Chine : après le Petit livre rouge de Mao, le grand livre blanc de Xi Jinping
A partir de 1964, il s’en serait écoulé environ un milliard d’exemplaires, presque autant que la Bible : le Petit livre rouge, recueil de citations de l’ancien «grand timonier», Mao Zedong (plus connu en français sous la transcription Mao Tsé Toung, 1893-1976), fut «le» livre des foules chinoises qui le brandissaient lors des meetings politiques, notamment pendant la Révolution culturelle. Une période dont Xi Jiping, dans son propre ouvrage, sorti officiellement en français le 13 janvier 2015, dénonce «les leçons cinglantes».
«C’est la première fois depuis Mao qu’un dirigeant politique chinois communique sur son programme», explique-t-on à l’agence de communication PPR France, choisie par l’éditeur pour lancer l’ouvrage dans l’Hexagone. Ce qui montre l’importance qu’on attache à Pékin à ce lancement. La gouvernance de la Chine est publié en France par les éditions du Centenaire, propriété de China International Book Trading Corporation, «grand groupe chinois spécialisé dans l’importation de périodiques et de livres», selon le dossier de presse de PPR. Bref, on a affaire là à un circuit on ne peut plus officiel.
Le livre entend «faire connaître le projet politique chinois incarné par Xi Jinping, en donnant accès à la source brut», explique un représentant des éditions du Centenaire. Il s’agit donc d’une (classique ?) opération de communication. «Je ne suis pas sûr que ce soit le bon terme», répond l’éditeur français. «D’autres dirigeants internationaux ont eu la même démarche. Dans le cas présent, on répond à une attente et à des questions de la communauté internationale sur la politique chinoise.»
«Rêve chinois»
Autant être franc : La gouvernance de la Chine est un livre très austère, pas toujours bien traduit, difficile à lire… On y retrouve souvent les tournures de phrases et les expressions typiques de la propagande des pays socialistes. Certaines expressions restent carrément obscures. Exemple : «La construction in extenso de la société de moyenne aisance» (page 141)…
L’ouvrage insiste sur le «rêve chinois» et «le grand renouveau de la nation». Une nation de 1,3 milliard d’individus «appartenant à 56 ethnies», laquelle s’appuie sur «une civilisation cinq fois millénaire qui n’a connu aucune interruption» (page 43).
Le pilier de la politique chinoise est «la mise en place d’un système d’économie de marché socialiste proposant de faire jouer au marché un rôle fondamental dans la répartition des ressources sous le macro-contrôle de l’Etat» (page 87). La définition de l’écologie, donnée par le livre, est quasi poétique : «Nous devons nous rendre compte que les montagnes, les cours d’eau, les forêts, les champs et les lacs composent une communauté de vie» (pages 101-102).
On constate que l’ouvrage consacre un chapitre entier à «L’Etat de droit» (page 159). Qu’il explique qu’il faut «persévérer dans la libération de la pensée et la recherche de la vérité dans les faits» (page 103). Une «libération» qualifiée de «primordiale». De leur côté, les lois doivent être «appliquées de façon stricte, régularisée, juste et courtoise» et il faut «veiller à ce que le pouvoir judiciaire et le pouvoir de contrôle soient exercées en vertu de la loi et de manière indépendante et équitable» (page 168), précise le livre. Tout en avouant que concernant internet, «la sécurité des réseaux et des informations, qui touche à la sécurité nationale et à la stabilité sociale, constitue un défi complexe que nous devons confronter» (sic, page 99). Eléments qualifiés un peu plus loin de «problème épineux». Ce qu’a d’ailleurs montré l’actualité récente…
Quel succès le livre rencontre-t-il à l’étranger ? «Il s'est écoulé à plus de trois millions d'exemplaires depuis sa publication», «dont 2,95 millions en chinois et 225.000 en langues étrangères», annonce-t-on de source officielle chinoise. «En Allemagne et en Grande-Bretagne, les ventes sont bonnes», affirme-t-on aux éditions du Centenaire, en disant ne pas pouvoir donner de chiffres. «La gouvernance de la Chine séduit les lecteurs britanniques», assure le site china.org.cn, sans non plus fournir de données plus précises.
Xi Jinping, un «personnage intelligent»
Et qu’en pensent les spécialistes français de la Chine ? Avec cet ouvrage, Xi Jinping «fait sa propagande : il veut que ce qu’il fait se sache», répond Jean-Luc Domenach, directeur de recherche à Sciences Po, peu convaincu. Il n’en parle pas moins du président chinois comme d’un «personnage intelligent et malin, qui sait manœuvrer». Même s’il le juge moins à la hauteur que Mao et Deng Xiaoping.
Depuis ce dernier, aucun dirigeant chinois «n’a reçu en hommage l’équivalent de ce que reçoit» Xi Jinping, relève Jean-Luc Domenach qui estime que le président chinois se comporte, comme Mao, «de façon monarchique».
L’actuel homme fort de Pékin «est un personnage rare chez les fils de grands hommes», ajoute-t-il. Pour autant, il n’est pas que le fils de son père, Xi Zhongxun, comme c’est le cas d’autres hiérarques. Ce père était «un type extraordinaire», explique le sinologue. Il ainsi «participé à la Longue marche de l’armée communiste de Mao dans les années 30, mythe fondateur de l’épopée maoïste», relève Rue 89. Ce fut «l’un des seuls dirigeants qui ait tenté de limiter la mortalité (37 millions de morts) pendant la Grande famine (1959 à 1962, NDLR) et de sauver des gens», poursuit le spécialiste.
Après le père, l’épouse. Mariée à Xi Jinping, Peng Liyuan est «une star, chanteuse vedette de l’Armée populaire de libération (APL), dont on a dit pendant longtemps qu’elle était bien plus connue» que son époux, raconte Rue89. Et Jean-Luc Domenach de conclure : la famille du dirigeant chinois «tend à se comparer à la famille Mao. Ce n’en est pas moins une belle dynastie».
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