Ce qu'il faut retenir de la COP16 biodiversité, conclue sur un échec des négociations sur le financement
Les négociateurs quittent Cali (Colombie) avec un goût d'inachevé. La COP16 biodiversité s'est finie en queue de poisson, samedi 2 novembre, par une suspension des négociations. La présidente colombienne du sommet, Susana Muhamad, a dû constater que le nombre de participants requis n'était plus atteint, après une prolongation d'une nuit et le départ de certaines délégations.
Pendant deux semaines, 196 pays ont tenté de s'accorder sur la manière de tenir, d'ici à 2030, les objectifs fixés à l'issue de la précédente édition, dans l'accord de Kunming-Montréal. "Nous avons adopté il y a deux ans un nouvel accord international qui fixe les objectifs mondiaux pour enrayer et renverser la perte de la biodiversité à l'échelle mondiale. (...) Cette [COP16] est un peu celle de la mise en œuvre", avait expliqué Juliette Landry, responsable de recherche à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), sur franceinfo.
Si certains dossiers sont restés englués dans les rivalités entre pays riches et pays en développement, plusieurs sujets ont avancé. Franceinfo résume les réussites et les échecs de Cali.
Le fonds mondial biodiversité porté à 400 millions de dollars...
A la mi-COP, mardi, huit gouvernements ont annoncé des promesses de contributions portant à 400 millions de dollars (369 millions d'euros) la dotation du Fonds-cadre mondial pour la biodiversité (GBFF), créé en 2022 pour soutenir l'effort des pays en développement.
La France, l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et la province canadienne du Québec se sont engagés pour un montant équivalant à 150 millions d'euros, dont "une contribution de la France de 5 millions d'euros", précise le ministère de la Transition écologique français. "Le GBFF compte désormais 12 contributeurs", a précisé l'organisation GEF, qui le chapeaute.
... mais une impasse dans les négociations sur un nouveau fonds
Les millions annoncés lors de la COP16 ne sont toutefois qu'un premier pas vers l'objectif d'atteindre 200 milliards de dollars d'aide annuelle pour la biodiversité d'ici à 2030. Pour y arriver, les pays en développement exigeaient la création d'un nouveau fonds, autonome du GEF et sous gouvernance de l'ONU, pour remplacer l'actuel, qu'ils jugent inadapté et inéquitable. Ce que refusaient les pays développés, pour des raisons de coût et d'efficacité.
La COP16 s'est finalement conclue sans trancher ce débat. La suspension de la séance plénière finale, samedi, a interrompu les débats entre le Brésil, qui soutenait la proposition colombienne de créer ce fonds, et l'Union européenne, le Japon et le Canada, qui y étaient fermement opposés.
"On ressort de Cali avec un fort sentiment d'être en suspens, d'inachevé, et d'avoir encore énormément de travail à faire", a commenté Sébastien Treyer, directeur de l'Iddri, qui note toutefois que les COP ne peuvent pas toujours fournir d'accord "sur tous les sujets". C'est un "gros échec pour la présidence colombienne", estime de son côté Arnaud Schwartz, vice-président de France nature environnement.
Un partage des bénéfices issus des "données génétiques" de la nature
La COP16 a décidé samedi la création d'un "Fonds Cali" qui devra être abondé par les entreprises faisant des bénéfices grâce aux données génétiques numérisées de plantes ou d'animaux issus des pays en développement.
Ainsi, le goût synthétique de la vanille aromatique, largement utilisé par l'industrie alimentaire à son profit, est issu des données génétiques d'une plante autrefois uniquement connue d'une tribu indigène mexicaine. Le "pillage" des richesses des pays en développement par des entreprises des pays riches "est le problème que nous essayons tous de résoudre ici", a déclaré en plénière le représentant du Brésil.
L'objectif de ce fonds est de partager ces bénéfices, réalisés essentiellement par des groupes cosmétiques et pharmaceutiques, avec ces mêmes pays en développement. Ils espèrent en tirer jusqu'à quelques milliards de dollars, destinés à financer leurs engagements de protection de la nature. Mais le montant réel qui sera récolté, principalement via des contributions volontaires, reste encore incertain.
La création d'un organe représentant les peuples autochtones
La COP16 a aussi réussi à déboucher sur une meilleure reconnaissance des peuples autochtones dans leur rôle de gardiens de la nature. Les pays ont adopté la création d'un groupe permanent destiné à assurer la représentation des peuples autochtones et des communautés locales au sein de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique.
"C'est un moment sans précédent dans l'histoire des accords multilatéraux sur l'environnement", s'est réjouie Camila Romero, une représentante des peuples Quechuas du Chili. Les 196 pays membres de la Convention "ont reconnu le besoin constant de notre participation pleine et effective, de nos connaissances et innovations, de notre technologie et de nos pratiques traditionnelles", a-t-elle ajouté.
Le 26 octobre, un "G9 de l'Amazonie autochtone" avait également été lancé à Cali par des peuples des neuf Etats qui se partagent la plus grande forêt du monde, dont la France et la Colombie. Cette organisation doit leur permettre d'avoir "une voix unifiée pour influencer les décisions mondiales". Les peuples autochtones sont "les gardiens de la nature", "en première ligne de la crise de la biodiversité" et leur inclusion peut "générer un dialogue plus équitable" sur le sujet, avait déclaré Susana Muhamad, la présidente du sommet.
Un échec à rehausser les efforts de protection des écosystèmes...
En 2022, lors de l'adoption de l'accord de Kunming-Montréal, les pays s'étaient engagés à placer 30% des terres et des mers dans des aires protégées d'ici à 2030, ou encore à réduire de moitié les risques des pesticides. La COP16 avait pour mission de rehausser les timides efforts mondiaux pour appliquer ces grands objectifs. Mais les discussions n'ont pas abouti. A la COP17, qui aura lieu en Arménie en 2026, les pays devront donc faire le bilan de leurs efforts, sans s'être auparavant entendus sur des règles et des indicateurs de suivi ambitieux.
... et des chiffres alarmants
Lundi, le Programme des Nations unies pour l'environnement et l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) avaient alerté sur le retard pris sur un des objectifs clés de l'accord de Kunming-Montréal. Alors que 30% de la planète doit faire l'objet de mesures de protection et de conservation d'ici à 2030, seuls 17,6% des terres et des eaux intérieures et 8,4% des océans et zones côtières se trouvent aujourd'hui dans des zones protégées, selon le rapport Protected Planet.
"Il reste une zone terrestre de la taille du Brésil et de l'Australie réunis, et en mer, une zone plus grande que l'océan Indien, à désigner d’ici à 2030 pour atteindre l’objectif mondial de protection."
Programme des Nations unies pour l'environnementdans un communiqué
Et les destructions de la nature, par la déforestation, la surexploitation ou le changement climatique, se poursuivent : une espèce d'arbre sur trois est menacée d'extinction, selon l'actualisation de la liste rouge de l'UICN. "En tant que composants déterminants de nombreux écosystèmes, les arbres sont fondamentaux à la vie sur Terre à travers leur rôle dans les cycles du carbone, de l'eau et des nutriments, la formation des sols et la régulation du climat", a rappelé l'UICN dans une Evaluation mondiale des arbres inédite.
Une feuille de route pour mesurer l'efficacité des "crédits biodiversité"
Pour financer la sauvegarde de la nature, des marchés de "crédits biodiversité" ont été créés, mais la crainte de dérives demeure. "En matière de biodiversité, on ne peut pas compenser une perte à un endroit A en allant faire de la restauration d'un écosystème dans un endroit B, à l'autre bout de la planète. Ça ne marche pas écologiquement", prévient Sébastien Treyer, directeur de l'Iddri. Depuis Cali, il a donc appelé à un marché "crédible, intègre et sérieux".
Pour cela, une feuille de route éthique a été publiée lors de la COP16 par un panel d'experts internationaux. Ce Cadre pour des marchés de crédits biodiversité à haute intégrité est une feuille de route pour aider les gouvernements à bâtir des marchés réellement bénéfiques pour la nature. Il propose ainsi de définir le "crédit biodiversité" comme "un certificat qui représente une unité mesurable et prouvée de résultat positif pour la biodiversité", et que ce résultat doive être durable.
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