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Age, milieu social, méthodes... Qui sont les manifestants qui défient le régime chinois à Hong Kong ?

Une enquête universitaire, publiée lundi, dresse le profil des manifestants défilant dans les rues de Hong Kong depuis le début du mois de juin. Près de la moitié d'entre eux sont âgés de moins de 30 ans. 

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des manifestants bloquent le hall des départs à l'aéroport international de Hong Kong (Chine), le 13 août 2019.  (SHIOMI KADOYA / YOMIURI / AFP)

La fin de deux jours de blocage. L'aéroport de Hong Kong a repris son activité normale, mercredi 14 août, après 48 heures et l'annulation de plusieurs centaines de vols liée au blocage de terminaux d'embarquement par des manifestants opposés à la mainmise de Pékin sur Hong Kong. Sur place, de violents affrontements ont éclaté entre les contestataires et les forces de l'ordre, marquant un tournant dans la mobilisation qui touche le territoire semi-autonome depuis début juin. 

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Qui sont les Hongkongais qui s'opposent au projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine et qui militent contre le recul de leurs droits et libertés ? Une enquête publiée lundi, et menée par plusieurs chercheurs de quatre universités de Hong Kong, s'est penchée sur la question. Elle révèle, entre autres, que 49% des manifestants sont âgés de moins de 30 ans. 

"Tous les âges et toutes les classes sociales" au début

Cette enquête, qui se base sur les témoignages de 6 688 personnes, démontre ainsi que les 20-29 ans sont la tranche d'âge la plus représentée parmi les manifestants. Les 30-39 ans représentent néanmoins près de 20% des contestataires, et 16% d'entre eux ont plus de 40 ans. Par ailleurs, 50% affirment appartenir à la classe moyenne hongkongaise et 41% disent faire partie "de la base". Ce sont principalement des personnes diplômées : 77% d'entre eux ont effectué des études supérieures. 

Au début des manifestations, en juin, la mobilisation a rassemblé toutes les générations et toutes les catégories socioprofessionnelles. "Vous avez eu jusqu'à 2 millions de personnes dans les rues lors des premières manifestations", rappelle à franceinfo Philippe Le Corre, chercheur à la Harvard Kennedy School et spécialiste de la Chine et de Hong Kong. 

Deux millions de manifestants sur 7,5 millions d'habitants, cela montre que la mobilisation a touché tous les âges et toutes les classes sociales.

Philippe Le Corre

à franceinfo

Si les jeunes représentent une part importante des manifestants, leurs aînés ont également suivi le mouvement à ses débuts. Comme le relève l'AFP, des personnes âgées ont elles aussi défilé en faveur de la démocratie, tout comme des familles. Le 14 juin, plusieurs centaines de mères de famille se sont ainsi rassemblées dans un parc. Elles ont dénoncé le projet de loi autorisant les extraditions en Chine et les violences policières, relate le Los Angeles Times (en anglais). 

Cette mobilisation a rassemblé, au fil des semaines, bon nombre de corps de métiers, des avocats aux fonctionnaires en passant par les professions médicales, les enseignants et les universitaires, précise Philippe Le Corre. Le 6 août, un large mouvement de grève a ainsi été suivi par des professeurs, des ingénieurs et des agents de sécurité, ou encore des salariés du transport aérien, relève CNN (en anglais). Cette grève a été la plus importante à Hong Kong depuis des décennies. Plusieurs syndicats hongkongais, mais aussi des églises et des associations ont largement appelé leurs membres à descendre dans les rues, note le Los Angeles Times

Des manifestants jeunes et "prêts à en découdre"

Le récent blocage de terminaux à l'aéroport de Hong Kong, et l'entrée de force de manifestants dans le Parlement, le 1er juillet, a montré certaines formes de radicalisation de la mobilisation qui se définit comme prodémocratique. Interrogé par franceinfo, Philippe Le Corre confirme cette évolution. "Il s'agit de jeunes prêts à en découdre, qui ont clairement expliqué que le pacifisme, cela ne fonctionne plus. C'est une nouveauté, développe le chercheur. Des moyens plus radicaux sont pour eux la seule façon de médiatiser, d'internationaliser leur mouvement." Et de se faire entendre face au régime chinois. 

Il y a pour eux un côté 'point de non-retour'. Ils sont face à un régime chinois très fort et ils pensent qu'il ne va pas changer. Ils se disent que c'est maintenant ou jamais. Ils n'ont pas peur de mourir dans leurs actions.

Philippe Le Corre

à franceinfo

D'après ce spécialiste de la Chine et de Hong Kong, ces jeunes manifestants sont principalement diplômés et issus de la classe moyenne. "Ils ont un haut niveau d'étude et ils s'inquiètent pour leur avenir. Ces jeunes sont nés autour du moment de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, en 1997. Leurs parents ont connu la liberté d'expression, de la presse, ils pouvaient critiquer le gouvernement et avaient un système judiciaire indépendant", lorsque le territoire était une colonie britannique, analyse Philippe Le Corre. "Aujourd'hui, la Chine grignote les différents aspects d'autonomie de Hong Kong. Ces jeunes se sentent spoliés."

Comme le décrit l'auteur Kong Tsung-gan auprès d'Al Jazeera (article en anglais), ces manifestants "ne comptent pas rester assis dans les rues pendant 79 jours", comme lors du "mouvement des parapluies", la précédente mobilisation d'ampleur à Hong Kong, en 2014. "Ils sont davantage en colère aujourd'hui. Ils en ont assez." "Les manifestations de 2014 étaient beaucoup plus pacifiques", confirme Philippe Le Corre. 

Une organisation sans leader

La mobilisation actuelle diffère aussi de celle de 2014 par les techniques qu'elle emploie. Pour préparer leurs actions et mobiliser davantage, les manifestants ont recours à des applications telles que la messagerie chiffrée Telegram, note Al Jazeera. Un groupe sur ce réseau social a rassemblé quelque 20 000 personnes à Hong Kong – et son administrateur a été arrêté par la police, précise le site de la chaîne qatarie. Selon cette même source, Telegram compte plusieurs dizaines de groupes comme celui-ci.

Une autre source de communication privilégiée est le forum en ligne LIHKG, équivalent hongkongais de Reddit, poursuit le Los Angeles Times. Les manifestants y proposent des idées d'actions, telles qu'un pique-nique ou la perturbation d'une station de métro. Et pour mieux éviter les contrôles de la police, les jeunes contestataires multiplient les petits groupes de discussion et les pages sur d'autres réseaux sociaux, comme Instagram. Ils utilisent aussi Airdrop, le service de partage d'informations par bluetooth développé par Apple. 

Autre élément qui diffère avec le "mouvement des parapluies" : cette fois-ci, le mouvement prodémocratie se démarque par son manque de figures emblématiques menant la mobilisation. "En 2014, vous aviez des leaders identifiés tels que Joshua Wong. Là, vous n'avez pas de dirigeant qui émerge", constate Philippe Le Corre. Cela n'empêche pas les contestataires d'être particulièrement bien organisés. En plein rassemblement, par exemple, ils savent qu'ils doivent chanter et se tapoter la tête si l'un d'entre eux a besoin d'un casque, détaille le Los Angeles Times. "Ils sont parfaitement organisés, mais personne n'est aux commandes", résume le quotidien américain.

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