Cet article date de plus de deux ans.

Reportage Réchauffement climatique : en Aveyron, une association explore des alternatives à la voiture, car "si on ne change pas, on fonce dans le mur"

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Michel et Hélène Jacquemin à bord d'un prototype de 'Véloto', le 19 février 2022 à Saint-Beauzély (Aveyron). (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Fondée en 2018 à Castelnau-Pégayrols, un petit village de montagne, l'association In'VD milite pour sortir les territoires ruraux de leur dépendance à la voiture individuelle. Franceinfo est allé faire le tour des nombreuses initiatives locales sur ce sujet brûlant, entre réchauffement climatique et hausse des prix du carburants.

Cet article fait partie de notre opération "Les focus de franceinfo", qui met en avant des sujets-clés peu traités dans la campagne présidentielle : le coût du logement, la crise de l'hôpital public, le tabou de la santé mentale et l'empreinte carbone des transports.


Il a déboulé sans un bruit, au détour d'un virage de la vallée de la Muse. "Salut !", lance Michel Jacquemin, 65 ans, aux cyclistes qui montent depuis Millau (Aveyron) vers son village de Castelnau-Pégayrols. Le temps de faire demi-tour et le voilà à notre hauteur, aux commandes d'un engin que vous n'avez sans doute jamais croisé sur une route. Quatre roues, un guidon surélevé façon Harley-Davidson, deux sièges, des pédales, un pare-brise bricolé avec du plastique récupéré et un moteur électrique... La "bête", comme il la surnomme, n'est plus un vélo mais pas encore une automobile. "Ça, c'est la voiture de demain", annonce le conducteur, en vantant un hybride d'un nouveau genre : électrique et... muscles. La veille, il a mis 32 minutes pour remonter de la ville (18,8 km) avec sa femme, contre 21 minutes en voiture et une heure et demie à vélo musculaire.

Le village de Castelnau-Pégayrols (Aveyron) se situe sur le relief escarpé du Lévézou, entre Millau et Rodez. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

"P3", pour prototype 3, est un 'Véloto', un véhicule à quatre roues et à pédales, doté de deux places assises et d'une assistance électrique permettant de grimper à 45 km/h sans effort. Il est prêté par son concepteur à l'association In'VD, dont Michel est l'un des coprésidents, pour "le tester en conditions réelles". L'objectif : mettre au point un véhicule léger, peu polluant, capable, dans ce territoire rural et escarpé, de remplacer la voiture thermique, une source importante d'émissions de gaz à effet de serre, l'un des moteurs principaux du réchauffement climatique, et un mode de transports dont les coûts s'envolent avec la hausse du prix des carburants. "Cela fait un moment que je cherche des alternatives à la voiture, retrace Michel. Un outil de 1,5 tonne pour déplacer une personne de 80 kg, c'est une aberration écologique (...) Si on continue, on va dans le mur." Et ne lui parlez pas de la fragilité d'un tel véhicule lors d'un accident : Michel Jacquemin égrène les morts et les problèmes de santé provoqués par la vitesse excessive, la pollution de l'air, le manque d'activité physique et le réchauffement climatique. "Si on roulait tous avec ça, ça diminuerait ces risques, on apaiserait la circulation", estime-t-il.

Michel et Hélène Jacquemin avec leur 'véloto', le 19 février 2022 à Castelnau-Pégayrols (Aveyron). (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

"La voiture électrique ne règle pas le problème"

C'est en voyant Thomas Lesay, un éleveur de brebis du Larzac, faire régulièrement à vélo les 15 km escarpés séparant sa ferme de Millau, la sous-préfecture du département, que Michel a commencé à réfléchir à ses déplacements. Il essaie d'abord de l'imiter mais est rapidement découragé par le dénivelé du haut plateau du Lévézou et des douleurs au dos. "J'ai mis un kit électrique sur mon vélo il y a quinze ans, ça a été la révélation. Je me suis rendu compte que je pouvais faire autrement que de prendre ma voiture", raconte-t-il. Ce menuisier organise ses chantiers de manière à déposer ses outils et matériaux le premier jour en camionnette et s'y rendre ensuite à vélo. Il tente aussi de convertir son village, "100 habitants, 200 voitures". "Les gens me disaient 'Je n'ai pas le temps, j'ai des enfants à promener, quand il fait mauvais comment tu fais ?", se souvient-il. En alignant les kilomètres à vélo, Michel commence à cogiter sur "des solutions très peu énergivores, répondant à tous ces contre-arguments".

Ces réflexions aboutissent en 2018 à la création, avec sa femme Hélène, de l'association Innovation-véhicules doux (In'VD). Une démarche inédite dans une région rurale de montagne où tout pousse vers la voiture : les distances, le dénivelé... Dirigée de manière collégiale, elle compte aujourd'hui 10 coprésidents et 184 adhérents. Son premier objectif est de participer à la mise au point de véhicules innovants respectueux de l'environnement. "Projeter un modèle tout-Tesla, c'est mobiliser des quantités de ressources naturelles phénoménales. Quand ils achètent cette voiture, les gens achètent aussi deux camions de minerais avec", justifie Philippe Cabon, 63 ans, polytechnicien à la retraite et coprésident d'In'VD. "La voiture électrique ne règle pas le problème du poids, de la quantité d'énergie consommée. Notre batterie sur le P3 pèse 10 kg ; sur une Tesla, c'est 500 kg", abonde Hélène Jacquemin, 60 ans.

Pierre-Yves de Boissieu, 73 ans, le 18 février 2022. Ce retraité de l'agriculture fait régulièrement son marché (30 km aller-retour) à Millau (Aveyron) avec son vélo électrique et sa remorque. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Via leur programme baptisé "Vitamines 12" – pour "Véhicule innovant territoire d'accueil mobilité inclusive nouvelle écologie solidaire de l'Aveyron" –, ils testent donc des prototypes prêtés par des constructeurs, comme ce "P3" ou, il y a quelques mois, le Wello, un triporteur. "On est prêts à accueillir tous les constructeurs qui le souhaitent, lance Hélène Jacquemin. Nous avons les entreprises et des gens volontaires pour s'y mettre". Leur cahier des charges est simple : un véhicule léger, non polluant, capable de transporter deux adultes et une charge.

"C'est un peu le cahier des charges de la 2CV, en fait."

Eric Artières, 64 ans, pédiatre et coprésident de l'association In'VD

à franceinfo

Une "semaine sans ma voiture"

Leur action ne s'arrête pas là. "C'est très difficile de changer ses habitudes, de laisser sa voiture, qui est très confortable, donc on accompagne les gens", explique Michel Jacquemin. Cet accompagnement au changement se fait via l'organisation de "semaines sans ma voiture", dans des communes des environs, à l'hôpital de Millau et bientôt à l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) de Montpellier (Hérault). Le principe est simple : pendant une semaine, l'association prête des véhicules non polluants aux habitants et salariés pour qu'ils les expérimentent dans leur quotidien.

Directrice de l'hôpital, Sylvie Marty, 54 ans, a immédiatement accepté d'accueillir l'événement. "Comme centre hospitalier, cela me paraissait évident de participer à l'amélioration de la qualité de l'air et de favoriser l'activité physique. Le vélo, c'est bien pour l'agent hospitalier et bien pour l'environnement", justifie-t-elle, avant de lister les bienfaits de l'activité physique : diminution des risques de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2, de cancer, d'obésité et amélioration de la santé psychique.

Cécile Méjane, infirmière à l'hôpital de Millau (Aveyron), et son vélo électrique, le 18 février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Avant cette semaine, organisée en juin 2021, Cécile Méjane, 58 ans, utilisait de manière occasionnelle son vélo pour se rendre à l'hôpital (6 km aller-retour). "La semaine sans ma voiture, que j'ai co-organisée, m'a boostée. Il y avait vraiment une émulation. Je me suis acheté un bon VTC électrique et je viens maintenant tout le temps avec", témoigne cette infirmière en addictologie, adhérente d'In'VD. A la clé, un gain économique certain en cette période de flambée des prix du carburant – "Je ne fais même pas un plein d'essence par mois" – et psychologique. "Le vélo, c'est vraiment du plaisir, cela me rappelle mon enfance, poursuit-elle. Cela donne le ton de la journée, vous arrivez en forme".

Le test n'a pas été concluant pour toutes les 34 personnes qui ont emprunté un "véhicule doux" au cours de cette semaine. Céline Constant, une infirmière de 46 ans, a testé "un super vélo", mais elle s'est rendu compte que les 12 km qui la séparent de son domicile ne sont "pas du tout praticables".

"Venir au travail la nuit sur cette route où les voitures roulent vite, ce n'est pas possible."

Céline Constant, 46 ans, infirmière à l'hôpital de Millau

à franceinfo

"Les politiques n'osent pas y aller"

Améliorer les infrastructures, pour qu'elles offrent davantange de place aux nouveaux moyens de circuler, fait aussi partie des chantiers de l'association. Bruno Allier, un autre coprésident de 57 ans, participe à la commission circulation de Millau et pousse à la mise en place de nouvelles pistes cyclables dans cette ville qui en compte peu. "Les politiques sont intéressés par ce sujet mais n'osent pas y aller. C'est l'association qui doit se bouger. Ici, la mentalité, c'est encore la voiture", regrette cet ancien directeur de magasin d'articles de sport, qui ne possède plus d'automobile depuis neuf ans.

Bruno Allier, sa remorque et son vélo, le 17 février 2022 à la déchetterie de Millau (Aveyron). Cet ancien directeur de magasin d'articles de sports n'a plus de voiture et fait tout avec son vélo à Millau, comme aller déposer ses déchets. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

In'VD semble malgré tout bénéficier d'une oreille attentive à la mairie de Millau avec Emmanuelle Gazel (PS), élue en 2020. "Dans un processus de changement, le plus dur, c'est le premier jour. Et avec leur opération 'Une semaine sans ma voiture', un très bel outil, il y a plusieurs opportunités d'avoir ce premier jour", développe l'élue. La région Occitanie, dont elle est conseillère régionale, a accordé une subvention de 70 000 euros à In'VD pour créer un kit, qui permettrait à des entreprises, des communes ou des associations de décliner cette semaine sans voiture un peu partout en France.

Le Parc naturel régional des Grands Causses regarde aussi avec intérêt les projets de l'association, qu'il soutient depuis le début. Son directeur général, Florent Tarrisse, décrit un territoire "hyper dépendant de la voiture". "Ici, certains n'ont pas d'autre choix que d'avoir une voiture. Quand on leur dit qu'il faut arrêter de rouler, ils le ressentent comme une agression personnelle, ils sont dans la dépendance, développe-t-il. Donc notre idée, c'est de mettre du choix", en encourageant de multiples solutions : plans de déplacements inter-entreprises, covoiturage avec Rezo Pouce, autopartage, prêt de vélos électriques, bus entre Millau et Saint-Affrique. Les propositions d'In'VD sont vues comme une manière d'enrichir ce panel.

Philippe Huet, 60 ans (à gauche) et Claude Valles, 73 ans, devant le garage où l'association stocke sa flotte de véhicules, le 17 février 2022 à Millau (Aveyron). (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

"On le paye avec le réchauffement climatique"

Certains soutiens sont plus inattendus. En 2019, une première semaine sans ma voiture a été organisée à Saint-Beauzély, un village dont le maire, Benjamin Boissière, est patron d'une auto-école à Millau. "Je ne suis pas dans le tout-voiture. Ici, on parle à nos élèves d'intermodalité, de partage de la chaussée", explique ce trentenaire, qui estime qu'il va falloir se "déplacer différemment" à cause de "nos émissions de gaz à effet de serre et du réchauffement climatique". Contraint de se rendre à Millau en voiture, son outil de travail, lui-même prend le vélo pour circuler dans son village et le bus quand il va à Montpellier (Hérault).

"Les mentalités commencent à changer. J'ai des élèves qui me disent qu'ils ne veulent pas apprendre la boîte manuelle, qu'ils auront une voiture électrique."

Benjamin Boissière, 35 ans, directeur d'une auto-école

à franceinfo


Typhaine, 15 ans, et Louis, 18 ans, n'en sont pas là. "La voiture, ça me donnerait une certaine liberté. Je n'aurais plus à demander à mes parents ou à regarder les horaires de bus", explique la première, en plein apprentissage de la conduite accompagnée. Le second, qui rêve de faire fortune dans les cryptomonnaies, y voit un moyen de rentrer plus facilement d'Albi, où il fait ses études. "Le dimanche, le bus est à 15h35, ça me bouffe toute l'après-midi", justifie-t-il. S'il se dit conscient du réchauffement climatique, il n'envisage pas de modifier ses plans. "Je n'ai pas les moyens de me payer une voiture électrique. Là, je vais récupérer une Peugeot 406 dans ma famille, qui va me coûter 1 500 euros", poursuit le jeune homme, qui passera son permis début mars.

Thomas Lesay et sa compagne Chantal Alvergnas, le 18 février 2022 aux Baumes (Aveyron). Ces deux éleveurs de brebis se déplacent principalement à vélo sur leur exploitation et même en dehors pour Thomas. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Sur les hauteurs du Larzac, Thomas Lesay, cycliste au quotidien, retrace rapidement l'évolution des transports dans cette zone rurale. "Avant, ici, tout se faisait à pied, raconte cet éleveur de brebis, installé depuis 2004. Donc la bagnole a été un progrès fantastique (...). A court terme, c'était l'émancipation, la liberté, cela a énormément d'avantages donc arrêter est perçu comme un recul". Mais ce progrès a un coût : "On le paye avec le réchauffement climatique". Les hivers sont de moins en moins froids et il "pleut de moins en moins" sur les causses. L'éleveur raconte les sécheresses de printemps à répétition, catastrophiques pour les brebis qui représentent la principale activité économique de la région avec le roquefort : "Notre souci pour l'avenir, c'est vraiment le climat".

Thomas Lesay, sur son vélo, le 18 février 2022. Cet éleveur de brebis parcourt régulièrement les 15 km escarpés qui séparent sa ferme de Millau (Aveyron) pour faire ses courses ou rencontrer des amis. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.