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Hérissons décharnés, oiseaux de montagne perturbés... Ces animaux qui font les frais d'un printemps trop chaud et trop sec

Le mois de mai a été le plus chaud jamais enregistré en France et certains animaux souffrent déjà des effets d'une sécheresse précoce. À plus long terme, c'est tout un pan de la biodiversité qui est déjà en train de disparaître.

Article rédigé par Ludovic Pauchant
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un lagopède alpin exposé à ses prédateurs à cause de son plumage devenu blanc alors que les neiges tombent de plus en plus tard dans l'année. (LEWIS WASILEWSKI / 500PX / 500PX)

"Ils arrivent de partout, parfois à l'état de squelette, c'est une catastrophe !" Depuis quinze ans, Sara Stahl recueille des hérissons blessés ou malades au P'tits Kipikle centre de soins qu'elle a créé en région parisienne Depuis quelques mois, elle voit affluer dans son centre nombre de hérissons affaiblis, déshydratés ou dénutris, apportés par des particuliers. "Les hivers sont devenus trop doux et ils ne permettent plus aux hérissons d'hiberner, tandis que les étés sont devenus trop chauds, explique-t-elle. Comme ils n'ont pas pu hiberner, ou dans de bonnes conditions, ils s'épuisent tout l'hiver à chercher à manger, alors que le cycle de reproduction des insectes dont ils se nourrissent s'arrête."

L'hiver a été doux, et le printemps plus encore. Le mois de mai 2022 a été le plus chaud jamais enregistré en France, avec des températures supérieures de plus de 3°C aux normales saisonnières. Durant la troisième semaine de mai, la température moyenne nationale n'est pas descendue en dessous de 20°C, du jamais vu. Mai 2022 a aussi été l'un des plus secs, avec un déficit de pluviométrie qui rejoint les records de 1976, 1989 et 2011, obligeant les petits mammifères à parcourir plusieurs kilomètres pour s'hydrater. 

D'autres espèces souffrent de ce manque d'eau, comme les abeilles, les écureuils ou les oiseaux. La Ligue de protection des oiseaux (LPO) alertait ainsi, courant mai : "La petite faune souffre du manque d'eau et de la sécheresse." En incitant les particuliers à disposer dans leur jardin un récipient rempli d'eau "dans un endroit dégagé" pour permettre aux oiseaux, mais aussi aux hérissons, aux écureuils ou aux abeilles de "se désaltérer en toute sécurité"

Toute la chaîne alimentaire est déréglée

En Provence-Alpes-Côte d'Azur, la sécheresse frappe tous les départements de la région et le comportement de certains animaux ont changé. Ainsi, des sangliers ont été observés sur la plage de Pampelonne, dans la presqu'île du golfe de Saint-Tropez, peu avant le week-end de l'Ascension. "Le sanglier est un animal omnivore, relève Eric Hansen, directeur de l'Office français de la biodiversité (OFB) pour la région Paca et la Corse. Et s'il ne trouve pas à manger sur son territoire, il sera attiré par les poubelles dans les villes." Il poursuit : "C'est déjà arrivé que les sangliers percent des tubes d'irrigation agricole pour trouver de l'eau lorsqu'elle vient à manquer dans leur lieu de vie." 

Le réchauffement du climat manifeste un effet de plus en plus marqué sur les espèces. Parmi elles, des icônes malgré eux, comme l'ours polaire au pôle Nord, ou les manchots au pôle Sud, qui ont besoin de la banquise et la glace pour survivre. Et sous nos latitudes, les espèces de montagne, qui ont besoin de fraîcheur pour vivre. "Plus la température s'élève, plus ces espèces doivent grimper en altitude, explique l'écologue Florian Kirchner, chargé du programmes Espèces au comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l'une des principales organisations non gouvernementales mondiales consacrées à la conservation de la nature. Du fait de la nature conique des montagnes, plus les animaux montent, moins ils ont d'espace et plus la concurrence entre eux est forte, puisque les ressources y sont limitées."

Aux sommets, une course à la ressource

Dans les Alpes, par exemple, une équipe de scientifiques grenoblois a mis en évidence que certains animaux et certaines plantes avaient migré en altitude en seulement quelques décennies : la limite la plus basse à laquelle on observait les espèces est aujourd'hui plus haute qu'elle ne l'était avant. Certaines espèces de basse altitude ne s'y trouvent plus et ont dû se réfugier plus haut. "Cela fait à peine vingt ou trente ans que l'on voit les premiers effets malheureux sur la faune et la flore de l'augmentation des températures causée par l'activité humaine, poursuit Florian Kirchner. Mais le phénomène s'accélère, et cette accélération s'inscrit dans un cadre très court à l'échelle des temps géologiques." 

"Dans cette migration vers les sommets, comme il n'y aura pas de ressources alimentaires pour tout le monde, des espèces disparaîtront."

Florian Kirchner

à franceinfo

Une espèce a deux réponses possibles face au changement climatique : s'adapter ou migrer. L'adaptation par la sélection naturelle ne sera pas possible pour la majorité des espèces, puisque ce phénomène s'inscrit sur un temps très long, de l'ordre du siècle ou du millénaire. Or le changement climatique galope à une vitesse telle que la descendance des animaux n'aura pas le temps de s'adapter, dans leur très grande majorité. Faute de pouvoir s'adapter, les espèces doivent migrer. Mais migrer n'est possible que pour celles qui sont très mobiles, comme les oiseaux, par exemple, ou les mammifères doués de grandes capacités de dispersion. Pour des petits animaux, comme des escargots, des lézards ou certains petits oiseaux, la migration est difficile, voire impossible. Ceux qui pourront migrer devront retrouver des habitats favorables ailleurs, et se retrouveront en concurrence avec d'autres animaux pour se partager les ressources qu'ils pourront y trouver.

Outre cette course aux ressources, certaines espèces se voient imposer d'autres difficultés par le changement climatique. C'est le cas, par exemple, du lagopède alpin, un oiseau de haute altitude dont le plumage change au fil des saisons : gris et brun en été, et entièrement blanc en hiver. "Le lagopède est un oiseau dont le plumage est mimétique, explique Florian Kirchner. C'est à dire qu'il lui sert à se confondre dans son environnement : dans le gris de la roche l'été, et dans les surfaces enneigées en hiver. Le problème est que son changement de plumage se fait au fil des saisons, en fonction de la durée du jour et de la nuit, toujours à la même période. Or depuis ces dernières années, l'enneigement arrive de plus en plus tard." Le lagopède n'est alors plus synchronisé avec son environnement : l'oiseau se retrouve avec un plumage blanc, alors que la neige n'est pas encore tombée, et devient vulnérable face aux prédateurs, comme le renard, la fouine, l'aigle royal, le faucon pèlerin ou le hibou grand-duc.

Peu d'espèces tireront leur épingle du jeu

Certaines espèces pourraient-elles, au contraire, profiter du changement climatique ? "Elles existent, mais dans l'ensemble, il y aura beaucoup plus de perdants que de gagnants, prévient Florian Kirchner. Les quelques rares espèces qui pourront profiter du réchauffement climatique pour étendre leur aire de répartition sont les espèces dites ubiquistes, qui peuvent s'adapter facilement à des nouveaux habitats." Comme, par exemple, le moustique tigre, une espèce tropicale désormais présente sur les deux tiers du territoire français et qui semble parfaitement s'y plaire.

"Ne nous voilons pas la face, des espèces disparaîtront dans les années à venir et le rythme d'extinction s'accélère. Et quand une espèce disparaît, elle est perdue à jamais."

Florian Kirchner

à franceinfo

Certaines espèces s'adapteront, cependant : dans une étude publiée mercredi 25 mai dans la revue scientifique Science, des scientifiques de l’Université nationale australienne à Canberra établissent que sur les 19 populations d’oiseaux et de mammifères sauvages qu'ils ont étudiées, leur évolution a été en moyenne deux à quatre fois plus rapide ces dernières décennies que ce que leurs modèles laissaient présager.

"Il n'est pas trop tard pour agir, poursuit Florian Kirchner. Plus on agit tôt, plus on réussira à préserver les espèces à l'avenir : c'est cela l'enjeu pour nous, associations de protection de la nature ou scientifiques. Il faut d'urgence préserver tous les milieux naturels qui nous entourent pour donner le maximum de chances aux espèces de s'en sortir, d'une part, et lutter de manière déterminée contre le changement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre."

Chacun à son échelle : Sara Stahl, dans son centre de soins, continue, elle, à soigner les hérissons déshydratés. "Avant, on recueillait surtout des hérissons blessés par des tondeuses à gazon, soupire la bénévole. Là, ils arrivent affaiblis, presque morts. Ça empire chaque année et j’ai peur que ça devienne de pire en pire." 

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