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Egypte : pourquoi la détention de l'ex-président Morsi devient problématique

Le président déchu est retenu illégalement dans un endroit tenu secret depuis trois semaines. Les pressions sur l'armée sont croissantes pour demander sa libération.

Article rédigé par Héloïse Leussier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Un partisan des Frères musulmans brandit une pancarte avec la photo du président déchu Mohamed Morsi lors d'une manifestation au Caire (Egypte), le 19 juillet 2013. (MARWAN NAAMANI / AFP)

Le 3 juillet, jour de sa destitution, Mohamed Morsi est placé en détention au ministère de la Défense égyptien."De façon préventive", selon les militaires. Depuis, silence radio. "Aucun d'entre nous n'a eu aucun contact avec notre père", s’est indigné son fils, Oussama Morsi, lundi 22 juillet. Alors que la tension ne retombe pas en Egypte, les enfants de Mohamed Morsi ont annoncé qu'ils allaient engager des poursuites devant les juridictions nationales et internationales contre le chef de l’armée, Abdel Fattah Al-Sissi, pour "enlèvement". Si l'armée assure que Mohamed Morsi est bien traité, sa détention dans un lieu tenu secret devient de plus en plus problématique.

Une détention illégale

Les dernières informations sur l'état de Mohamed Morsi datent du 10 juillet. "Il se trouve en lieu sûr, pour son propre bien, et il est bien traité", assurait un porte-parole du ministère des Affaires étrangères égyptien. Il est détenu pour être interrogé, et une enquête est ouverte contre lui depuis le 13 juillet pour "espionnage" et "incitation à la violence". Même la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, n’a pas pu le rencontrer lors de sa visite au Caire. Pourtant, aucune inculpation n’a à ce jour été prononcée contre lui. Mohamed Morsi est "détenu en dehors de tout cadre légal", explique à francetv info Clément Steuer, chercheur en sciences politiques et enseignant au Caire.

En l'absence d'ordre du parquet, l'armée n'avait pas le droit de détenir Mohamed Morsi plus de 48 heures, estime Human Rights Watch. L'ONG parle elle aussi de détention illégale. "Il doit être inculpé ou libéré. S'il n'est pas techniquement détenu, il est donc détenu arbitrairement. Si le lieu n'est pas connu, alors c'est une détention au secret. On peut parler de disparition forcée", assène Mohamed Lotfy, représentant d'Amnesty International en Egypte, dans un article du Monde (article payant).

La famille Morsi reprend le même argumentaire. "Il n'y a aucune base juridique ou constitutionnelle (...) permettant de détenir pour sa propre sécurité un individu qui n'est accusé d'aucun crime", a estimé le fils de l’ex-président islamiste lors d’une conférence de presse, le 22 juillet. "Nous tenons le chef du coup d'Etat [le général Sissi] et son groupe pour pleinement responsables de la santé et de l'intégrité du président Morsi", a renchéri sa sœur.  L'ex-président souffre de diabète, a précisé son médecin. La famille Morsi pense par ailleurs qu'il n'a pas pu avoir accès à un avocat.

Des pressions internationales de plus en plus gênantes 

L’association Human Rights Watch n’est pas la seule à dénoncer la détention de Mohamed Morsi. Depuis le 12 juillet, les Etats-Unis demandent formellement la libération du président déchu. "Nous avons exprimé nos inquiétudes depuis le début (...) au sujet de son interpellation, au sujet des arrestations politiques arbitraires de membres des Frères musulmans", avait rappelé la porte-parole du département d'Etat. L'Union européenne, fidèle à ses principes de politique étrangère, a elle aussi appelé lundi à la libération du premier président élu démocratiquement en Egypte. "Même si l’Union européenne est plus proche du pouvoir actuel que des Frères musulmans, elle ne pouvait pas rester sans réagir", explique Clément Steuer.

Ces pressions internationales mettent l'armée dans l’embarras. Surtout vis-à-vis des Etats-Unis, qui versent 1 milliard d'euros d’aides à l’Egypte chaque année. "Il s’agit d’une aide institutionnalisée, à laquelle s’ajoute une coopération militaire dont le pays peut difficilement se passer", affirme Clément Steuer. Les autorités de transitions n'ont toutefois pas forcément intérêt à se montrer trop à la merci des Etats-Unis. Car "il y a un fort sentiment anti-américaniste dans le peuple égyptien", note l’enseignant. De son côté, le pouvoir américain est pressé de s’assurer du fonctionnement démocratique de la transition égyptienne. Des républicains ont déjà appelé à suspendre l’aide financière tant que des nouvelles élections ne seront pas tenues dans le pays.

Même au sein des partis laïcs égyptiens, quelques voix commencent à s’élever contre la détention de Mohamed Morsi. Il "doit retourner chez lui, tant qu’il n’a pas à affronter la justice", a estimé le chef du parti social-démocrate, Mohammed Aboul Ghar, lors d’une intervention sur la chaîne Al-Arabiya. Cette prise de position est osée. Car les libéraux doivent aussi faire face "aux pressions venues de la base du parti qui demandent une campagne encore plus dure contre les islamistes", souligne Clément Steuer. 

Quelles charges contre lui ?

Combien de temps encore pourra durer cette situation ? Le chercheur écarte l’hypothèse d’une mise au silence violente : "Il n’est pas question pour les militaires de se débarrasser de Mohamed Morsi de manière lapidaire." Pour autant, l’armée craint que l’ex-président, s’il est libéré, "mette en place une présidence parallèle qui divise encore plus le pays, déjà déchiré entre ses partisans et ses opposants", explique à francetv info Masri Feki, chercheur à l'université Paris-VIII. "Mohamed Morsi ne peut être relâché tant que les Frères musulmans n'acceptent pas le nouveau pouvoir en place."

"Les anti-Morsi sont paranoïaques, ils imaginent que si le lieu de détention de Morsi est révélé, les Frères musulmans et leurs alliés vont organiser un commando pour le libérer", relève Clément Steuer. Se refusant à toute libération, même provisoire, l’armée cherche donc à mettre ses accusations au clair. Certains membres des Frères musulmans ont été poursuivis pour "incitation à la violence" sur la base de propos qu’ils ont tenus au moment de la révolte. Mais le discours de Mohamed Morsi avant sa destitution "ne peut pas être qualifié d’incitation à la violence", explique le professeur de droit égyptien Cherif Bassiouni au Time.

"Il faut trouver un acte d'accusation précis le concernant personnellement pour qu’il ne puisse pas reporter la faute sur les autres", ajoute Masri Feki. Cela explique sûrement pourquoi le président a été interrogé, le 14 juillet, sur des faits qui remontent à 2011, lorsqu'il s'est évadé de prison en pleine révolte contre Hosni Moubarak. La Sécurité intérieure cherche à déterminer s’il a bénéficié de l'aide de groupes étrangers comme le Hezbollah libanais ou le Hamas palestinien. 

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