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Vidéo Réchauffement climatique : les forêts urbaines, la bonne solution pour rafraîchir nos villes ?

Les projets de "forêts urbaines" se sont multipliés dans le monde entier et notamment en France. En plus de l'intérêt esthétique, cette végétation citadine doit permettre aux villes de mieux résister aux effets du réchauffement climatique. Simple effet d'annonce ou véritable solution ?
Article rédigé par franceinfo, Thomas Destelle
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le jardin forêt de la Bibliothèque Nationale de France (BNF), à Paris. (LUC NOBOUT / MAXPPP)

Le lieu n'a pas été décidé au hasard. Il y a cinq ans, une mini-forêt a été plantée au bord du périphérique parisien, entre la porte de Montreuil et celle de Bagnolet. "On a choisi cet endroit parce que ce boulevard est un symbole de l'urbanisme désagréable", raconte Damien Saraceni, coprésident de Boomforest. L'association a lancé ce projet en 2018. Plus de 1 200 arbres ont été plantés sur une surface de 400 m², l'équivalent environ de deux terrains de tennis.

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De l'extérieur, il est difficile de se rendre compte qu'une forêt pousse sur cette bordure de périphérique. Seule une pancarte rappelle aux passants le but du projet et le financement du budget participatif de la ville de Paris. "On avait vraiment un talus enherbé qui était tondu, décrit le coprésident de Boomforest. Aujourd'hui, on a des chênes, des érables, des tilleuls… Ces espèces locales se retrouvent dans les forêts d'Île-de-France." Derrière les grilles, la progression à travers la végétation est devenue ardue. Les plants de 30 cm au départ dépassent aujourd’hui largement les deux mètres par endroits.   "On a plusieurs strates végétales. Elles justifient pour nous le terme de forêt. On n'est pas sur une plantation avec un seul type d'arbre. On essaye de recréer un écosystème mimant celui d'une forêt plus grande", précise Damien Saraceni.

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Si la définition des forêts urbaines est parfois très large et diffère selon les organismes, elle désigne généralement les boisements replantés ou créés artificiellement sur des friches dans la ville ou à sa périphérie. Ces plantations sont présentées comme l'une des solutions face au réchauffement climatique. À la porte de Montreuil, "le premier intérêt était de cacher le périphérique et de minimiser le son" de la circulation, explique le coprésident de Boomforest . Il y a aussi une nette différence au niveau du ressenti sur les températures et l'ombrage." C'est l'autre bénéfice mis en avant pour ces forêts : lutter contre la chaleur urbaine. Lors d'une canicule, les villes sont en première ligne notamment en raison du phénomène d'îlot de chaleur urbain. Le phénomène désigne l'augmentation plus importante de la température dans un espace urbanisé dense et peu végétalisé par rapport à la campagne environnante, plus fraîche. 

Une multiplication des projets

Les municipalités cherchent donc à ramener la nature dans les villes. Et l'idée n'est plus de planter simplement des arbres tous les cinq à dix mètres mais de "débitumer" le sol et reproduire le fonctionnement des forêts. En plus d'apporter davantage de biodiversité, cette végétation urbaine doit permettre de rafraîchir et humidifier l’air ambiant l’été. Les projets se multiplient et apparaissent partout en France, notamment à Bordeaux, Metz ou encore Colombes. Après son premier essai parisien, l'association Boomforest a initié d'autres projets, notamment à Cergy-Pontoise ou à Lyon.

Le paysagiste Michel Desvigne explique que "lorsque vous avez des cordons boisés beaucoup plus denses, il y a très rapidement une ombre conséquente, mais surtout une présence de sol continu, très différente, qui a la vertu d'amener une fraîcheur." L'un des premiers projets de Michel Desvigne date du début des années 1990. Au milieu d'un ensemble de logements sociaux conçus par Renzo Piano, une mini-forêt d'une centaine de bouleaux s'élève parfois très proche du bâti. "Il y avait cette idée de rentrer dans un milieu naturel et tout le monde vivrait avec ses fenêtres ouvertes dessus, se souvient le paysagiste. On a planté des arbres à 30 cm des façades alors qu'à l'époque les prescriptions étaient de planter à neuf mètres d'une façade pour un arbre de grande hauteur et puis 12 mètres entre les arbres."

Depuis, Michel Desvigne est devenu un grand nom du paysage français. Il redessine des jardins et centres-villes dans le monde entier. Jusqu’à inspirer la mairie de Paris en matière de forêts urbaines ? Les projets mis en avant par la municipalité dirigée par Anne Hidalgo ont fait réagir dernièrement, et notamment celui d'une forêt urbaine devant l’Hôtel de Ville.

En 2019, une vue d'artiste de la forêt urbaine qui a été envisagée place de l’Hôtel de ville, à Paris. (CÉLINE ORSINGHER / APUR / VILLE DE PARIS)

L’image fait sourire l'architecte-paysagiste Caroline Mollie et autrice d' À l'ombre des arbres. Planter la ville pour demain . "L'illustration de la forêt urbaine devant l'Hôtel de Ville est absolument incroyable, déplore l'architecte-paysagiste. On a collé une image de lieu magique dans un endroit où cela est absolument impossible. Ce sol sur lequel les gens s'allongent, rêvassent, font des pique-niques, vous n'y arriverez pas." Elle juge ces espaces naturels souvent inaccessibles et "frustrants pour les citadins aux alentours".

"Cela peut s'apparenter à de la broussaille, et les gens sont frustrés parce qu'ils ne peuvent pas se mettre à l'ombre des arbres."

Caroline Mollie, architecte et urbaniste

à franceinfo


Au final, le projet devant l'Hôtel de Ville a été abandonné comme celui devant l'Opéra Garnier ou à proximité de la gare de Lyon. Mais la mairie continue de vouloir ses forêts urbaines. Un projet est notamment en cours place de la Catalogne dans le 14e arrondissement et un autre projet place du Colonel-Fabien, dans l'est de Paris. Des futurs lieux boisés provoquant "des images symboliques qui ont une valeur politique nécessaire, argumente Michel Desvigne. Il y a besoin de symboles pour que les gens adhèrent à une vision. Pour qu'elle intéresse, il faut entraîner et motiver." Caroline Mollie attend de voir le résultat place de la Catalogne. Pour elle, les promesses de forêt en ville sont des mensonges : "Le terme de forêt évoque vraiment un milieu, un moment ou un bien-être que ne pourra jamais offrir la forêt dite urbaine telle qu'elle est pensée et plantée." 

Une méthode miracle ?

Sa critique porte aussi sur une méthode souvent utilisée pour les forêts urbaines et présentée comme révolutionnaire : la méthode Miyawaki. Cette méthode, du nom de son créateur japonais, est présentée comme une solution rapide pour faire pousser les arbres. Elle utilise des espèces locales en les plantant très densément avec l’avantage d’avoir peu besoin d’intervention humaine. "L'idée que l'on peut créer une forêt en cinq ou dix ans est fausse, assure Caroline Mollie. Des jeunes plants à l'arbre adulte, il faut énormément travailler cette future forêt. Il faut enlever, nettoyer, élaguer, éclaircir et c'est tout un métier."

L'implantation d'une forêt avec la méthode Miyawaki sur la promenade de la Doller à Mulhouse, le 3 mars 2021. (DAREK SZUSTER / MAXPPP)

La méthode Miyawaki est aussi accusée d'engendrer une surmortalité des arbres plantés au bout de quelques années. Aucune étude précise n'existe en France pour l'instant pour évaluer le concept du paysagiste japonais. L’association Boomforest a utilisé cette méthode pour ses plantations. Depuis deux ans, le coprésident de l’association assure ne plus passer dans la parcelle parisienne en bordure de périphérique, plantée il y a cinq ans. "Il faut de l’entretien au début, pendant trois ans, pour couper les herbes qui vont concurrencer les arbres au niveau de la lumière et de l’eau, indique Damien Saraceni. Au bout de trois ans les arbres sont suffisamment hauts et feuillus pour faire de l’ombre au sol et créer leur micro-climat." 


"À l'origine, l'idée était de tester la méthode Miyawaki et réaliser plusieurs expérimentations pour avoir des données et voir si ce qui a été testé dans plein d'autres pays peut être aussi un succès en France. Jusqu'à présent, on est très content parce qu'on estime que c'est le cas."

Damien Saraceni, co-président de Boomforest

à franceinfo

S’il y a certaines réussites, il s’agit pour l'architecte-paysagiste Caroline Mollie de projets situés en marge de la ville, loin du centre urbain : "On aura un massif végétal qui va fournir éventuellement un peu d'oxygène mais qui ne va pas créer un lieu agréable. On n'offre pas une forêt urbaine en centre-ville." L’urbaniste prône l’élaboration de parcs et de jardins "et y introduire les ingrédients tel que des arbres, des arbustes, des fleurs, des bancs, de l'eau si c'est possible, c'est toujours agréable. Il faut s'adapter aux besoins des populations et surtout bien penser à l'ombre prodiguée."

Des parcs et des jardins que Michel Desvigne estime devoir changer, avec la fin en ville de l’arbre "un peu considéré comme un lampadaire" : "Le sol est terriblement minéral et appauvri dans nos villes. Donc même les parcs doivent évoluer." Le paysagiste ne se prononce pas sur la méthode Miyawaki mais quand il entend parler de forêt urbaine, il souligne qu'il ne faut pas se concentrer uniquement sur les centres-villes : "C'est toute la ville qu'il faut considérer. Les centres-villes historiques nous aveuglent alors qu’ils ne sont qu’une part très limitée de nos villes actuelles. Il y a les banlieues avec ses grands ensembles et ses quartiers pavillonnaires." Il cite en exemple ces banlieues de l’est des Etats-Unis où les maisons et les forêts semblent ne faire qu’un. "Il y a une immense marge d'adaptation de nos villes, insiste Michel Desvigne. Les sols peuvent se rouvrir et on peut au final planter considérablement."

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