Cet article date de plus d'onze ans.

Egypte : dimanche, "c'est la révolution qu'on programme"

Une manifestation massive contre Mohamed Morsi, le président issu des Frères musulmans, est prévue dimanche, dans un contexte particulièrement sensible. Explications. 

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un Egyptien brandit une pancarte anti-Morsi place Tahrir, au Caire, le 26 juin 2013. (GIANLUIGI GUERCIA / AFP)

"Al tletene." Le 30. Du Caire à Louxor en passant par les rives de la mer Rouge, des chauffeurs de taxi aux chefs d'entreprise, l'Egypte entière n'avait que cette date à la bouche. Dimanche 30 juin, un an jour pour jour après le premier discours de Mohamed Morsi en tant que président du pays, des dizaines de milliers d'Egyptiens manifestent au Caire et dans plusieurs villes du pays. Les partisans du président islamiste ont décidé de défilé aussi, dans un contexte tendu. Décryptage.

Des opposants survoltés

A l'origine de ce rassemblement, les Tamarrod, "rébellion" en arabe, des activistes de tous bords qui ont sillonné le pays avec leur pétition pour réclamer des élections anticipées. Leur texte dénonce la dérive autoritaire de Morsi et appelle les Egyptiens à lui "retirer leur confiance". Ils réclament sa démission ou, en tout cas, l'organisation d'une élection présidentielle anticipée.

Présents à chaque coin de rue au Caire, dans tous les endroits clés ailleurs, ils revendiquaient 22 millions de signatures, la veille de leur "grand événement". Plus que les 13,5 millions de voix obtenues par Morsi il y a un an. Il faut dire que les militants ont ratissé large. Leur campagne a notamment reçu le soutien du Front de salut national, la coalition de partis d'opposition qui réunit libéraux et figures de l'ancien régime.

Un militant Tamarrod au milieu des pétitions recueillies par le mouvement, le 7 juin 2013 au Caire.   (MOHAMED EL-SHAHED / AFP)

C'est le rassemblement de tous les mécontentements, "les gens dans la rue ne suivront pas de mot d'ordre", décrypte un diplomate français. Se mélangeront des intellectuels, malmenés par le régime, des journalistes venus manifester pour la liberté d'expression - "en un an sous Morsi, on a recensé plus de poursuites pour 'insulte au président' qu'en trente ans sous Moubarak"rappelle France Inter -, mais surtout un grand pan de la classe moyenne, profondément déçue par la première année de Morsi.

Comme Hammad, 33 ans, originaire de la région d'Assouan, qui énumère en écarquillant ses immenses yeux bleus : "Tout diminue [en quantité], l'eau, l'électricité, l'essence, les médicaments, le nombre de touristes." Ou ce commerçant cairote, assis sur un pouf devant un rideau à moitié tiré, qui lance vigoureusement : "Un an, ça suffit largement", mais réclame l'anonymat de peur des représailles. Mais aussi Sameh, qui gère une agence de tourisme sur la mer Rouge. "J'étais parmi les premiers contre Moubarak et je serai le premier à manifester le 30 pour 'la fin des islamistes'", assène-t-il. Ce jeune père de famille trouve finalement que c'est "une bonne chose" que le pays n'ait pas eu à attendre "dix ans pour voir ce dont les islamistes étaient capables, à savoir : rien". "A peu près tout le monde" va défiler, prévient Clément Steuer, chercheur au Centre d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales du Caire.   

Un président fragilisé

"Je dis à l'opposition : la voie du changement est claire. Nos mains sont tendues, le dialogue commence tout de suite", a tenté Mohamed Morsi. Il a proposé une commission qui regrouperait l'ensemble de la classe politique afin d'amender la nouvelle Constitution, mais cela n'a fait que raviver la colère de ses détracteurs. Ils attendaient, a minima, la formation d'un gouvernement de technocrates jusqu'aux élections législatives, dont la date est régulièrement repoussée.

Depuis son élection de justesse, Mohamed Morsi n'a eu de cesse d'imposer les Frères musulmans à la tête de l'Etat égyptien, quitte à entrer en conflit avec les plus hautes instances juridiques et constitutionnelles. "Il s'est d'abord arrogé les pouvoirs législatifs et a déclaré inattaquables ses décrets. Puis il a évincé le procureur général et soumis à référendum une Constitution rejetée par l'opposition", raconte Le Monde (lien abonnés), qui conclut : "Au terme de ce bras de fer, Mohamed Morsi apparaît à la fois plus autoritaire et plus impuissant." 

Des partisans du président égyptien Mohamed Morsi manifestent au Caire (Egypte), vendredi 28 juin 2013.  (AHMED ISMAIL / ANADOLU AGENCY / AFP)

Pourtant, les Frères musulmans occupent le terrain à grand renfort d'œuvres sociales, souligne France Info. Le sucre, l'huile et la viande sont deux fois moins chers sur les marchés qu'ils tiennent. Mais nombre de leurs électeurs d'il y a un an sont perplexes. "Je ne sais pas quoi penser", avoue Hany, jeune trentenaire croisé à Louxor, qui se laisse par défaut convaincre par l'argument "Morsi a besoin de plus de temps", "deux-trois ans", à son avis. Ce qui l'ennuie le plus, c'est la promesse non tenue d'être le président de tous les Egyptiens, tant il constate que son pays est divisé, voire "écartelé". Même les salafistes du parti al-Nour et de Gamaa al-Islamiya ont lâché Morsi. Sans appeler à manifester, ils réclament des concessions importantes à leur ancien allié.

Sur les dents, les Frères musulmans ont, eux, choisi la menace. "Si la société n'est pas capable de garantir un minimum de respect pour l'opinion du leader choisi par la volonté du peuple, si la minorité retarde délibérément la reconstruction des institutions de l'Etat, le plus probable, c'est le retour de la dictature", a averti Ahmed Aref, l'un des porte-parole de la confrérie. Un peu partout, ses milices sont prêtes à sécuriser les lieux sensibles et plusieurs partis islamistes ont appelé à une manifestation "à durée indéterminée" dès vendredi.

Un contexte explosif

"C'est la révolution qu'on programme", souffle un diplomate français, en soulignant que "l'émulation au sein des mouvements activistes" est tout à fait de nature à entraîner des dérapages. L'exaspération sociale est bien palpable, exacerbée par la pénurie de carburant, qui entraîne des files d'attente de plusieurs centaines de mètres, notamment au Caire. Un observateur avisé décrypte : "On a toujours dit, le jour où les gens descendent dans la rue parce qu'il n'y a plus de pain, ce jour-là, ça va vraiment péter. Je ne sais pas si on en est là, mais on n'est pas loin."

Une immense file d'attente devant une station essence du Caire (Egypte), le 26 juin 2013. (MOHAMED ABD EL GHANY / REUTERS)

L'atmosphère est déjà électrique. Depuis plusieurs jours, nombre d'Egyptiens stockent essence, produits de première nécessité et argent liquide pour tenir si la situation dégénère. Mercredi 26 juin, des affrontements à coups de pierres entre les deux camps ont fait au moins deux morts et des dizaines de blessés dans le delta du Nil. Le lendemain, un membre du Parti de la liberté et de la justice, le bras politique des Frères musulmans, a été tué devant un des QG de l'organisation.

De son côté, l'armée, qui a position pour défendre nombre de points stratégiques et érigé des barrières dans les rues sensibles, proches de bâtiments publics, a affirmé qu'elle ne laisserait pas le pays sombrer dans le chaos. De quoi nourrir la détermination des opposants, dont une partie "compte, si ce n'est sur un coup d'Etat militaire, au moins sur un coup de pouce de l'armée, note le chercheur Clément Steuer. Ils veulent rééditer le scénario du 25 janvier [2011] avec une armée neutre et un président isolé, contraint à la démission."

Mais la fenêtre de tir de l'opposition est réduite. Relancer le processus révolutionnaire prendrait plusieurs jours, or le ramadan commence le 9 juillet. Et cette période, durant laquelle tout tourne au ralenti, n'est pas propice aux grandes mobilisations. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.