: Reportage A la COP26, la part belle faite aux scientifiques : "On doit travailler directement avec ceux qui prennent des décisions difficiles"
A Glasgow, les pavillons scientifiques étaient plus nombreux que les années précédentes. Les chercheurs se réjouissent de cet espace de rencontre avec les décideurs politiques.
Dans la zone des pavillons de la COP26, regroupant les stands d'Etats ou d'organisations, il y a l'Indonésie, qui tente d'attirer les visiteurs avec ses gâteaux, le pavillon "business", qui met en avant de nouveaux bâtiments recouverts de plantes, ou encore le Qatar, qui vante les mérites de ses stades, pourtant très énergivores, pour la Coupe du monde de football 2022. Et puis, il y a les scientifiques. "Nous, on n'a rien à vendre. On est juste là pour partager nos observations de terrain", décrit Heidi Sevestre. Tantôt assise par terre, tantôt en pleine discussion sur le permafrost, cette glaciologue participe à tous les événements organisés sur le stand de la cryosphère, cette composante glacée et fragile de notre planète. De hauts panneaux y détaillent, entre autres, les risques irréversibles d'une fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique.
Il y a deux ans, lors de la COP25 à Madrid, le stand consacré à la cryosphère était le tout premier pavillon scientifique thématique. Aujourd'hui, ils sont plusieurs. On retrouve le pavillon "Science", qui regroupe des intervenants du Giec, de l'Organisation météorologique mondiale et du Met Office. A quelques mètres, on découvre celui dédié à l'eau, avec son écran géant et sa fontaine. Plus loin encore, dans une ambiance cosy avec ses nombreux fauteuils, le pavillon consacré au méthane accueille lui aussi les visiteurs.
"A Katowice, on était au fond du hangar"
Au fil de ces conférences internationales sur le climat, la présence des scientifiques s'est accrue. "Je me souviens à Marrakech pour la COP22, il y avait un jour dédié à l'eau. J'ai animé une conférence sur le sujet. C'était 90 minutes seulement. Aujourd'hui, on a un pavillon entier, pendant douze jours", se réjouit John Matthews, biologiste spécialiste de l'eau. Cerise sur le gâteau, l'espace qui leur est dédié est central. "A Katowice (Pologne) en 2018, le pavillon scientifique était tout au fond du hangar. On était très loin de tout le reste, les gens qui venaient nous rendre visite devaient être vraiment motivés. Là, c'est chouette, on est juste derrière le pavillon de la présidence britannique", salue Valérie Masson-Delmotte, climatologue et coprésidente du Giec.
Elle ne pourra, pour sa part, qu'y passer en coup de vent. A Glasgow, son agenda est très chargé, entre les conférences sur les résultats du dernier rapport des experts du climat et les sessions de questions-réponses avec les délégations nationales. "On vient d'avoir des questions très techniques", remarque Valérie Masson-Delmotte à la sortie d'un marathon de plusieurs heures sur les conséquences régionales du changement climatique. En face d'elle, dans un immense amphithéâtre sombre, des négociateurs du Panama, d'Inde, des Etats-Unis ou du Brésil se sont interrogés sur les événements extrêmes auxquels ils devront bientôt faire face. "On voit qu'il y a une attention plus grande accordée à la science."
Réunir scientifiques et décideurs dans un même lieu est, pour tous ces chercheurs, primordial dans la lutte contre la crise climatique. "On a peu l'occasion de parler directement aux politiques. Mais c'est important, la science est la fondation des négociations", insiste Heidi Sevestre, qui vient de discuter des pertes des glaciers alpins avec le président suisse. "La science est indispensable dans ces conversations", acquiesce Steven Hamburg, président du comité scientifique de l'Observatoire international des émissions de méthane.
Son sujet de prédilection a longtemps été ignoré par la communauté internationale. "On avait du mal à faire comprendre qu'il y a plusieurs gaz à effet de serre et qu'on ne peut pas les traiter de la même manière. Très peu de NDC [ces plans d'action des signataires de l'Accord de Paris] incluent des engagements sur le méthane, alors que c'est un gaz à effet de serre puissant qui a l'avantage d'avoir une courte durée de vie dans l'atmosphère", déplore-t-il. Il peut désormais se satisfaire d'un accord signé par une centaine de pays pendant la COP26 pour réduire les émissions de méthane d'ici 2030.
"Beaucoup de gens ici font des annonces. Il faut les en tenir aux faits, s'assurer que les mesures sont réalistes. On ne peut pas se permettre de perdre de l'énergie dans des demi-mesures ou dans de mauvais investissements. On n'a pas le temps pour ça !"
Steven Hamburg, chercheur et spécialiste du méthaneà franceinfo
"On doit sortir de nos labos"
Mais pour le biologiste John Matthews, "écouter la science" ne suffit pas. L'échange doit aller dans les deux sens. "Je ne peux pas savoir comment conseiller le Népal pour maintenir leur énergie hydraulique, ni l'Egypte pour son programme de résilience... Sauf si je m'assois avec eux et tente de comprendre leurs problèmes", insiste-t-il. Hors de question d'attendre que les délégués viennent à lui : il a profité de ses deux semaines à Glasgow pour aller à leur rencontre et "apprendre". "On doit sortir de nos labos et travailler directement avec les gens qui prennent des décisions difficiles chaque jour !"
Ce travail a déjà largement commencé, notamment dans la construction des rapports du Giec, socle scientifique des négociations, rappelle Valérie Masson-Delmotte. "Quand on les prépare, on écoute les besoins exprimés par les gouvernements et, à la fin, ils participent à la relecture", explique la climatologue. Ce processus a participé, selon elle, à une montée "nette" du niveau de connaissance sur ces enjeux par les décideurs.
Reste maintenant à les accompagner dans les mesures d'adaptation de leurs sociétés aux conséquences croissantes du réchauffement climatique. "C'est très centré sur l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre pour le moment. Il y a certainement une marge de progression très importante sur l'apport des connaissances académiques à l'adaptation", avance Valérie Masson-Delmotte. Après la décennie de la prise de conscience vient donc la décennie de la mise en œuvre, et les scientifiques veulent être de la partie. La COP veut l'inscrire noir sur blanc : "La COP reconnaît l'importance d'avoir la meilleure science possible pour une action climatique efficace et pour la prise de décision", peut-on lire dans le projet de résolution (PDF) diffusé mercredi 10 novembre.
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