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Cannes 2015:Jia Zhang-ke, un artiste chinois qui ne «souffre» plus de la censure
La 68e édition du Festival de Cannes accueille de nouveau le réalisateur chinois Jia Zhang-ke qui a été distingué par ses confrères français. Géopolis l'a rencontré. L'occasion d'évoquer les évolutions de l'industrie cinématographique chinoise et la double censure qui pèse aujourd'hui sur les réalisateurs.
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Jia Zhang-Ke a reçu jeudi 14 mai 2015 le Carrosse d’or, décerné par la Société des réalisateurs de films dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, section parallèle du Festival de Cannes. Le prix salue, entre autres, «son aspiration à la liberté» dans un pays où les artistes en sont privés. Jia Zhang-ke est également en lice pour la Palme d’or avec «Mountains May Depart».
Que représente pour vous ce Carrosse d’or décerné par vos pairs français dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs?
Quand on travaille dans son pays, on ressent une grande solitude parfois. Sentir que, dans le monde, vos pairs sont là pour vous réconforter et vous encourager, qu’il y a un regard attentif sur votre travail, c’est extrêmement important. Aujourd’hui, j’ai 45 ans. J’ai derrière moi une dizaine d’années de travail, ce qui représente un processus très lent finalement dans la vie de quelqu’un. Aussi, ce prix sonne-t-il comme un bilan, un encouragement à continuer, à faire notre travail de réalisateur avec toujours cette même indépendance d’esprit. Ce travail d’observer et de chercher à comprendre le monde, sur la longueur, est à la fois très passionnant et très éprouvant. Face à ces difficultés, le Carrosse d’or vient nous conforter dans les choix que l’on a fait. Cette distinction permet que ce regard que les auteurs portent sur le monde ne disparaisse pas et que l’esprit d’indépendance persiste dans le cinéma.
Vous parlez d’esprit d’indépendance mais, en Chine, vous travaillez sous la contrainte : celle de la censure. A l'instar de la plupart de vos films, votre précédente oeuvre A Touch of Sin (Prix du scénario à Cannes en 2013) ne peut toujours pas être vu dans votre pays. Comment réussissez-vous à garder votre liberté de ton dans ces conditions ?
Le cinéma indépendant a commencé au début des années 90. A l’époque, nous étions confrontés à la censure et au contrôle du ministère de la Culture. Il se trouve aussi que nous étions dans un environnement plus vaste, celui de l’ouverture économique. Les sociétés d’Etat, qui finançaient exclusivement le cinéma, se sont retrouvées en face d’entreprises privées qui souhaitaient investir dans ce domaine. De nouvelles opportunités sont nées. Après 2002, on peut dire que le cinéma chinois est entré dans une vraie logique de production. On a senti que le gouvernement se rendait compte que le septième art pouvait être autre chose qu’un instrument de propagande. Cet assouplissement s’est produit au moment où j’ai tourné The World (2004) (La seule œuvre de Jia Zhang-Ke qui a fait l'objet d'une distribution officielle dans l'Empire du milieu, NDLR). Le film a pu être distribué en salles. Cependant, en parallèle, nous avons été confrontés à un autre problème. L’accélération extrême de la commercialisation du cinéma a introduit une nouvelle donne pour les réalisateurs: la loi du marché.
Satisfaire les besoins d’un marché qui se développait est devenu une contrainte pour les réalisateurs...
La problématique liée au marché présente un double aspect. Le premier concerne l’importance de ce marché. Certains n’y ont pas résisté: quand on produit des films qui le satisfont, ils rapportent beaucoup. Par ailleurs, ce même marché a constitué une nouvelle forme de censure dans la mesure où les distributeurs avaient un droit de regard sur ce qu’ils voulaient projeter dans leurs salles. Le divertissement est roi et nous n'avons pas encore cette culture du cinéma d’auteur. Ce qui est distribué, c’est un mélange de productions hollywoodiennes, hong-kongaises et de films de kung fu… En Chine, le cinéma n'est appréhendé ni dans sa complexité ni dans sa diversité.
Cette pression de la censure, si vous la ressentez comme telle, inhibe-t-elle dans votre créativité ?
La période de souffrance est déjà derrière moi. Maintenant, j’ai une certaine expérience. Par contre, cela demande beaucoup de patience. Elle permet de rester vigilant et de ne pas perdre son indépendance d’esprit. Il faut arriver à se préserver.
«A Touch of Sin» a été produit par le Shanghai Film Group, une entreprise publique. Une façon pour vous de faire le lien avec les autorités chinoises. Contrairement à d’autres, vous avez choisi le dialogue. «Dialoguer n’est pas renoncer», avez-vous confié à Télérama en 2013. On peut être à la fois contre le système et travailler avec, selon vous. Comment gérez-vous cela?
Nombreux sont les réalisateurs chinois qui désirent que les choses évoluent au niveau de la politique culturelle afin que la censure soit abolie. Cela implique forcément de se poser la question quant au type de dialogue à établir. J’ai beaucoup collaboré avec Shanghai Film Group. Il y a, au sein de cette structure, des producteurs qui apprécient particulièrement mon travail. C’est au niveau personnel qu’un premier contact a pu s’établir. A partir de là, c’est un moyen pour moi, petit à petit, de pouvoir faire comprendre aux officiels, à quoi nous sommes confrontés en tant que créateurs. C’est une compréhension mutuelle qui fera évoluer les choses. Je suis également membre de l’Association des réalisateurs chinois et par ce biais nous faisons aussi connaître nos points de vue. Il faut trouver ensemble un moyen de faire évoluer le système.
D’un côté, il y a une forte délégation chinoise au marché du film où le premier China Summit se tiendra afin de faire connaître les opportunités du marché chinois. De l’autre, il y a vous, qui êtes en compétition au Festival de Cannes et dont les films sont censurés. La Chine veut développer son industrie mais les artistes ne sont pas libres de s’exprimer. C'est assez paradoxal...
La Chine est pleine de paradoxes de ce genre (sourire). Il y a du progrès, dans le sens où les officiels chinois voyagent et observent, au lieu d’être renfermés sur eux-mêmes. Ces dix dernières années, avec le développement économique, beaucoup de gens se sont enrichis très rapidement. Ces derniers souhaitent découvrir d’autres façons de vivre. Le marché chinois du cinéma est le deuxième au monde. Cependant, pour un pays, on ne peut pas se contenter d'appréhender le monde d'un point de vue économique. C’est bien qu'il y ait ce dialogue pour comprendre, par exemple, la vie à la française.
Que représente pour vous ce Carrosse d’or décerné par vos pairs français dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs?
Quand on travaille dans son pays, on ressent une grande solitude parfois. Sentir que, dans le monde, vos pairs sont là pour vous réconforter et vous encourager, qu’il y a un regard attentif sur votre travail, c’est extrêmement important. Aujourd’hui, j’ai 45 ans. J’ai derrière moi une dizaine d’années de travail, ce qui représente un processus très lent finalement dans la vie de quelqu’un. Aussi, ce prix sonne-t-il comme un bilan, un encouragement à continuer, à faire notre travail de réalisateur avec toujours cette même indépendance d’esprit. Ce travail d’observer et de chercher à comprendre le monde, sur la longueur, est à la fois très passionnant et très éprouvant. Face à ces difficultés, le Carrosse d’or vient nous conforter dans les choix que l’on a fait. Cette distinction permet que ce regard que les auteurs portent sur le monde ne disparaisse pas et que l’esprit d’indépendance persiste dans le cinéma.
Vous parlez d’esprit d’indépendance mais, en Chine, vous travaillez sous la contrainte : celle de la censure. A l'instar de la plupart de vos films, votre précédente oeuvre A Touch of Sin (Prix du scénario à Cannes en 2013) ne peut toujours pas être vu dans votre pays. Comment réussissez-vous à garder votre liberté de ton dans ces conditions ?
Le cinéma indépendant a commencé au début des années 90. A l’époque, nous étions confrontés à la censure et au contrôle du ministère de la Culture. Il se trouve aussi que nous étions dans un environnement plus vaste, celui de l’ouverture économique. Les sociétés d’Etat, qui finançaient exclusivement le cinéma, se sont retrouvées en face d’entreprises privées qui souhaitaient investir dans ce domaine. De nouvelles opportunités sont nées. Après 2002, on peut dire que le cinéma chinois est entré dans une vraie logique de production. On a senti que le gouvernement se rendait compte que le septième art pouvait être autre chose qu’un instrument de propagande. Cet assouplissement s’est produit au moment où j’ai tourné The World (2004) (La seule œuvre de Jia Zhang-Ke qui a fait l'objet d'une distribution officielle dans l'Empire du milieu, NDLR). Le film a pu être distribué en salles. Cependant, en parallèle, nous avons été confrontés à un autre problème. L’accélération extrême de la commercialisation du cinéma a introduit une nouvelle donne pour les réalisateurs: la loi du marché.
Satisfaire les besoins d’un marché qui se développait est devenu une contrainte pour les réalisateurs...
La problématique liée au marché présente un double aspect. Le premier concerne l’importance de ce marché. Certains n’y ont pas résisté: quand on produit des films qui le satisfont, ils rapportent beaucoup. Par ailleurs, ce même marché a constitué une nouvelle forme de censure dans la mesure où les distributeurs avaient un droit de regard sur ce qu’ils voulaient projeter dans leurs salles. Le divertissement est roi et nous n'avons pas encore cette culture du cinéma d’auteur. Ce qui est distribué, c’est un mélange de productions hollywoodiennes, hong-kongaises et de films de kung fu… En Chine, le cinéma n'est appréhendé ni dans sa complexité ni dans sa diversité.
Cette pression de la censure, si vous la ressentez comme telle, inhibe-t-elle dans votre créativité ?
La période de souffrance est déjà derrière moi. Maintenant, j’ai une certaine expérience. Par contre, cela demande beaucoup de patience. Elle permet de rester vigilant et de ne pas perdre son indépendance d’esprit. Il faut arriver à se préserver.
«A Touch of Sin» a été produit par le Shanghai Film Group, une entreprise publique. Une façon pour vous de faire le lien avec les autorités chinoises. Contrairement à d’autres, vous avez choisi le dialogue. «Dialoguer n’est pas renoncer», avez-vous confié à Télérama en 2013. On peut être à la fois contre le système et travailler avec, selon vous. Comment gérez-vous cela?
Nombreux sont les réalisateurs chinois qui désirent que les choses évoluent au niveau de la politique culturelle afin que la censure soit abolie. Cela implique forcément de se poser la question quant au type de dialogue à établir. J’ai beaucoup collaboré avec Shanghai Film Group. Il y a, au sein de cette structure, des producteurs qui apprécient particulièrement mon travail. C’est au niveau personnel qu’un premier contact a pu s’établir. A partir de là, c’est un moyen pour moi, petit à petit, de pouvoir faire comprendre aux officiels, à quoi nous sommes confrontés en tant que créateurs. C’est une compréhension mutuelle qui fera évoluer les choses. Je suis également membre de l’Association des réalisateurs chinois et par ce biais nous faisons aussi connaître nos points de vue. Il faut trouver ensemble un moyen de faire évoluer le système.
D’un côté, il y a une forte délégation chinoise au marché du film où le premier China Summit se tiendra afin de faire connaître les opportunités du marché chinois. De l’autre, il y a vous, qui êtes en compétition au Festival de Cannes et dont les films sont censurés. La Chine veut développer son industrie mais les artistes ne sont pas libres de s’exprimer. C'est assez paradoxal...
La Chine est pleine de paradoxes de ce genre (sourire). Il y a du progrès, dans le sens où les officiels chinois voyagent et observent, au lieu d’être renfermés sur eux-mêmes. Ces dix dernières années, avec le développement économique, beaucoup de gens se sont enrichis très rapidement. Ces derniers souhaitent découvrir d’autres façons de vivre. Le marché chinois du cinéma est le deuxième au monde. Cependant, pour un pays, on ne peut pas se contenter d'appréhender le monde d'un point de vue économique. C’est bien qu'il y ait ce dialogue pour comprendre, par exemple, la vie à la française.
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