Rapport sur la biodiversité : "Il faudrait revenir davantage vers une agriculture vivrière en circuit local", affirme l'écologue Philippe Grandcolas

Le directeur de recherche au CNRS fait partie des 165 internationaux regroupés dans la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), équivalent pour la biodiversité des experts du Giec mandatés par l'ONU sur le climat.
Article rédigé par franceinfo
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Un agriculteur pulvérise des produits phytosanitaires dans un champ. Photo d'illustration. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

"On ne peut pas travailler en silo sur la biodiversité, le climat, la santé et l'eau, ils sont interconnectés", affirme Philippe Grandcolas, écologue et biologiste de l'évolution, directeur de recherche au CNRS. Il était invité mardi 17 décembre après-midi sur franceinfo alors que vient de paraître une étude de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), dont il fait partie, dans laquelle 165 experts internationaux décrivent les liens forts entre biodiversité, climat, alimentation, santé et eau, qui rendent sa protection indispensable.

A titre d'exemple, les récifs coraliens, qui risquent de disparaître dans les 10 à 50 ans, sont indispensables à près d'un milliard de personnes parce qu'ils protègent les côtes de l'érosion et des tempêtes. Les poissons sont indispensables à la pêche et au tourisme et les forêts nous permettent de boire car les arbres régulent l'écoulement, 85% de l'approvisionnement en eau des grandes villes du monde en dépendent.

franceinfo : Ce rapport est-t-il à prendre comme une aide à la décision politique, par ceux qui nous gouvernent ?

Philippe Grandcolas : Le rapport analyse plus de 6 000 publications et se penche sur un grand nombre de pollutions, sur une gouvernance expérimentée dans un certain nombre de pays, qui n'est pas en silo et qui aboutit à obtenir des effets positifs sur le plus long terme, en essayant d'avoir des compromis entre la gestion du climat, de la biodiversité, de la santé et de l'eau.

Avez-vous des exemples ?

Au Brésil, il y a un plan subventionné pour mettre en place une agroécologie locale avec des petits producteurs, qui vont fournir de manière locale et agroécologique au moins 30% de la nourriture des enfants dans les écoles publiques. Il y a moins d'intrants dans l'environnement, cela a des effets sur la santé des enfants qui mangent sainement et sur la biodiversité.

On gère mieux la diversité des paysages et les nappes phréatiques sont dans un meilleur état. Ce type de mesure complète bien d'autres mesures sur des milieux emblématiques comme la forêt amazonienne. Ce plan concernait 20 millions d'enfants, il a eu un tel succès que les Nations Unies, qui avaient aidé à le mettre en place, pensent à le répliquer dans d'autres pays.

Ce rapport est-il un appel à changer de modèle ?

Oui c'est un appel à la transformation, mais il n'est pas question de vilipender des agriculteurs qui ont du mal à vivre. Les politiques ont eu du succès parce qu'elles avaient intégré des incitations financières et un changement de la demande, de la part des citoyens. L'agriculture aujourd'hui ne produit pas que des produits vivriers mais aussi de la biomasse pour les agro-carburants et des céréales pour l'alimentation animale. Il y a une transformation à faire, il faudrait revenir davantage vers une agriculture vivrière en circuit local avec des distributions qui laissent aux PME agricoles des revenus plus satisfaisants."

A l'inverse, y-a-t-il des erreurs, commises parce qu'on ne prend pas en compte le fait que tout soit interdépendant ? On critique souvent les barrages des éoliennes, par exemple.

C'est quand même une politique qui vise à substituer une énergie dite "décarbonnée" aux énergies fossiles. Cela dit, effectivement, si on les installe dans des aires marines protégées, qu'on remplace des forêts naturelles par des panneaux photovoltaïques, évidemment, on va altérer le bilan carbone de l'opération. Mais le rapport distingue des erreurs bien plus graves qui résultent de la gouvernance en silo, avec des ministères qui gèrent chacune de ces dimensions environnementales séparément. Le danger, c'est qu'il y a des décisions interministérielles prises par la partie la plus forte, qui poseront de graves problèmes en matière de santé, de climat ou de biodiversité.

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