COP29 à Bakou : pourquoi ça ne se bouscule pas pour aller au sommet sur le climat en Azerbaïdjan ?
Moins de délégués, moins de chefs d'Etat, moins de dirigeants d'entreprises, moins d'observateurs... La 29e Conférence de l'ONU sur le changement climatique, la COP29, s'ouvre lundi 11 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan. Et cette année, les organisateurs affichent sans complexe une réduction des badges et accréditations distribués chaque année aux délégations des 194 pays invités à se pencher sur l'avenir de la planète. Au 21 octobre, 32 000 personnes avaient été accréditées pour accéder à la "zone bleue", un espace administré par les Nations unies et dans lequel se déroulent les négociations.
A titre de comparaison, l'an dernier à la même époque, les autorités émiraties annonçaient 80 000 participants pour la COP28 de Dubaï, plus grande édition jamais organisée. Faut-il en déduire que ce nouveau rendez-vous ne passionne pas les foules ? Loin de là. "La taille [d'une COP] ne se traduit pas nécessairement par la qualité des résultats", déclarait en avril le secrétaire de l'ONU pour le climat, Simon Stiell, lors d'une réunion à Londres. Les Nations unies et le pays hôte, co-organisateurs, attendent entre 40 000 et 50 000 personnes, rassemblées pendant deux semaines dans le stade olympique de la capitale azerbaïdjanaise.
Des sommets plus grand public au fil des années
Selon une liste mise en ligne fin octobre, 109 chefs d'Etat et de gouvernement ont demandé à prendre la parole à la tribune, contre plus de 130 en 2023. Dans cette liste, ne figurent, entre autres, ni Emmanuel Macron, ni le président américain, Joe Biden, ni le chancelier allemand, Olaf Scholz, tous trois absents du rendez-vous azerbaïdjanais. Ce nombre de dirigeants, en baisse, reste toutefois "toujours bien plus élevé qu'il y a à peine quelques années", relève le directeur adjoint de 350.org, Andreas Sieber, cité par le site spécialisé Climate Home. Jusqu'à la COP21, en 2015 à Paris, attirer plus d'une centaine de dirigeants "était considéré comme impensable".
En réalité, jusqu'à la COP15 de Copenhague (Danemark) en 2009, les sommets de l'ONU sur le changement climatique n'intéressaient pas vraiment le grand public. Même lors de la COP3, au Japon en 1997, qui a instauré le Protocole de Kyoto (sorte d'ancêtre de l'accord de Paris), le nombre de participants frôlait à peine les 10 000 participants, presse incluse. Mais petit à petit, la sortie en 2006 du film d'Al Gore (Une vérité qui dérange), le prix Nobel de la paix remis au Giec l'année suivante, et, bien sûr, la mobilisation de la communauté scientifique et des ONG, ont ouvert les arcanes de la diplomatie climatique aux non-initiés.
Dans leur ouvrage Gouverner le climat, les chercheurs Amy Dahan et Stefan Aykut notent qu'en 2009, à l'approche de la COP15, les ONG, politiques et médias, ont présenté d'une même voix le sommet sous l'angle d'un "exercice de volontarisme planétaire (...), un moment mondial décisif où tout va se jouer pour le climat et tout peut se régler". A l'ouverture des négociations, 56 journaux de 45 pays (dont Le Monde en France) ont publié une tribune commune pour appeler les dirigeants à l'action.
Une COP plus technique que médiatique
Mais le bilan décevant du rassemblement danois a fait retomber l'intérêt médiatique et, les années suivantes, à Cancun (au Mexique) puis Durban (en Afrique du Sud), les négociations se sont à nouveau déroulées à l'abri des caméras du monde entier. Même chose pour la COP18 qui s'est tenue dans un pays controversé, le Qatar. Ainsi, lorsque les Emirats arabes unis ont obtenu l'organisation de la COP28 à Dubaï, dix ans plus tard, le grand public a déploré ce que beaucoup pensaient être, à tort, le premier sommet de l'ONU pour le climat organisé par une pétromonarchie du Golfe.
Si toutes les COP permettent de progresser ou de mettre sur la table des sujets décisifs, certaines sont considérées comme "techniques", quand d'autres (comme la COP21 organisée à Paris en 2015, ou la COP26 à Glasgow, en Ecosse) sont notées sur l'agenda comme des points d'étapes essentiels. Logiquement, elles attirent davantage de monde, même si la palme du nombre revient à Dubaï (COP28) avec ces plus de 80 000 participants, venus faire, voir ou observer, le premier bilan de l'accord de Paris.
Pour les acteurs exclus du cœur des négociations (comme les médias, les dirigeants d'entreprises, les scientifiques, les universitaires ou les militants), cette COP29 en Azerbaïdjan, "technique" et axée sur la finance, suscite moins d'intérêt que la suivante qui sera organisée à Belem (Brésil) et marquera les 10 ans de l'accord de Paris. Cités par le Financial Times, des dirigeants du monde de la finance assuraient début octobre qu'ils seraient présents à Belem, mais pas à Bakou. Ils évoquaient par ailleurs "moins d'opportunités de faire du réseau avec les clients" et une "logistique difficile".
Les décisions d'Etats de ne pas envoyer de délégations à la COP29 sont encore plus alarmantes pour la santé même de ce processus multilatéral. Le 31 octobre, le ministre des Affaires étrangères de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Justin Tkatchenko, a confirmé que son pays boycotterait les négociations, qualifiées de "perte de temps". "Il ne sert à rien d'y aller si c'est pour s'endormir, à cause du décalage horaire. Parce que nous ne ferons rien", a attaqué le ministre papouan, dans un nouvel effort pour alerter sur l'inaction des grands émetteurs de gaz à effet de serre, notamment les états pétroliers tels que l'Azerbaïdjan.
Un pays hôte qui restreint les libertés
L'Azerbaïdjan, pays du Caucase riche en hydrocarbures et allié de la Russie de Vladimir Poutine, est un hôte pour le moins controversé pour cette COP29. Alors que Bakou réprime toute forme de contestation, le Parlement européen a adopté fin octobre une résolution non contraignante dénonçant "la répression qui s'est sensiblement intensifiée dans la perspective de la COP29". "Les violations des droits de l'homme actuellement perpétrées par l'Azerbaïdjan sont incompatibles avec son statut de pays hôte", juge-t-il aussi. Le Quai d'Orsay déconseille même de s'y rendre, pour ne pas s'exposer "à un risque d'arrestation, de détention arbitraire et de jugement inéquitable".
Dans ces conditions, la venue de militants d'ONG ou d'universitaires, acteurs qui participent aux COP en marge des négociations, risque d'être moins importante que ces dernières années. Certains ont d'ailleurs dénoncé la difficulté à obtenir des laissez-passer pour l'événement, tandis que trois journalistes français et britanniques, cités en juin par The Guardian, déploraient déjà s'être vu refuser l'accès à une conférence sur l'énergie organisée dans la capitale azerbaïdjanaise et témoignaient d'intimidations sur place.
"À l'approche de la COP29, l'environnement de la société civile en Azerbaïdjan est devenu de plus en plus contraint et dangereux", confirme la journaliste Arzu Geybulla et la chercheuse Ruth Townend dans un rapport du groupe de réflexion Chatham House (en PDF). Or "sans l'espace et l'impulsion nécessaires aux contributions des universitaires et de la société civile, l'Azerbaïdjan risque d'échouer dans ses efforts de leadership climatique, avec des conséquences tant au niveau national qu'international", observent-elles. Reste à voir si l'absence de ces voix se traduira sur les ambitions qui sortiront de cette COP29. Une COP technique, mais cruciale.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.