Quand Chine et Taïwan se disputent la mémoire du nationaliste Sun Yat-sen
Né le 12 novembre 1866 dans une famille de paysans pauvres de la province du Guangdong (sud), Sun Yat-sen a été éduqué à Hawaï puis à Hong Kong. Dans ce qui est alors une colonie britannique, il fait des études de médecine et forge ses idéaux politiques au contact du monde occidental. Il est notamment influencé par les idées d’Abraham Lincoln. Dans le même temps, il se convertit au protestantisme.
Membres de diverses sociétés secrètes, il s’oppose au système impérial et à la dynastie des Quing. En 1895, il tente avec d’autres jeunes révolutionnaires un premier soulèvement qui échoue. Il doit fuir en exil aux Etats-Unis, puis en Grande-Bretagne, avant de rejoindre le Japon. Il y fonde un parti politique, le Tongmenhui, qui deviendra en 1912 le Guomindang (ou Kuomintang), ou Parti nationaliste. Dirigée ultérieurement par Tchang Kaï-chek, cette formation, actuellement dans l’opposition, a longtemps gouverné Taïwan.
Sun Yatsen développe une philosophie politique fondée sur les «trois principes du peuple» : l’«indépendance», la «souveraineté» et le «bien-être». Il entend instaurer un gouvernement central composé de cinq branches : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire, le pouvoir d’examen et celui de censure. En octobre 1911, alors qu’il se trouve aux Etats-Unis, éclate un soulèvement qui va entraîner la chute du deux fois millénaire et très vermoulu empire chinois. Rentré dans son pays, il est élu président provisoire. Installé à Nankin, il proclame la république le 1er janvier 2012. Mais dès février, il doit laisser la place au général Yuan Shikai. Par la suite, ce dernier le nommera directeur général des chemins de fer.
Les troubles reprennent. L’ancien président doit bientôt reprendre le chemin de l’exil alors que la Chine s’enfonce dans l’anarchie. Des petites entités, dirigées par des «seigneurs de guerre», se constituent dans les provinces. En 1920, Sun Yat-sen, installé à Shanghaï, intéressé par la révolution en Russie, entre en contact avec le tout jeune Parti communiste. Le Guomindang va alors recevoir reçoit l’aide de l’URSS. Mais le dirigeant républicain échoue dans sa tentative de «mener à bien l’unité nationale» qu’il souhaite réaliser. Il meurt en 1925.
Commémorations
Aujourd’hui, tant en Chine qu’à Taïwan, on continue à perpétuer sa mémoire. Dans l’île, mais aussi à Hong Kong, le 150e anniversaire de sa naissance a donné lieu à l'émission de timbres commémoratifs. Mais cet anniversaire a surtout été célébré en grande pompe par le Parti communiste (PCC), au pouvoir à Pékin.
Taïwan, où le Guomindang et Tchang Kaï-chek s'étaient réfugiés en 1949 après leur défaite contre les communistes, se réclame ouvertement du docteur Sun et conserve l'appellation de «République de Chine». Le leader révolutionnaire y est révéré comme le «père de la nation» et du système républicain.
Mais la République populaire, fondée en 1949 par Mao Tsé-toung, revendique également sa mémoire. Ainsi, lorsque la chef du Kuomintang à Taïwan a visité Pékin début novembre, elle a été reçue avec tous les honneurs par le président Xi Jinping, qui lui a rappelé leur «héritage commun». «M. Sun était un grand patriote, son plus important mot d'ordre fut son appel à revigorer la Chine», a déclaré Xi Jinping.
Sun, partisan de la réunification Chine-Taïwan?
De son côté, la presse de Pékin rend, elle aussi, un vibrant hommage au dirigeant républicain. Elle en fait notamment un partisan du rapprochement avec Taiwan. «Le Dr Sun a dévoué sa vie à la cause de la réunification qui se trouvait être l’aspiration de tous les Chinois, peuple alors victime des affrontements incessants entre les seigneurs de guerre et l’invasion étrangère menée par l’Occident», écrit ainsi le China Daily. De son côté, le président «Xi a parlé avec force de la position inébranlable du Dr Sun sur l’unité nationale, promettant que ‘‘nous laisserons jamais aucun individu, organisation ou parti politique séparer une quelconque fraction du territoire chinois du reste de la nation’’».
Une autre page du China Daily évoque la «vision industrielle» de l’ancien médecin. Selon cet article, ce dernier a développé un plan complet pour l’industrialisation de son pays. Ses propositions ont été «réalisées de nos jours et même dépassées». En clair par le régime au pouvoir à Pékin. Parmi elles, «la création d’un réseau ferroviaire national d’une longueur de totale de 160.000 km», entre autre autres au Tibet et au Xinjiang, deux régions excentrées et très sensibles… Une allusion transparente à la fonction de chef des chemins de fer que Sun Yat-sen a, un temps, occupée.
Cette vision est très disputée en-dehors de la Chine continentale, où l'on voit difficilement comment Sun Yat-sen, républicain, chrétien et défenseur des valeurs démocratiques, pourrait aujourd'hui soutenir le régime du PCC. A Pékin, on en fait un pionnier de la libération «communiste» et du régime maoïste, s’énerve l’universitaire taïwanais Ren Songlin, cité par l’AFP. Celui-ci accuse les Chinois d’en faire une «marionnette» déconnectée de la réalité.
Mais comme quoi, en matière historique, rien n’est simple, il faut savoir que Sun, qui avait travaillé avec Tchang Kai-Chek, ennemi juré des communistes, avait aussi comme conseiller Mikhaïl Borodine (voir photo ci-dessus), homme du dictateur soviétique Staline en Chine... Par ailleurs, la seconde épouse du médecin nationaliste (de 26 ans sa cadette), Song Qingling (que l'on voit en photo ci-dessus), fille d’un membre du Guomintang, est par la suite devenue… vice-présidente de la République populaire de Chine.
«Sun était un leader étudiant et un activiste» voulant renverser l'ordre imposé, explique, de son côté, Gabriel Leung, doyen de l'université de médecine de Hong Kong, le comparant aux manifestants pro-démocratiques hongkongais hostiles à Pékin. Décidément, Sun Yat-sen ne se laisse pas enfermer dans une représentation unique. Et histoire et mémoire ont parfois du mal à cohabiter.
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