"Dark tourism" à Tchernobyl
Le voyage commence à Kiev. Deux heures de bus plus tard, voici le check point de Ditiaki, où débute la zone interdite, un rayon de 30 km autour de la centrale. Tout le monde descend et des militaires pointilleux vérifient les passeports. Puis le car emprunte une longue route, droite, bordée de sapins. Il n'y a pas âme qui vive car les villages ont été enterrés à coup de bulldozers juste après la catastrophe.
Kiev a de quoi attirer les touristes
"Aujourd'hui, malheureusement, les touristes hésitent à venir à Kiev, compte tenu des événements qui se passent dans l'Est, " explique Michel Salaün, voyagiste français,"mais Kiev est une destination tout à fait sécurisée avec de très beaux hôtels et des avions pas trop chers pour y aller ! "
Ces visites existent depuis janvier 2011. Tchernobyl fait maintenant partie du paysage. "Cela devient quelque part, malgré tout, un site touristique en soi qui ne peut que profiter au développement du tourisme" , constate Jean-Baptiste Pigeon, directeur général de l’hôtel Intercontinental de Kiev. "Cela fait partie des choses. Il y a cette grande richesse culturelle, architecturale, mais il y a également Tchernobyl. "
Après s'être arrêté à l'entrée de la ville, les visiteurs font maintenant une halte à l'école maternelle de Kapouchi, envahie par la végétation. Les photos d’une poupée bien allongée sur les restes d’un sommier ont fait le tour du monde. Tout a été mis en scène dans le bâtiment délabré et à l’extérieur. Le village n’a été évacué qu’une semaine après la catastrophe.
"Les habitants de ce village ont été les témoins de l'évacuation de la ville de Pripiat ", raconte le guide, Youri Tatartchouk. "Ils n'étaient pas au courant de ce qui se passait. Ils étaient au bord de la route en train de regarder passer les bus avec les personnes évacuées à l'intérieur. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait ."
A l'approche de la centrale les dosimètres crépitent. Puis, apparaît le fameux réacteur n°4, affaissé, effondré. Le car s'arrête à quelques dizaines de mètres seulement de cet amas de métal et de béton à l'air libre, à l'intérieur duquel se trouvent toujours 200 tonnes d'uranium. Des ouvriers s'affairent. Sur la droite, le nouveau sarcophage que construisent Bouygues et Vinci. Il sera peut-être installé en 2017.
Vers un "Tcherno-Land" ?
Le but de ces visites, dit Youri, le guide, qui vient 15 jours par mois à Tchernobyl, c’est que les gens se fassent leur propre idée de ce qui s’est passé ici. "A force de lire des articles dans les journaux, les gens pensent qu'ils verront une sorte de désert entouré par des arbres rouges, brûlés, et de la fumée comme dans les films d'horreur. Mais ce qu'on voit aujourd'hui, c'est beaucoup de verdure. Il y a des forêts. La nature est revenue et a pris la place des hommes. Tchernobyl est devenue une sorte de réserve naturelle."
Pripiat, la fameuse ville fantôme, s'est vidée en quelques heures de ces 50.000 habitants, mais deux jours après l'explosion seulement. Pripiat, la ville-modèle soviétique sortie de terre en 1970 avec son théâtre, son gymnase, ses hôtels et sa fête foraine qui disparaît sous la rouille au milieu des arbres. Jean Lallouët, chargé de mission pour le tour-opérateur français Pouchkine Tours, est impressionné : "La ville a été abandonnée en son état, avec les cahiers des élèves sur les tables, des gens à la piscine. Le matin de la catastrophe, il y avait une promenade scolaire dans la forêt, une course à pied autour de la centrale. La vie était tout à fait normale. Et donc en quelques heures, tout a été figé. Un peu comme Pompéi mais sauf que là, on n'aura aucune trace dans quelques années. "
Une visite très particulière
La visite coûte un peu plus de 115 euros par personne, interdite au moins de 18 ans. On peut aller partout, sans aucune sécurité, au milieu des gravats, des plafonds et des planchers qui s’écroulent. Chaque année, 10.000 touristes visitent Tchernobyl.
"Les plus courageux, ce sont les Anglais, les Américains et les Scandinaves, " détaille Nataliya Grekhowa, guide en Ukraine. "Les étrangers souvent ont peur d'aller dans la zone interdite. Même le nom, zone interdite, ça encourage pas vraiment ! Les Ukrainiens, beaucoup ne préfèrent pas y aller, soit pour des raisons de principe parce que quand même c'était une catastrophe, ce n'est pas un parc d'attraction. Et d'autres ont peur d'être contaminés. "
Un peu plus loin, toujours en pleine forêt, dans les étages de l'école primaire, des manuels jonchent le sol. Encore une mise en scène. Dans la salle de cantine, des dizaines de masques à gaz ont été déballés par des pillards après l'explosion pour revendre le cuivre.
La visite se fait au pas de course, et au retour tout le monde passe sous un portique du temps des Soviétiques. Les voyants restent au vert. Pas de radioactivité. Un homme âgé en treillis militaire passe un détecteur sur les pneus du car, mais l’intérieur n’est pas inspecté. On peut sortir n’importe quoi de la zone interdite dans un sac à dos.
De retour à Kiev, on visite le petit musée Tchernobyl, avec les reliques et les maquettes de la catastrophe. Au milieu de la salle, un écran de TV diffuse en continu la flamme d'une bougie et égrène les années, heures, minutes et secondes qui depuis l'explosion. Le 26 avril 2016, au beau milieu de la nuit, le compteur marquera 30 ans.
Aller en Ukraine avec Pouchkine Tours
Le site officiel de la ville de Pripiat (en anglais)
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