Visite du pape François à Marseille : le souverain pontife prêche-t-il l'écologie dans le désert ?
"Tout à coup, mes engagements personnels et ma foi sont devenus cohérents." Le 18 juin 2015, l'appel du pape François à la "sauvegarde de la maison commune" "réveille" Marie-Hélène. Pour la première fois dans l'histoire, un souverain pontife prône la "conversion écologique" dans une encyclique, une lettre à tous les croyants, intitulée "Laudato Si" ("Loué sois-tu" en italien médiéval).
Six mois avant la COP15 et l'adoption de l'accord de Paris sur le climat, qui prévoit de limiter le réchauffement planétaire en dessous de 2°C, le pape dénonce dans cette lettre "l'utilisation intensive de combustibles fossiles", "une vision de la nature uniquement comme objet de profit et d'intérêt" et met en cause "la grande concentration de gaz à effet de serre (...) émis surtout à cause de l'activité humaine".
En 2020, le pape François exhorte également le monde à "entendre les cris des peuples amazoniens", victimes de la déforestation de la forêt tropicale sud-américaine. Cette année, le responsable religieux va encore marteler son discours écologique, quelques jours après son passage à Marseille. Une suite à cette encyclique sera en effet publiée le 4 octobre, alors que l'humanité a vécu son été le plus chaud jamais enregistré sur Terre.
Une dénonciation du "greenwashing"
Le pape François n'est pas le premier souverain pontife à se prononcer en faveur de l'écologie, mais cela n'avait encore jamais été fait dans un texte aussi important. Une prise de conscience certes tardive par rapport aux premières alertes des scientifiques sur le réchauffement planétaire, à la fin des années 1980. Il n'empêche : pour le philosophe Dominique Bourg, le rattrapage du pape est à la fois "inspiré et audacieux".
Dans son encyclique, on trouve même la notion de "décroissance", celle d'un "changement de civilisation", la dénonciation de l'absence du statut de réfugié climatique et le refus de solutions uniquement techniques. Le souverain pontife critique aussi le "discours de la croissance durable" : il affirme que "la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se réduit d'ordinaire à une série d'actions de marketing et d'image".
Dans le fond, "l'encyclique fait le lien entre la préservation de l'environnement et la doctrine sociale de l'Eglise", explique Dominique Bourg.
"Cette encyclique dénonce la posture despotique des humains par rapport aux autres créatures."
Dominique Bourg, philosopheà franceinfo
La lettre du pape aux fidèles tourne aussi la page d'un vieux débat sur la responsabilité de l'Eglise catholique dans la crise climatique. En 1967, l'historien américain Lynn White avait accusé "la religion la plus anthropocentrique que le monde ait connue" d'avoir promu une vision utilitariste de la nature, en la décrivant comme un don de Dieu aux humains. Avec "Laudato Si", "on sort de la controverse de théologiens pour s'interroger sur la responsabilité politique et sociale des croyants dans la lutte contre la crise écologique", souligne la philosophe Catherine Larrère.
Un appel qui plaît à certains fidèles
Ce discours écologiste est-il apprécié des fidèles ? Oui et non, semble-t-il. Selon un sondage de l'Ifop, paru début septembre, 52% des catholiques pratiquants français estiment que c'est le rôle de l'Eglise de parler d'environnement et du changement climatique. Une proportion qui grimpe à 68% chez les 25-34 ans. Marie-Hélène fait partie des croyants qui ont vécu cette missive du pape comme une "deuxième conversion". Après avoir lu l'encyclique "d'une traite", elle a fondé un groupe de parole dans un café associatif catholique de Lyon, La Simone, pour "se former, prier [et] prendre des engagements individuels et collectifs".
Dans la foulée, cette catholique pratiquante a créé une association de maintien de l'agriculture paysanne (Amap). Elle milite aussi dans une association de "résistance à l'agression publicitaire". Un engagement qui lui a valu d'être auditionnée par plusieurs députés dans le cadre de propositions de loi. Elle s'est aussi engagée contre le Tafta et le Ceta, deux traités de libre-échange dont elle dénonce le "manque de cohérence écologique et sociale". Elle a même écrit un "petit guide de conversion écologique" pour inciter les catholiques à s'engager.
Marie-Hélène est loin d'être la seule chez qui le texte a résonné. Après la publication de l'encyclique, une poignée de croyants fondent le mouvement Laudato Si' – du nom de cette missive papale – pour "inspirer et mobiliser la communauté catholique" et œuvrer à "l'avènement de la justice climatique et écologique" au moyen de formations à la prière, à la méditation et de campagnes de plaidoyers. Ancien membre du manifeste étudiant pour un réveil écologique et ex-président de la communauté chrétienne de Polytechnique, Benoît a ressenti une "grande joie" à la lecture de l'encyclique, qui lui a permis "de réconcilier deux pôles importants dans sa vie : l'écologie et la religion".
Une missive à l'origine d'initiatives
C'est aussi au nom de "Laudato Si" que Marc Stenger, évêque émérite de Troyes, décide de passer à l'action avec une délégation composée "de catholiques, de juifs et de musulmans". Lors d'une assemblée générale de TotalEnergies, ils s'enchaînent à la passerelle Léopold Senghor, à Paris, pendant une vingtaine de minutes, dans l'espoir de faire réagir le géant pétrolier, dont ils dénoncent le projet d'oléoduc Eacop en Ouganda et en Tanzanie.
"Dieu demande que nous prenions soin de la création."
Marc Stenger, évêque émérite de Troyesà franceinfo
L'encyclique est aussi à l'origine d'initiatives concrètes pour limiter l'empreinte carbone des représentants du culte et des fidèles. L'Académie des sciences pontificales a ainsi écrit un guide de "mesures basées sur la foi pour les investisseurs catholiques" intitulé "Mensarum Bonam", qui rappelle que le pape appelle à cesser de recourir aux énergies fossiles et à développer les énergies renouvelables. "Laudate Si" a aussi inspiré le label "Eglise verte", qui réunit les différents mouvements chrétiens de France. S'il est dépourvu de cahier de charges, il propose un "éco-diagnostic" sur les bâtiments, les modes de vie ou encore les célébrations proposées à l'église.
Le texte a toutefois suscité une polémique sur l'"écologie intégrale" dont il fait l'apologie. Un passage en particulier fait débat : celui qui affirme que, "puisque tout est lié, la défense de la nature n'est pas compatible non plus avec la justification de l'avortement". "Du grand n'importe quoi", juge Dominique Bourg. Selon le philosophe, "l'espèce humaine occupe actuellement une place qui est essentiellement destructrice. C'est criminel de défendre 'la vie à tout prix'" contre l'avis des femmes qui entendent disposer librement de leur corps.
De son côté, Marie-Hélène trouve dommage "d'instrumentaliser l'encyclique en la résumant à ce passage". Cette pratiquante aimerait aussi que le souverain pontife s'inspire de la pensée écoféministe, qui fait le lien entre l'oppression des femmes et celle de la nature. "Mais sur ce sujet, je n'attends pas les institutions pour avancer", ajoute celle qui a participé à la création d'un cercle de parole "sur l'Eglise et le féminisme".
Un discours qui se heurte à la "realpolitik"
Huit ans après "Laudato Si", les engagements pris dans le cadre de l'Accord de Paris pour endiguer la crise écologique semblent bien lointains. Si les pratiques actuelles perdurent, a prévenu le Programme des Nations unies pour l'environnement dans un rapport publié en octobre 2022, le monde se dirige droit vers un réchauffement de 2,8°C. Au-delà des conversions individuelles, le souverain pontife a-t-il le pouvoir de faire bouger les lignes ou est-il voué à prêcher dans le désert ?
En 2021, on comptait près de 1,4 milliard de catholiques sur la planète, un chiffre en augmentation malgré un déclin notable en Europe, selon les dernières données officielles relayées par le site VaticanNews.va. Le pape François a donc une audience. Mais il a essentiellement "un pouvoir d'influence, qui dépend de la réceptivité des différents milieux sociaux à son message, comme une sorte de super ONG", analyse François Mabille, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). En outre, le Vatican "se plie parfois à la 'realpolitik' pour protéger les églises locales" et a traditionnellement "un discours plus éthique que politique, avec la volonté de se présenter comme un messager de paix partout dans le monde", conclut le chercheur.
La suite de "Laudato Si" est toutefois attendue avec impatience par ces fervents catholiques et écologistes. Benoît apprécierait une "critique plus explicite du monde de la finance" et "un appel à se mettre en action". Marie-Hélène espère quant à elle que le nouveau texte du pape permettra de "remettre l'écologie au centre du débat".
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