Hyperloop, énergie solaire, biocarburants… Pourra-t-on un jour voyager loin sans polluer ?
Innovation technique, taxe sur les émissions ou traversée de l’Atlantique en voilier : pour voyager écolo, c’est surtout notre façon de penser les vacances qu’il faut réviser.
Depuis un an, Deborah et son ami rénovent leur maison pour la rendre "écolo-friendly". Charpente en bois, enduit à la chaux, peinture naturelle et, pour l'aménagement, des meubles "trouvés dans la rue" : cette doctorante en géographie est attachée à "consommer le moins possible". Ses légumes viennent du jardin et ses vêtements, de friperies. Bref, Deborah "fait de son mieux" pour préserver la Terre.
Pourtant, dans quelques jours, son empreinte carbone s'alourdira de quelque 190 kilos de CO2 : cette ex-employée d'une ONG socio-environnementale doit prendre l'avion pour se rendre en Suède. Un pays où, justement, le "flygskam" (la "honte de prendre l'avion") pousse de plus en plus de voyageurs à délaisser ce moyen de transport : près d'un Suédois sur cinq a préféré le train en 2018. "J'essaie au maximum d'éviter l'avion, confie la trentenaire. Là, par exemple, je prends un vol de Bruxelles à Stockholm et ensuite j'irai en train jusqu'à la ville où je dois me rendre, dans le nord du pays, plutôt que d'enchaîner sur un vol interne…" Si Deborah fait des efforts, pourra-t-elle, un jour, voyager à l'autre bout du monde sans polluer ?
Le futur rêvé des grands voyageurs
C'est en tout cas le souhait de certains industriels qui ont mesuré le potentiel économique de cette prise de conscience. La Silicon Valley s'est lancée, depuis plusieurs années, dans la recherche d'un mode de transport plus vert qui pourrait concurrencer l'avion sur de longues distances. L'Hyperloop, lancé en 2013 par le patron de Tesla, Elon Musk, promet un moyen de transport sûr et écologique, plus rapide que l'avion : une fois installés dans une capsule, les passagers seraient transportés par propulsion électrique à 1 080 km/h. Il suffirait ainsi de 45 minutes pour relier Marseille à Paris, contre 1h20 en avion.
Quelque 300 personnes travaillent à la conception de ce fantasme technologique chez Hyperloop One, la principale entreprise spécialisée sur ce projet, qui a réuni 295 millions de dollars grâce à de nombreux investisseurs. Parmi eux, de grands groupes du secteur du transport, comme la SNCF. Le groupe ferroviaire a dit vouloir apprendre de l'expertise technique d'Hyperloop One pour développer son TGV nouvelle génération. Rendez-vous fixé en 2023 : 100 rames aérodynamiques, connectées et recyclables, commandées en juillet dernier auprès d'Alstom, commenceront à entrer en service. Elles devraient permettre de "réduire de 20% la consommation d'énergie et d'améliorer le bilan carbone de 37% par rapport aux rames actuelles".
D'autres parient sur l'énergie solaire pour concurrencer les litres de kérosène dépensés pour un trajet en avion, tout en traversant des océans. C'est ce qu'ont fait, en 2016, les ingénieurs-aéronautes suisses Bertrand Piccard et André Borschberg, en bouclant un tour du monde à bord du Solar Impulse, un avion photovoltaïque. De quoi faire rêver certains ingénieurs qui ont vite imaginé le développement de vols commerciaux à base d'énergie solaire.
Des solutions "pas encore au point"
Mais la réalité s'avère plus complexe : d'après les spécialistes interrogés par franceinfo, il faudra encore des années avant que ces technologies soient étendues au plus grand nombre. Trois ans plus tard, si la Solar Impulse Foundation a été représentée à la COP24, les solutions peinent d'ailleurs à être mises en place. La technologie n'est pas encore assez compacte pour être adaptée à l'aviation civile et à ses contraintes. De quoi inquiéter Andrew Murphy, ingénieur aéronautique pour l'ONG européenne Transport & Environment : "Les technologies qui permettraient de réduire l'impact environnemental des transports, notamment aériens, ne sont pas encore au point. Alors que pour respecter l'accord de Paris sur le climat, il faudrait les généraliser tout de suite…"
Par ailleurs, la plupart des solutions envisagées ne réussiront pas à remplacer totalement l'avion. L'Hyperloop reste un moyen de transport terrestre : impossible de relier New York à Paris en passant sous l'Atlantique. Le développement de transports alternatifs pour des voyages lointains reste ainsi anecdotique. "On va voir se développer le transport par drone, par téléphérique, pourquoi pas même par montgolfière. Mais cela restera pour les courts et moyens trajets", pense Laetitia Dablanc, directrice de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux.
Compenser ou adapter l'existant
En attendant, pour rassurer les voyageurs qui se sentent coupables vis-à-vis de la planète, les compagnies aériennes proposent de "compenser" les émissions de CO2 générées par le vol, en payant un supplément reversé à des associations environnementales. Mais ces "indulgences modernes", selon le terme consacré par Stay Grounded, n'ont aucun impact sur les émissions de CO2. Dans son rapport "L'illusion de l'aviation verte" (en anglais), l'ONG rappelle qu'il ne s'agit en aucun cas de réduire les émissions. "Dans le meilleur des cas, elles sont contrebalancées par une prévention accrue des émissions quelque part ailleurs dans le monde."
Et ces dernières ne sont pas anodines : d'après la Direction générale de l'aviation civile, le transport aérien en France a été à l'origine de 21,9 millions de tonnes de CO2 en 2017 – soit 3% environ des émissions totales du pays. "Il faut y ajouter toute la pollution liée à la construction des avions et au fonctionnement des aéroports en eux-mêmes", précise Lorelei Limousin, représentante du Réseau action climat.
Alors, chez Airbus, on tente d'adapter l'existant, "puisque la flotte en service le sera encore pour vingt-cinq ans". "On travaille à optimiser les routes aériennes pour éviter les détours inutiles et l'attente au niveau des aéroports", explique un porte-parole du groupe, contacté par franceinfo. Sur le papier, le leader européen de l'aéronautique est un bon élève en matière de réduction de la pollution : l'entreprise participe "à tous les programmes européens", comme Clean Sky, un programme de recherche pour une aviation civile "verte" financé par l'Union européenne.
Le groupe assure travailler "constamment" sur les "nouvelles générations d'avions" qui "consomment 20 à 25% de carburant en moins par rapport aux précédentes". Amélioration des moteurs et des matériaux pour alléger la structure, recherches sur l'électrisation… "Nous avons plusieurs prototypes qui sont étudiés sur nos sites", explique le représentant d'Airbus. Energie hydrogène, ailes optimisées et automatisation pourraient un jour permettre de voyager en avion en polluant moins.
Taxer le kérosène pour faire avancer la recherche
Les ONG sont moins enthousiastes. "L'industrie met en avant des technologies en promettant qu'elles seront bientôt développées pour les vols commerciaux, comme l'énergie solaire avec le Solar Impulse. Mais ça permet surtout aux aéroports et compagnies aériennes d'éviter d'avoir à réguler leurs émissions", nuance Andrew Murphy, de Transport & Environment.
Seule solution pour développer la recherche d'alternatives, selon les défenseurs de l'environnement : taxer le kérosène et les billets d'avion, pour le moment exemptés de TVA sur les vols internationaux. C'est ce qui explique le prix parfois dérisoire de certains billets (moins de 40 euros pour un Bruxelles-Madrid), qui encourage les consommateurs à opter pour ce moyen de transport. "Le train est 15 à 20 fois moins polluant que l'avion, mais son utilisation n'est pas du tout encouragée, regrette Lorelei Limousin. On supprime des lignes et d'un autre côté, l'aéronautique échappe à toutes les taxes…"
Résultat : industriels et compagnies aériennes traînent les pieds sur la recherche de solutions rapides et concrètes. "Les gouvernements auraient pu mettre en place des normes pour forcer les compagnies aériennes à réduire leur pollution. A l'inverse, la France a fait en sorte que ces normes soient les plus basses possibles", "notamment pour protéger Airbus", fleuron de l'industrie bleu-blanc-rouge, pointe Andrew Murphy.
Selon l'ingénieur, la solution la plus immédiate se trouverait dans nos champs. Les biocarburants pourraient ainsi être des remplaçants "verts" au kérosène et autres carburants du transport maritime ou terrestre. Cependant, "leur production donne lieu à davantage de déforestation et crée une concurrence avec la production alimentaire", déplore Lorelei Limousin. Principalement issue de la culture de betterave sucrière, de canne à sucre ou d'huile de palme, la production de ces biocarburants implique d'autres problèmes environnementaux et éthiques. Pour éviter ces écueils, des biocarburants de "deuxième génération" sont actuellement développés.
Repenser le concept du voyage
L'horizon semble donc peu dégagé pour offrir la possibilité de voyager loin sans participer à la destruction de la planète. "La seule solution pour voyager loin sans polluer, c'est de prendre le voilier…" ironise Lorelei Limousin. Les touristes occidentaux "cherchent quelque chose de rapide", commente Laetitia Dablanc. Selon la chercheuse, "il y aura toujours une demande structurelle pour l'aérien. Les périodes de vacances sont réduites, c'est rare de pouvoir prendre plus de deux semaines d'affilée. Tout ce qu'on peut espérer, c'est que la fréquence des voyages diminue."
Et si la solution ultime résidait dans un changement total de notre conception du voyage ? "On voyage comme on va au cinéma, analyse Deborah, qui revient d'un week-end express à Rome. Ce sont des vacances-consommation, on ne se repose même pas…" Face aux compagnies low-cost et à la tentation de partir loin et vite, certains envisagent de nouvelles formules, plus compatibles avec une réduction des émissions de CO2. C'est ce qu'a fait Bénédicte, ancienne blogueuse voyage, après son "hérésie écologique" d'un road-trip en Californie, il y a trois ans.
"J'ai investi dans un van aménagé pour pouvoir voyager localement et plus lentement, témoigne la jeune femme installée en Bretagne. Il roule au diesel donc c'est évidemment imparfait, mais l'impact carbone de mes vacances n'est plus comparable… Je voyage complètement différemment et pour le moment exclusivement en Bretagne, mais cela m'apporte beaucoup de joie !" Elle "rêve toujours de découvrir le Japon", mais "envisage désormais de [s]'y rendre par voie terrestre puis maritime". Un voyage plus long, plus coûteux, "mais un projet très stimulant". Et, surtout, moins douloureux pour la planète.
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