête d'un "Etat qui prenait déjà l'eau de toute part" selon Roland Marchal, peinent à contrôler leurs troupes et à prendre leurs responsabilités. "Il n'y a pas d'ordre (...), il n'y a plus d'autorité, physique et morale, qui rappelle aux gens que la Centrafrique est un Etat, avec des lois", analyse le chercheur.

Des anciens rebelles de la Séléka, le 8 octobre 2013 à Bangassou (Centrafrique). (ISSOUF SANOGO / AFP)

Des pillages et autres exactions sont perpétrés par certains éléments de la Séléka. L'insécurité s'installe, sur fond de divisions religieuses. Les 8 et 9 septembre, de violents affrontements entre les ex-rebelles de la Séléka, musulmans, et des groupes d'autodéfense chrétiens, les anti-balaka, font une centaine de morts autour de Bossangoa, dans le nord-ouest du pays, et 20 000 déplacés dans les deux communautés.

"Ce qui se passe est inimaginable. Il y a de graves violations des droits humains. Certaines s'apparentent à des crimes de guerre et crimes contre l'humanité", constate Christian Mukosa, chercheur à Amnesty International, contacté par francetv info. Dans un rapport, l'ONG dénonce pêle-mêle des exécutions sommaires, des viols et le recrutement d'enfants soldats. "Les autorités centrafricaines n'ont pas la capacité de protéger la population", déplore-t-il.

Pourquoi la France a-t-elle décidé d'intervenir ?

Ancienne puissance coloniale, la France est toujours liée à la Centrafrique par des accords de coopération et de défense. Ce statut explique la présence de soldats français dans le pays. Il lui confère surtout une responsabilité particulière. "La France est témoin d'une situation dramatique, elle risque donc d'être tenue pour responsable", observe Roland Marchal. Pour les autorités françaises, "il n'y a pas d'autre intérêt que d'éviter d'être traitées comme Mitterrand en 1994 avec le Rwanda, même si la situation n'est pas comparable", estime-t-il. L'ancien président avait en effet été très critiqué pour sa gestion du génocide rwandais.

Enfin, Paris a décidé d'accélérer les choses parce que la situation peut encore être contrôlée. "On est au début de la crise, c’est pour ça qu’il faut intervenir, elle est plus facile à contenir maintenant", juge Roland Marchal. Le chercheur craint "une polarisation religieuse" du conflit, qui pourrait bénéficier à des groupes radicaux. "Aujourd'hui, il n'y a pas d’islamistes radicaux en nombre significatif, observe-t-il. Il y en aura peut-être demain ou après-demain si on hésite encore à intervenir."

La France sera-t-elle seule ?

Comme le rappelle Jeune Afrique, quelque 3 000 soldats étrangers sont déjà sur place. Il y a les 410 militaires français, qui contrôlent l'aéroport de Bangui, la capitale, et les troupes tchadiennes, congolaises, camerounaises, guinéennes et gabonaises de la Force d'Afrique centrale en Centrafrique (Fomac). Mise en place en 2008 par la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC), cette force est montée progressivement en puissance pour compter 2 600 hommes en 2013.

Le 19 décembre, elle sera incorporée à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca), une nouvelle force placée sous l'égide de l'Union africaine qui doit réunir 3 600 hommes. C'est cette force africaine que la France doit appuyer, militairement et diplomatiquement. Un projet de résolution, rédigé par Paris et déposé à l'ONU, devrait être voté la semaine prochaine.

Des soldats de la Fomac, le 7 octobre 2013 à Bangui (Centrafrique). (ISSOUF SANOGO / AFP)

La résolution, dont l'AFP a obtenu copie, est placée sous le chapitre 7 de la Charte de l'ONU. Elle autorise donc le recours à la force pour la Misca et les troupes françaises. Dans un deuxième temps, selon les options à l'étude, détaillées par RFI, la Misca pourrait être transformée en une force des Nations unies dotée de 6 000 à 9 000 casques bleus.

L'objectif peut-il être atteint ?

Si Paris se contente de sécuriser la capitale et ses alentours, "ça ne devrait pas être très compliqué et ne devrait pas prendre énormément de temps", explique à l'AFP le général Jean-Paul Thonier, spécialiste des opérations en Afrique.

Laurent Fabius détaille l'intervention française en Centrafrique (FRANCE 3)

En revanche, "rétablir la sécurité" dans le pays et "permettre une transition politique", comme l'a expliqué Laurent Fabius devant l'Assemblée nationale, l'obligerait à rester plus longtemps que prévu. Car, comme le souligne Roland Marchal, "s'atteler aux vrais problèmes politiques qui minent la Centrafrique depuis très longtemps ne se fait pas en six mois".

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