A la COP28, l'Ukraine évalue les dommages climatiques de la guerre et travaille déjà à une reconstruction écologique et durable
Les guerres sont aussi une menace pour le climat. A quelques encablures d'un pavillon dans lequel la Russie vante son industrie nucléaire, élus et diplomates ukrainiens, scientifiques et experts se sont réunis, lundi 4 décembre, dans une salle de l'immense parc Expo2020 de Dubaï. En marge de la COP28, qui se tient jusqu'au 12 décembre dans la clinquante cité des Emirats arabes unis, ce panel examine la rencontre entre deux calamités : la guerre en Ukraine et le réchauffement climatique.
Production d'armement, déplacement des troupes et des civils, infrastructures détruites, feux de forêts liés aux combats... "Après 18 mois de guerre, le montant total des émissions est estimé à 150 millions de tonnes de CO2, ce qui est plus que les émissions annuelles d'un pays très développé comme la Belgique", calcule Viktoria Kireïeva, vice-ministre de la Protection de l'environnement et des Ressources naturelles ukrainiennes.
Une méthode de calcul applicable ailleurs
Avec cette estimation, réalisée par les experts de l'Initiative on GHG Accounting of War, l'Ukraine entend un jour obtenir réparation auprès de Moscou pour "ces crimes environnementaux". "Ce que nous apprenons de cette guerre en Ukraine nous aide à établir une méthodologie pour évaluer les émissions liées à la guerre qui pourra s'appliquer ailleurs", explique Lennard de Klerk, le spécialiste des émissions de carbone qui a supervisé l'étude.
"Tenir un Etat responsable pour des émissions de gaz à effet de serre causées par un acte d'agression, cela n'a jamais été fait auparavant."
Lennard de Klerk, expert de l'Initiative on GHG Accounting of Waren conférence de presse à la COP28
A ce jour, ni l'Organisation des Nations unies (ONU) ni la Cour internationale de justice (CIJ) ne disposent des outils pour encadrer une telle procédure, déplore-t-il. D'où "la nécessité de créer un mécanisme reconnu sur la scène internationale", abonde Viktoria Kireïeva. D'autant que cet angle mort des politiques de réparation cache un coût pour la planète, mais aussi pour les pays meurtris par des conflits.
Une politique environnementale mise à mal
En se basant sur les méthodes employées pour déterminer le prix de la tonne de carbone, le rapport publié par l'ONG ukrainienne Ecoaction estime que le montant des seuls dommages climatiques causés par la Russie s'élève à 9,6 milliards de dollars (8,9 milliards d'euros) pour les dix-huit premiers mois de la guerre en Ukraine (24 février 2022 - 1er septembre 2023). "Bien sûr, l'argent n'est pas un objectif en soi", précise Lennard de Klerk. Puisque Kiev s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre en signant l'accord de Paris en 2015, cet argent, s'il est obtenu un jour en guise de réparation [du préjudice climatique], "doit être utilisé pour réparer une partie des dégâts" qui mettent à mal la politique climatique du pays, explique-t-il.
Si replanter les forêts détruites par la guerre est l'initiative "la plus évidente", "l'Ukraine utiliserait cet argent pour accélérer le déploiement d'énergies renouvelables, comme les parcs solaires et éoliens", poursuit l'expert. Les travaux de l'Initiative on GHG Accounting of War révèlent que, si 25% des émissions de gaz à effet de serre liées au conflit sont issues des opérations elles-mêmes (production d'armes, consommation d'énergies fossiles par les armées russe et ukrainienne), 15% proviennent des feux de forêts et destructions provoqués notamment par les combats, lesquels privent le pays d'une partie de ses puits de carbone naturels.
Mais avec 36% des émissions, c'est bien la reconstruction à venir du pays qui devrait représenter le poste le plus émetteur, selon les estimations de l'organisation (en PDF). En cause : les matériaux utilisés dans le bâtiment, tel que le ciment et l'acier, deux des industries les plus difficiles à décarboner. Selon un rapport publié en septembre par l'ONU, le secteur du bâtiment est responsable d'au moins 37% des émissions mondiales de CO2.
La volonté d'une reconstruction vertueuse
Si la vice-ministre de la Protection de l'environnement ukrainienne n'a pas manqué de rappeler que l'invasion du pays en février 2022 a entravé le déploiement de la politique climatique de Kiev, elle ajoute que le gouvernement a renouvelé en mai sa promesse d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Anna Ackermann, spécialiste du climat pour l'ONG Ecoaction, l'assure : "Nous voulons reconstruire le pays de manière écologique et durable (...) La réalité, c'est que la reconstruction a déjà commencé." Dans ce panel dédié à la guerre, elle est venue "apporter une lueur d'espoir".
"Des centaines de villes ukrainiennes travaillent sur leurs plans climatiques et énergétiques depuis de nombreuses années et veulent poursuivre ce qu'elles ont commencé. Cette question est plus pertinente que jamais."
Anna Ackermann, experte du climat pour l'ONG Ecoactionen conférence de presse à la COP28
L'experte cite ainsi l'exemple de Tchernihiv, ville du nord du pays qui, à peine remise de bombardements sur ses infrastructures énergétiques, a voté un plan de décarbonation de son énergie. Car si la guerre est gourmande en énergies fossiles, s'en défaire est un outil de résilience, explique-t-elle.
Plaidant pour "une production d'énergie décentralisée et renouvelable" après la destruction de nombreux sites, Anna Ackermann rapporte ainsi que "l'un des premiers projets lancés était celui d'un petit hôpital dans le nord du pays, que nous avons doté d'installations solaires et d'un système de stockage de l'énergie". Installé près de Boutcha, théâtre d'un massacre puis reprise à l'armée russe, le bâtiment "dispose désormais de suffisamment d'énergie pour couvrir tous les besoins fondamentaux pour traiter ses patients chaque jour."
Ces projets enthousiasment déjà d'autres villes ukrainiennes, assure-t-elle. Mais, pour l'heure, elles "n'ont pas assez de ressources" pour les mener à bien. Très forte émettrice de gaz à effet de serre, la reconstruction du pays est aussi la partie la plus coûteuse : plus de 400 milliards de dollars, selon les dernières estimations de la Banque mondiale, faites au printemps dernier.
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