"Est-ce que je suis encore crédible ?" : écolos convaincus, ils nous racontent leurs dilemmes quotidiens pour respecter leurs principes
Renoncer à voir sa famille à l'étranger parce qu'on a arrêté l'avion ? Priver son enfant du jouet en plastique dont il rêve ? Tenter de protéger la planète au quotidien, c'est s'exposer à des choix pas toujours faciles à trancher.
L'été qui se termine a eu de quoi ébranler le plus convaincu des climatosceptiques. Face aux canicules, aux incendies en Amazonie, à l'un des pires ouragans de l'histoire, il y a des chances pour que votre inquiétude n'ait fait que grandir et que vous soyez rentré de vacances avec l'envie d'agir pour l'environnement. Mais la marche peut parfois sembler un peu haute : pour être crédible, faut-il pratiquer la désobéissance civile comme les militants d'Extinction Rebellion ? Troquer l'avion pour le voilier comme Greta Thunberg ?
En réalité, la vie des Français sensibles à l'écologie est faite de gestes importants mais aussi de dilemmes, d'hésitations, de petites concessions, de culpabilité parfois. Cette intuition, près de 300 lecteurs de franceinfo l'ont confirmée, en répondant à un appel à témoignages lancé fin août. Certains d'entre eux nous ont expliqué leurs difficultés à être des écolos parfaits.
"J'ai l'impression d'être nulle"
Il suffit d'aborder un sujet qui s'est imposé dans le débat public ces derniers mois : faut-il totalement arrêter de prendre l'avion ? Dans les messages des lecteurs, c'est un des actes dont l'utilité fait le plus consensus. Jessica, qui travaille dans un domaine en lien avec l'écologie, s'amuse de constater que ses collègues ont cessé de "raconter au bureau leurs week-ends de trois jours en Europe". Malgré sa nostalgie pour ses voyages de jeunesse, qui lui ont "énormément apporté", elle aussi aimerait renoncer au transport aérien. Mais son mari, rencontré en Chine, est américain : "L'avion est une nécessité familiale, ou alors je divorce." Cette année, elle a déjà traversé l'Atlantique, a aussi rendu visite à sa sœur en Norvège – "elle me tannait depuis des années" – et retourne aux Etats-Unis en novembre pour le mariage d'un couple d'amis. "C'est tellement imbriqué dans nos vies que lorsqu'il n'y aura plus de pétrole, je ne sais pas comment on va faire", s'inquiète cette Parisienne qui, pour le reste, se déplace à vélo, consomme éthique et atteint presque le zéro déchet.
C'est cette écologie du quotidien qui est avant tout une source d'anxiété pour la plupart des internautes qui ont témoigné. "J'ai vraiment des dilemmes tous les jours. Il y a eu un moment où c'était trop, ça me déprimait complètement", confie Violaine. Elle a trouvé "très facile" de ne plus manger de viande (elle n'aimait pas ça) et de n'acheter que des vêtements d'occasion, mais beaucoup moins d'éviter les emballages en plastique, "que l'on trouve tellement partout, à moins d'organiser sa vie pour les éviter". Récemment, "je me suis fait des mèches de couleur, en achetant des produits qui ne sont bons ni pour moi ni pour la planète", raconte-t-elle.
J'ai des copines qui ont arrêté les colorations pour pouvoir utiliser des shampoings solides plus écologiques. Moi, bon, je n'ai pas fait ça...
Violaineà franceinfo
Cette jeune trentenaire côtoie parfois des gens "beaucoup plus investis dans le zéro déchet, et quand ils en parlent, [elle a] l'impression d'être nulle". Elle s'est fait une raison : "Je me suis dit qu'il fallait que je me concentre sur les trucs que j'arrive vraiment à faire."
A pied au supermarché ou en voiture au magasin bio ?
Un autre de nos lecteurs, Jean-Paul, va encore plus loin quand il s'agit de peser le pour et le contre de chaque décision. "Par exemple, j'ai réalisé que pour fabriquer le papier toilette, on abat des arbres. Et puis il faut le transporter. Et une fois utilisé, il part dans une station d'épuration" et s'ajoute aux déchets à traiter. Ce retraité de Niort (Deux-Sèvres) a donc bricolé une douchette "simili-japonaise" et utilise des lingettes lavables en tissu. "Oui mais, pour les nettoyer, il faut que j'utilise de la lessive, et ce n'est pas bon pour l'environnement non plus…" Quand on cherche bien, chaque action peut devenir un sujet de tergiversation. Orianne, trentenaire bordelaise, a-t-elle raison de se démaquiller avec des carrés en coton (culture pas toujours éthique) qu'elle fait elle-même et lave (en machine) ? Ou doit-elle adopter la méthode de son amie, de l'huile de coco (gourmande en ressources naturelles) et ses doigts ? "On a beau se partager des infos, on reste tiraillé", soupire la jeune femme.
Prenez le dilemme d'Anne-Claude, qui illustre bien le problème de mobilité rencontré par beaucoup de nos lecteurs en milieu rural ou périurbain. Elle aimerait acheter davantage de produits locaux et vendus en vrac, pour éliminer les emballages superflus. Mais pour se rendre dans un magasin qui en propose, "il faut faire quelques kilomètres en voiture". En revanche, cette enseignante dijonnaise a "une moyenne surface quasiment en face de chez [elle], où [elle peut] aller à pied avec [son] caddie". Quelle est l'option la plus vertueuse ? Anne-Claude s'est réellement interrogée, alternant entre les deux enseignes. Finalement, la quadragénaire se dit aujourd'hui que "même si [elle va] au supermarché à pied, les produits ont dû faire des centaines de kilomètres sur la route", ce qui compense ses scrupules à utiliser son propre véhicule. Restent la fatigue et son emploi du temps de mère de trois enfants. En pratique, elle estime qu'elle achète ses fruits et légumes en vrac "une fois sur deux".
"Parfois, c'est bien de pouvoir vivre, aussi"
C'est quand ils ont leur panier de courses à la main que ces consommateurs soucieux de l'environnement se trouvent souvent dos au mur. Samuel, 18 ans, vient de s'installer seul à Limoges (Haute-Vienne) et découvre une réalité bien connue de ses aînés : "J'essaie d'utiliser le moins de plastique possible, mais ce qui n'est pas emballé coûte beaucoup plus cher." Entre les fruits secs en vrac et ceux conditionnés dans du plastique, cinq fois moins onéreux, il a choisi les seconds. "Je me dis qu'avec tous ces emballages, la moitié du poids de mon sac de courses va finir à la poubelle. Est-ce que je suis encore crédible quand je veux m'engager pour l'écologie ?" Avec son budget d'étudiant, l'équilibre est en tout cas plus difficile à trouver.
Et puis, même avec la meilleure volonté du monde, il n'est pas toujours simple d'être vert(ueux). Yannick, qui fustige la "culture du facile et du consommable" dans laquelle il a été élevé, se déplace le moins possible en voiture, mais commande parfois ses livres en ligne, mû par la "frustration" de ne pas les trouver dans sa petite commune du Tarn-et-Garonne. Orianne, végétarienne convaincue depuis un an, lutte pour ne pas craquer pour un burger de fast-food "et sa viande nourrie au soja du Brésil" quand elle rentre de soirée.
La malbouffe, ce sont des saveurs 'refuges' dont on doit se détacher petit à petit. Je le vis encore comme une privation.
Orianneà franceinfo
Catherine, soucieuse de l'environnement dans tous les domaines, reconnaît, elle, être réfractaire au véganisme, même comme idéal à atteindre : "Chaque fois que je croise des végans, je me fais engueuler. La plupart sont un peu intégristes, juge-t-elle. Culpabiliser, ça fait avancer, mais parfois, c'est bien de pouvoir vivre aussi."
"On a l'impression d'être les seuls à faire le boulot"
Les choses se compliquent également quand on vit en famille et que les choix deviennent collectifs. Béatrice, qui tente de réduire sa consommation de viande, se heurte aux contradictions de son mari et de ses enfants (elle parle de "dissonance cognitive"). "Mon mari ne supporte pas d'ouvrir un sachet de poulet, il trouve que ça sent le cadavre", et tous s'inquiètent des souffrances animales. "Mais quand j'essaie de préparer quelque chose de végétarien, ils me font comprendre que pour eux, ce n'est pas vraiment un plat." Valentine, qui se réjouit de la conscience écologique naissante de ses jeunes enfants, raconte sa lutte contre "le piège de la récompense immédiate, l'achat du jouet en plastique dont ils vont se lasser assez vite". Pas facile quand on a envie de leur faire plaisir et qu'au début, "ils voient presque comme une punition" cette décision de moins consommer.
"A un moment, il ne faut pas qu'on se sente coupable au point que ça gâche notre vie", tranche Samuel. Lui a passé sa jeunesse, en périphérie de Laval (Mayenne), à se déplacer à vélo. Mais il avoue qu'il prenait la voiture pour se rendre chez ses amis qui vivaient dans des communes plus éloignées – à 18 ans, faut-il se priver de vie sociale au nom de l'écologie ? "Si on veut faire changer les choses, il faut surtout qu'on s'engage et qu'on porte des revendications", estime le jeune étudiant, qui militait dans un syndicat lycéen.
Comme lui, beaucoup des lecteurs interrogés sont un peu agacés que tous les acteurs du problème ne semblent pas avoir autant de scrupules qu'eux. "Que l'Etat et les entreprises passent leur temps à culpabiliser les pauvres gens et leur refourguer la faute, ça m'exaspère, au quotidien", lance Orianne. Violaine, elle, ne se voit pas rejoindre une association ou un parti écologiste, tant elle a l'impression que "ça ne servirait à rien sans une volonté plus globale" dans la société. Si la trentenaire est consciente de ne pas faire tous les gestes qu'elle pourrait pour l'environnement, son sentiment de culpabilité a des limites : "On ressent tous, il me semble, une grosse part de frustration parce qu'on a l'impression d'être les seuls à faire le boulot. Et encore, le minimum."
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