Karabakh : "Ce qu'il se passe est l'imminence d'un nettoyage ethnique, mais on voit bien que le monde regarde ailleurs", estime un spécialiste
"Ce qu'il se passe est l'imminence d'un nettoyage ethnique, mais on voit bien que le monde regarde ailleurs", a expliqué mardi 19 septembre sur franceinfo Tigrane Yégavian, professeur de relations internationales à l’université Schiller, alors que l'Azerbaïdjan lance des "opérations antiterroristes" au Haut-Karabakh, enclave disputée depuis de longues années avec l’Arménie.
franceinfo : Quelle est l'origine de ce conflit ?
Tigrane Yégavian : Il faut remonter à un siècle, même si la province du Haut-Karabakh est une province historique de l'ancien royaume d'Arménie. Elle a toujours été une sorte de socle défensif. En 1921, lorsque l'Azerbaïdjan et l'Arménie rejoignent l'Union soviétique, le Karabakh est cédée à l'Azerbaïdjan soviétique. Mais sa population, à 94% arménienne, ne l'a jamais reconnu. Il a fallu attendre 1988 pour qu'elle réclame à nouveau son rattachement à l'Arménie soviétique. S'en est suivie une guerre, gagnée par les Arméniens du Karabakh, sans que leur statut ne soit complètement déterminé. Le problème de ce conflit est qu'il oppose deux principes antagonistes du droit international. D'une part l'intégrité territoriale, le Karabakh étant toujours reconnu comme un territoire azerbaïdjanais. D'autre part, le droit à l'autodétermination puisque c'est une province avec une autorité arménienne qui n'est pas reconnue internationalement.
Quelle est la situation dans ces territoires ?
En 2020, il y a eu un retournement du rapport de forces. Au bout d'une guerre de 44 jours, les Azerbaïdjanais ont réussi à récupérer 75% des territoires que les Arméniens contrôlaient. Mais ils n'ont pas obtenu totalement gain de cause. Leur objectif, qui était l'anéantissement du Karabakh arménien, n'a pas pu se faire, puisque les Russes sont arrivés in extrémis pour imposer une force de maintien de la paix. Depuis, les Azerbaïdjanais ont deux objectifs. Ils veulent en finir une fois pour toute avec la présence arménienne au Karabakh. Ils font un blocus pour étouffer et affamer la population. Ils profitent du fait que le monde regarde ailleurs, avec le contexte en Ukraine, et la Russie davantage dépendante de l'Azerbaïdjan pour exporter ses hydrocarbures. L'autre objectif est un corridor extraterritorial qui passerait par le sud de l'Arménie, et qui relierait l'Azerbaïdjan à un territoire qui lui appartient. Il s'appelle le Nakhitchevan et est adossé à l'Arménie et à la Turquie. Pour les Arméniens, ce serait le début de la fin, parce qu'ils seraient entourés d'ennemis mortels, et coupés de la frontière avec l'Iran.
La Russie et la Turquie sont-ils les deux acteurs les plus puissants dans ce conflit ?
Effectivement. Turcs et Russes se sont mis d'accord en 2020 pour écarter les Occidentaux, alors que les Américains et les Français avaient une voix au chapitre, puisqu'ils coprésidaient un groupe de médiation, le groupe de Minsk. Depuis 2020, il n'y a plus vraiment de présence occidentale dans le règlement de ce conflit. Russes et Turcs se partagent la région comme un condominium, un peu comme en Syrie. C'est extrêmement dangereux pour les Arméniens, puisque les Russes sont en froid avec le gouvernement arménien, qui essaie d'opérer un pivot vers les Etats-Unis. Les Arméniens sont frustrés que les Russes ne les protègent pas, ne défendent pas le territoire souverain de l'Arménie. Ils sont aussi frustrés que les Occidentaux ne puissent pas développer une force d'interposition, de casques bleus. Là, ce qui se passe est l'imminence d'un nettoyage ethnique et la responsabilité de protéger est un principe qui pourrait les aider à survivre, mais on voit bien que le monde regarde ailleurs.
La menace est-elle sérieuse pour l'Arménie puisqu'elle dépasse le cas du Karabakh ?
Oui. L'Azerbaïdjan ne va pas s'arrêter au nettoyage ethnique des armées du Karabakh. En bombardant massivement les populations civiles, le signal est très clair. Ils appellent les gens à partir. Mais ils ne vont pas s'arrêter là, parce qu'ils ont des revendications sur le sud de l'Arménie, qui est une bande vulnérable. Un vrai dilemme stratégique se pose.
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