Réchauffement climatique : une "menace qui pèse gravement sur la sécurité alimentaire", selon un rapporteur du Giec
Jean-François Soussana a répondu aux questions de franceinfo sur le nouveau rapport du Giec. Pour l'expert, "différentes solutions existent, sans besoin de nouvelles technologies et avec un coût modéré".
Le réchauffement climatique s'accélère et les activités humaines y participent grandement. Dans son nouveau rapport, publié jeudi 8 août et approuvé par 195 pays, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) alerte sur les liens entre agriculture, déforestation et réchauffement climatique. Franceinfo a interrogé Jean-François Soussana, rapporteur du Giec et vice-président pour l'international de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), pour comprendre les enjeux soulevés par le document.
Franceinfo : concrètement, qu'est-ce qui ressort du rapport ?
Jean-François Soussana : Ce rapport étudie les interactions entre plusieurs grands défis environnementaux de notre époque : le changement climatique, le besoin de terres, leur exploitation et la sécurité alimentaire. Le constat qui est fait, c'est qu'aujourd'hui, le réchauffement à la surface des continents est deux fois plus rapide qu'avant. On a déjà dépassé la barre du 1,5 °C supplémentaire.
Quelques chiffres permettent de se faire une idée du rapport : un quart des terres émergées sont dégradées par l'activité humaine, 500 millions de personnes sont exposées à la désertification, et 800 millions sont en sous-alimentation chronique.
Jean-François Soussanaà franceinfo
Pour résumer, l'élevage, l'agriculture et la déforestation sont responsables de près d'un quart des émissions de gaz à effet de serre. Il y a donc des pressions importantes sur les secteurs qui en sont responsables. Mais une partie des solutions pour ralentir le réchauffement climatique s'appuie également sur ces secteurs : près de 30 % du CO2 émis par l'activité humaine peut être capté par la végétation.
Est-il trop tard pour changer les choses ?
Le constat est alarmant. Il réactualise à la hausse le niveau de réchauffement global et pointe la menace qui pèse gravement sur la sécurité alimentaire. En 2014, lors d'un précédent rapport du Giec, on estimait que la stabilité alimentaire était préservée jusqu'à +4 °C. Maintenant, on sait qu'elle est menacée dès 2 °C supplémentaires. Ce rapport est un message d'urgence. Mais le Giec analyse également les réponses qui pourraient être apportées à cette situation.
Une quarantaine de solutions ont été identifiées, et elles se divisent en trois grandes catégories. D'abord, la gestion durable des terres, qui permettrait de reverdir les sols dégradés, de favoriser la régénération des forêts et de préserver les ressources en eau. Ensuite, une meilleure prise en charge de la demande alimentaire mondiale, pour réduire les pertes et le gaspillage alimentaire. Et finalement, l'anticipation des crises climatiques, par une meilleure surveillance et une meilleure prise en charge des incendies de forêt.
Ce qui est frappant, c'est que différentes solutions existent, sans besoin de nouvelles technologies et avec un coût modéré. Il est essentiel que ces différentes mesures soient rapidement mises en place, d'autant plus que les coûts de l'inaction sont très importants : il peut y avoir un certain nombre d'irréversibilités dans la perte de sols et la destruction d'éco-systèmes.
Quelles sont les recommandations en termes d'agriculture ?
Il faut d'abord rappeler que le Giec ne fait pas de préconisations : nous analysons les données et les solutions, c'est ensuite aux gouvernements et autres acteurs de s'en emparer. Ce que l'on constate en revanche, c'est que pour protéger les sols, il faut mieux utiliser la biodiversité. Certaines légumineuses peuvent agir comme des engrais de synthèse sans polluer les terres. L'agroforesterie, c'est-à-dire l'introduction d'arbres à certains endroits stratégiques, est également une piste pour mieux gérer les paysages.
Les bioénergies sont un secteur qui pose question : elles représentent un potentiel important pour la réduction du CO2, mais les cultures nécessaires peuvent entrer en concurrence avec la production alimentaire, déjà menacée par le réchauffement climatique.
Jean-François Soussanaà franceinfo
On a beaucoup lu que le véganisme pourrait sauver la planète. Que pouvez-vous en dire à la lumière de ce rapport ?
Le Giec n'incite pas au véganisme, mais à suivre les recommandations alimentaires de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Le régime vegan ne fait pas partie des solutions étudiées par le rapport, sachant qu'il y a de grandes disparités de consommation de protéines animales dans le monde. Il existe d'autres régimes sains et durables. En France, la tendance est à la baisse concernant la consommation de viande et c'est une bonne chose, puisque, comme tous les pays de l'OCDE, nous sommes bien au-dessus des recommandations. Une consommation accrue de fruits, légumes, noix et autres ressources végétales ouvrirait de nouvelles possibilités aux systèmes agricoles.
Comment chacun, à son échelle, peut-il faire en sorte de limiter le changement climatique ?
Les Etats doivent à tout prix renforcer leurs engagements pris avec l'Accord de Paris. Une grande partie de ces engagements concernent la protection des terres. On espère que ce rapport et le sommet sur le climat de New York, prévu en septembre, feront bouger les choses en ce sens. La coopération internationale est un point crucial pour que ces mesures soient efficaces.
Les changements comportementaux passeront également par une meilleure compréhension de ces enjeux. Il faut former et accompagner les citoyens sur ces questions, d'autant plus que l'on sait que la jeunesse est très demandeuse à ce niveau. Les campagnes "manger, bouger" se sont révélées très efficaces par rapport au coût qu'elles ont engendré. On peut imaginer quelque chose de similaire sur le climat. Ensuite, c'est à chacun de trouver l'approche qu'il souhaite développer. Il y a évidemment de grandes différences entre la ville et la campagne, mais tout le monde peut veiller à avoir une consommation responsable. Eviter au maximum les gaspillages, énergétiques et alimentaires, est un geste accessible à tous.
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