A la COP29 de Bakou, des centaines de milliards de dollars à trouver, pomme de discorde entre les pays du Nord et du Sud
Après la sortie progressive des énergies fossiles à Dubaï, l'an dernier, la COP se consacre, cette fois-ci, au financement de la transition écologique. Soit, comme définie dans l'accord de Paris (document PDF), tous les "flux financiers compatibles avec un profil d'évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques". Plus concrètement, cette 29e conférence climat de l'ONU, qui se déroule du 11 au 22 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan, a pour objectif de débloquer les centaines de milliards de dollars nécessaires aux pays en développement pour affronter la crise climatique. "Il faut réaliser un choc des financements", a fait valoir le cabinet de la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher. Un sujet qui a déjà bloqué la réussite de la COP16 consacrée à la protection de la biodiversité début novembre.
Cette enveloppe, appelée dans le jargon onusien "Nouvel objectif collectif quantifié" (NCQG), doit remplacer celle fixée en 2009. Cette dernière prévoyait que les pays riches fournissent 100 milliards de dollars d'aide annuelle aux pays en développement, un chiffre péniblement atteint, en retard, en 2022.
Un potentiel "énorme caillou dans la chaussure"
"Il y a le spectre de ne pas aboutir à un nouvel objectif, et ce serait un énorme caillou dans la chaussure", alerte Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Car quelques semaines avant le début de la COP, les experts et observateurs des négociations s'accordaient à dire que ces dernières n'étaient "pas très avancées", selon les mots de Yannick Glemarec, directeur de recherche au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired). "Tout constitue un point de négociation..." Les associations françaises du Réseau action climat ont, elles aussi, exprimé leur inquiétude, évoquant les "crispations" autour du sujet.
Le montant, d'abord. Un brouillon d'accord sur cet objectif, publié le 15 octobre par l'Egypte et l'Australie, désignées comme co-facilitatrices des discussions, montrait bien l'ampleur des clivages entre les blocs, avec des solutions allant d'un "minimum de 100 milliards" à "2 000 milliards de dollars". Les pays donateurs (établis en 1992 d'après leur responsabilité historique dans le réchauffement climatique : Etats-Unis, Union européenne, Japon, Royaume-Uni, Canada, Suisse, Turquie, Norvège, Islande, Nouvelle-Zélande et Australie) estiment certains de ces montants irréalistes pour leurs finances publiques. Ce sera "la dernière pièce du puzzle" pendant les négociations, a prévenu l'ambassadeur français pour le climat par intérim, Kevin Magron.
Ces pays veulent aussi revoir la liste des contributeurs. Arguant ne représenter plus que 30% des émissions historiques, ils réclament d'élargir la base des donateurs aux pays émergents, en particulier la Chine ou les pays du Golfe, qui ne veulent pas en entendre parler. L'Union européenne, dans une position commune publiée le 14 octobre, demandait ainsi "un groupe plus large de contributeurs". "Cela refléterait l'évolution des capacités économiques respectives et des quantités croissantes d'émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis le début des années 1990", peut-on lire. L'UE soulignait également que "l'investissement privé devra fournir la plus grande part des investissements requis dans la transition verte", "les finances publiques ne [pouvant] à elles seules atteindre les niveaux de financement nécessaires".
Il y a une opposition Nord/Sud, avec une confiance qui a baissé depuis le retard de l'atteinte des 100 milliards de dollars.
Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Iddri
D'autant que deux tiers des 100 milliards de dollars annuels déjà octroyés sont des prêts, accusés d'alimenter la dette des pays pauvres. Les points de désaccord potentiels s'accumulent, donc. "Qui reçoit ? Est-ce que les pays les moins avancés et les petits Etats insulaires reçoivent plus ? Sur quels enjeux ? Est-ce qu'on crée une fenêtre sur l'adaptation, une autre sur l'atténuation du réchauffement climatique ? Ce qu'on a, c'est le résultat de 30 ans de blocages et de discussions qui n'ont pas abouti", dessine Yannick Glemarec. Les réponses évoquées dans le brouillon d'accord se révèlent très contradictoires selon les groupes de pays. "Rester sur des positions figées (...) laissera trop de chemin à parcourir lors de la COP29", a prévenu Moukhtar Babaïev, ministre de l'Ecologie azerbaïdjanais et président de la conférence, après un round de négociations mi-septembre.
Le secteur privé à la rescousse ?
Malgré ces questions, experts et ONG saluent la montée en puissance, nécessaire, de l'enjeu financier lors des COP. "Au niveau de l'ambition climatique, on est hors des clous. Et on ne rentrera pas dans les clous sans le financement. C'est le mécanisme de mise en œuvre d'une ambition rehaussée", fait valoir Yannick Glemarec. Il rappelle par ailleurs que le NCQG n'est pas le seul sujet financier qui devrait être abordé lors de cette COP29. Reste en effet à finaliser les accords, "bloqués depuis des années", sur la finance carbone, cette possibilité donnée par l'article 6 de l'accord de Paris aux Etats de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre en achetant les efforts réalisés ailleurs. Ou encore à "capitaliser le fonds pour les pertes et dommages [adopté à Dubaï] et à progresser sur l'élimination des financements aux énergies fossiles", liste Yannick Glemarec.
On peut également s'attendre, comme lors de chaque COP, à des accords extérieurs aux négociations officielles. "La finance privée peut avoir un rôle à jouer extrêmement important", défend Lucie Pinson, directrice de l'ONG Reclaim Finance, qui estime que le secteur privé "doit représenter 80% du financement des transitions énergétiques". Un premier pas dans ce sens a été fait, avec le Fonds d'action pour la finance climat, idée lancée par l'Azerbaïdjan en juillet dernier et qui devra rassembler 1 milliard de dollars issus des "contributions volontaires de pays et entreprises producteurs d'énergies fossiles".
Mais l'addition de tous ces fonds, privés comme publics, est loin d'être suffisante. "Si on ajoute tous les financements pour le climat, on atteint 1 300 milliards par an. Pour s'occuper du changement climatique, il faudrait en avoir entre 6 000 et 12 000 milliards, d'ici 2030", alerte Yannick Glemarec, se rapportant à une étude de la Climate policy initiative (document PDF). Et ce, avec un suivi et des contrôles, demande Reclaim Finance. "Qu'on ne se retrouve pas avec le récent exemple [dénoncé en 2022 par l'ONG] de l'obligation verte proposée... pour l'expansion de l'aéroport d'Hong Kong, sous prétexte que le bâtiment est basse consommation", critique Lucie Pinson. Car la définition de la finance pour le climat reste pour le moment très floue, et donc ouverte à interprétations.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.