Pourquoi la Corée du Nord lance-t-elle autant de missiles depuis le début de l'année ?
Pyongyang a procédé à sept tirs en un mois, dont son plus puissant missile depuis 2017, selon les médias d'Etat nord-coréens. L'objectif : montrer ses muscles aux voisins et aux Américains, dans un contexte délicat pour le pays de Kim Jong-un.
Un nouvel essai qui vient ponctuer un mois de tests en série. La Corée du Nord a affirmé, lundi 31 janvier, avoir lancé dimanche son plus puissant missile depuis 2017, selon des médias d'Etat. "Un tir d'évaluation du missile balistique sol-sol à portée intermédiaire et longue Hwasong-12 a été effectué dimanche", et "a confirmé la précision, la sûreté et l'efficacité" du projectile en cours de production, a annoncé l'agence d'Etat nord-coréenne KCNA. Dimanche, l'état-major interarmées sud-coréen avait déclaré avoir repéré "un missile balistique à portée intermédiaire tiré à un angle élevé".
Depuis le début de l'année, Pyongyang a réalisé sept essais de missiles, assurant avoir notamment lancé des missiles hypersoniques les 5 et 11 janvier. Un niveau de tests sans précédent pour la Corée du Nord, lié à des facteurs de politique à la fois intérieure et extérieure.
Comme en 2017
Les rapports entre Pyongyang et Washington ont récemment joué sur ces essais de missiles. La Corée du Nord, qui n'avait pas testé de missiles balistiques intercontinentaux ou d'armes nucléaires depuis 2017, suit, selon Séoul, "une voie similaire" à celle de cette période, lorsque les tensions étaient exacerbées dans la péninsule coréenne du fait des essais nucléaires et balistiques nord-coréens. Pyongyang avait affirmé le 4 juillet 2017 avoir testé avec succès le Hwasong-15, un missile balistique intercontinental, en réponse aux "connards d'Américains", le jour de la fête nationale aux Etats-Unis.
La dernière série importante de tirs avait eu lieu en 2019, dans la lignée de l'échec des discussions entre Kim Jong-un et l'ancien président américain, Donald Trump. Après un premier sommet inédit en juin 2018 à Singapour, les deux leaders s'étaient retrouvés en février 2019 à Hanoï (Vietnam), pour continuer leurs échanges sur la dénucléarisation de la Corée du Nord. En vain.
Le 20 janvier, les autorités nord-coréennes ont évoqué de nouveaux possibles essais nucléaires et de missiles, évoquant la politique "hostile" des Etats-Unis à leur égard. Début décembre, Washington avait notamment émis des sanctions à l'encontre de Pyongyang pour des violations des droits de l'homme. Celles-ci visaient, entre autres, le ministre de la Défense nord-coréen, Ri Yong-gil, ainsi que le Bureau central des procureurs publics, accusé de contribuer à un "processus judiciaire impliquant des procès fondamentalement injustes". Ces sanctions étaient les premières initiées contre Pyongyang par les Etats-Unis, depuis l'arrivée au pouvoir de Joe Biden.
"Se rappeler au bon souvenir de Washington"
La Corée du Nord a ensuite "testé deux séries de missiles supplémentaires" en janvier, "en réponse à l'annonce par les Etats-Unis de nouvelles sanctions contre le lancement de missiles hypersoniques", rappelle l'Institut coréen pour l'unification nationale (lien en anglais), un centre de recherche sud-coréen. "Quand un nouveau président arrive à la Maison Blanche, la Corée du Nord se rappelle au bon souvenir de Washington", décrypte auprès de franceinfo le journaliste Anthony Dufour, spécialiste de l'Asie de l'est et réalisateur d'un documentaire sur Kim Jong-un.
Les Nord-Coréens souhaitent dire qu'ils ont les moyens d'entrer en guerre, d'être un trublion géopolitique, donc qu'il faut penser à eux.
Anthony Dufour, réalisateur d'un documentaire sur Kim Jong-unà franceinfo
Pour le journaliste, "l'ère Trump, avec toute sa bizarrerie, avait ouvert une brèche et secoué de manière unique les relations en Asie. Aujourd'hui, il n'y a plus de dialogue, ou des signaux faibles" entre Pyongyang et Washington. En septembre, Kim Jong-un avait ainsi rejeté les propositions de dialogue des Etats-Unis, les qualifiant de "façade pour masquer leur fourberie et leurs actes hostiles, et une poursuite de la politique hostile des précédentes administrations".
Les derniers essais de missiles feront-ils réagir les Etats-Unis ? Après le tir nord-coréen, dimanche, la Maison Blanche s'est déclarée ouverte à de nouvelles discussions, relève France 24. "Nous sommes persuadés qu'il est totalement opportun et totalement correct de commencer à avoir de sérieuses discussions", a déclaré à la presse un haut responsable de l'administration de Joe Biden.
Un contexte économique et politique tendu
Ces essais sont également, pour le régime nord-coréen, une réponse au contexte national. La Corée du Nord célébrera bientôt le 80e anniversaire de la naissance du père de Kim jong-un, Kim Jong-il, suivi du 110e anniversaire du dirigeant fondateur du pays, Kim Il-sung. Selon Cheong Seong-chang, du Centre d'études nord-coréennes de l'Institut Sejong, interrogé par l'AFP, il est essentiel de marquer ces événements avec une certaine "grandeur", notamment en montrant les armes testées par le pays. "Les anniversaires sont toujours importants. Cela joue un rôle [sur la décision de multiplier les essais], même si ce n'est pas le rôle le plus important", souligne Anthony Dufour. "Il y a toujours le facteur interne. Et comme on voit moins le leader du fait du Covid-19, remobiliser la population autour de quelques gestes symboliques peut également être important."
Lim Eul-chul, professeur d'études nord-coréennes à l'université Kyungnam de Séoul, estime aussi auprès de l'AFP que Kim Jong-un "considère le succès dans le secteur militaire comme la meilleure arme pour restaurer sa fierté, et élever son statut de dirigeant et celui de la nation au plus haut niveau". Les autorités nord-coréennes pourraient également chercher des bénéfices rapides face aux difficultés économiques du pays, poursuit le chercheur auprès de l'AFP. Kim Jong-un avait lui-même reconnu lors de ses vœux le 1er janvier que son pays faisait face à "une situation alimentaire tendue", avec des "problèmes d'alimentation, d'habillement et de logement".
Le contexte régional, avec l'élection présidentielle en Corée du Sud en mars ou les Jeux olympiques d'hiver de Pékin, ont également pu contribuer à ces séries d'essais. "Dans la mesure où les Nord-Coréens ont des missiles à tester pour améliorer leurs capacités militaires et envoyer des signaux avant l'élection présidentielle sud-coréenne du 9 mars, ils devraient probablement le faire avant les cérémonies d'ouverture des Jeux olympiques de Pékin le 4 février" pour ne pas froisser la Chine, leur seul grand allié, explique auprès de l'AFP Leif-Eric Easley, professeur à l'université Ewha de Séoul. La récente décision nord-coréenne d'accepter également une aide chinoise pourrait avoir motivé ces tirs, "pour éviter de paraître faible", poursuit auprès de l'AFP Leif-Eric Easley.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.