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La diplomatie de la pom-pom girl peut-elle rapprocher les deux Corées ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les pom-pom girls nord-coréennes encouragent l'équipe de basket nationale face aux Philippines, lors des Jeux asiatiques de Pusan (Corée du Sud), le 30 septembre 2002. (KIM HUYONG-MOON / REUTERS)

Oubliez les palabres de conseillers aux cheveux grisonnants autour du téléphone rouge. Une bande de jeunes femmes en uniforme a fait plus pour le réchauffement des relations Pyongyang-Séoul.

On les appelle "l'armée des beautés". L'atout diplomatique majeur de la Corée du Nord pour réchauffer ses relations avec son voisin porte l'uniforme, mais pas de galons. Alors que débutent les Jeux asiatiques à Incheon (Corée du Sud), vendredi 19 septembre, on parle plus de l'absence de l'équipe nord-coréenne de pom-pom girls que des athlètes présents. La politique de la cheerleader peut-elle néanmoins rapprocher les deux pays, comme la diplomatie du ping-pong a permis de rabibocher Chine et Etats-Unis ? Éléments de réponse. 

L'atout charme du régime

L'affaire était pourtant bien engagée. La Corée du Nord avait l'intention d'envoyer à Incheon 350 pom-pom girls, en plus des 300 athlètes inscrits dans les compétitions. Pyongyang parlait de "créer les conditions d'une atmosphère de réconciliation nationale". Mais les discussions entre les deux pays ont achoppé sur des questions triviales. Côté sud-coréen, on en a marre de payer l'ardoise laissée par la délégation nord-coréenne, comme lors des précédentes manifestations organisées dans le pays au début des années 2000. De l'autre côté du 38e parallèle, on s'insurge contre la taille des drapeaux nord-coréens autorisés aux pom-pom girls, réduits à la portion congrue. Agiter le drapeau nord-coréen est un délit, en temps ordinaire, en Corée du Sud.

La presse internationale se passionne pour ce conflit. Ce qui se joue représente bien plus qu'un simple numéro de majorettes. Tout a commencé en 2002. A l'occasion des Jeux asiatiques à Busan (Corée du Sud), la Corée du Nord se distingue en envoyant une troupe de pom-pom girls, qui font un tabac. Rebelote en 2003, à l'occasion des Jeux universitaires, et en 2005, aux championnats d'Asie d'athlétisme. "C'est la première fois que je vois des Nord-Coréens", s'exclame une fillette de 10 ans, toute excitée, citée dans le New York Times (en anglais). Le leader de l'époque, Kim Jong-il, a bien calculé son coup. "L'envoi de jeunes femmes, très jolies, a pour but d'améliorer l'image à l'étranger de la Corée du Nord, misérable et totalitaire, explique Kim Jung Bond, professeur de sciences politiques à l'université de Hanzhong, sur le site de Bloomberg (en anglais). "Le Nord pense que si les pom-pom girls parviennent à changer son image dans l'esprit des Sud-Coréens, ces derniers vont faire pression sur leur président pour qu'il fasse des concessions."

Des jeunes filles triées sur le volet

Ces jeunes femmes sont encore plus surveillées que les autres athlètes. En 2002, elles se rendent en Corée du Sud en bateau, quand le reste de la délégation prend l'avion. A leur arrivée dans le port de Busan, les habitants les observent à la jumelle. Ils ne les verront pas de plus près : les jeunes femmes dorment dans le navire, ce qui permet d'éviter de fraterniser avec l'ennemi. Les autorités locales leur offrent des vivres - du riz, du kimchi, le plat national coréen, du poisson et des fruits - pour améliorer leur ordinaire, raconte le chercheur britannique Aiden Foster-Carter, sur NKNews (en anglais).

N'allez pas croire que le régime envoie des filles de paysans opprimés chez l'ennemi historique - les deux pays sont encore officiellement en guerre, malgré l'armistice conclu en 1953. Le recrutement se fait uniquement auprès de femmes habitant la capitale, de préférence à l'université de danse et de musique de Pyongyang, mesurant minimum 1,60 m (ce qui n'est pas courant en Corée du Nord, d'après la BBC - en anglais), sous réserve de réussir des tests physiques et d'avoir un entourage sans tache. "Les parents avec de l'argent, du pouvoir, et les bonnes relations, savent graisser la patte aux bonnes personnes pour que leurs enfants soient sélectionnées", nuance le reporter Kim Min-Soo sur le site Daily NK (en anglais), généralement bien renseigné. 

Les "cheerleaders" nord-coréennes lors d'un match de foot féminin entre la Corée du Nord et l'Allemagne, pendant les Jeux mondiaux étudiants, le 22 août 2003, à Gimcheon, en Corée du Sud. ( AFP )

"Tu n'en as pas marre d'être la concubine de Kim Jong-il ?"

Etre une pom-pom girl peut constituer un facteur fulgurant d'ascension sociale. Prenez Ri Sol-ju. Un père pilote de l'armée de l'air. Deux séjours en Corée du Sud en tant que pom-pom girl (elle est à droite sur cette photo). D'après la rumeur, relayée par le journal Korea Joongang Daily (en anglais), elle a même porté des casquettes Nike et planté des arbres avec des majorettes sud-coréennes. Aujourd'hui, elle est la compagne de Kim Jong-un, le dictateur au pouvoir dans le Nord, et on la surnomme "la cendrillon de Pyongyang". Vous avez dit "conte de fées" ? 

L'entraînement des pom-pom girls dure plusieurs mois, et se double d'une instruction politique poussée, pour savoir comment se comporter dans un pays hostile, capitaliste qui plus est. Lors de la deuxième visite de l'équipe en Corée du Sud, en 2003, des militants conservateurs envoient des avions en papier par les fenêtres ouvertes de leurs chambres d'hôtel de Daegu, raconte le New York Times (en anglais). Leur message : "Tu n'en as pas marre d'être la concubine de Kim Jong-il ? Jette-toi dans les bras de la liberté."

L'amour du "grand leader" plus fort que le déluge

Quelques jours plus tard, lors d'une journée pluvieuse, les six bus transportant les pom-pom girls passent devant un groupe de supporters. Croyant bien faire, ces derniers ont accroché une banderole où on voit Kim Jong-il serrant la main du président sud-coréen, Kim Dae-jung. Aussitôt, les bus pilent. "Elles m'ont forcé à appuyer sur la pédale de freins", raconte le chauffeur au journal coréen Chosun Ilbo (en anglais), prompt à monter en épingle tous les travers du régime de Pyongyang. Les jeunes femmes déboulent du bus, font 300 mètres sous le déluge et grimpent aux arbres pour décrocher la banderole. Motif : l'image du "grand leader" ne doit pas être ainsi souillée par la pluie. La banderole, soigneusement repliée, est mise à l'abri dans le bus par des jeunes filles en larmes, sous le regard incrédule des passants, raconte CNN (en anglais). Une heure plus tard, elles sont à l'entraînement comme si de rien n'était.

Ces jeunes femmes exposées aux tentations du capitalisme sauvage résistent-elles toujours ? Selon AP reprise par le Taipei Times (en anglais), un transfuge a affirmé, en 2006, avoir été emprisonné en compagnie de 21 pom-pom girls dans un camp de rééducation. Invérifiable. Mais plausible : les jeunes femmes ont interdiction de parler de ce qu'elles ont vu au Sud à leurs compatriotes. Depuis 2005, on n'a plus revu de pom-pom girl du Nord en Corée du Sud, ce que certains experts interprètent comme la manifestation d'un refroidissement diplomatique entre Séoul et Pyongyang. Le président sud-coréen, dont l'autorité est critiquée, a peut-être fait exprès de faire échouer les négociations autour de la question financière... alors qu'habituellement, on pioche dans un fonds prévu pour le rapprochement des deux pays. L'échec des négociations pour les Jeux d'Incheon a peut-être eu un rôle dans le faible engouement constaté à la billetterie. Quelques jours avant le début de la compétition, seuls 10% des places ont trouvé preneur.

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