Gard : ce maire qui aimait trop les éoliennes
Sur 8500 hectares, le bois de Lens s'étend sur quelques collines à trente kilomètres au nord de Nîmes. Un espace naturel dont le paysage, selon certains habitants des environs, pourrait bientôt être bouleversé. "Il y aura cinq éoliennes devant nous, décrit Thierry Gaugne, le président du collectif d'associations pour la défense du bois de Lens. Trois seront sur la gauche, deux sur la droite." Ces opposants craignent que les futures éoliennes ne portent atteinte à l’environnement et à la faune sauvage. "Ce projet est irrationnel, il n'a pas de sens, pas d'intérêt", affirme Bernadette Michaud, qui fait aussi partie du collectif d'opposants. Leurs arguments n’ont pas suffi à infléchir le résultat de l’enquête publique menée l’automne dernier. Un feu vert a été donné au projet. Le rapport s’appuie notamment sur “l’importance notoire des avis favorables recueillis” dans la population. Une phrase qui passe mal pour Thierry Gaugne car au cours de l’enquête, plusieurs avis pro éoliennes lui ont paru suspects. En particulier celui déposé le 3 octobre 2023 par une certaine "Ligue protectrice des oiseaux-LPO". Le message évoque noir sur blanc un projet “bien étudié” et défend l’installation des éoliennes. "L'arrivée de cet avis a surpris tout le monde", se souvient Thierry Gaugne. Une surprise car jusque-là, la LPO s'était publiquement opposée au projet. 9 jours plus tard d'ailleurs, un autre message, signé cette fois en personne par le responsable départemental de la ligue pour la protection des oiseaux adresse cette fois un avis défavorable et nie tout lien avec l'avis déposé le 3 octobre. Selon nos informations, les identités d’au moins deux élus de la métropole de Nîmes mais aussi d’employés de Total Energies qui travaillaient sur le projet, et d’un président d’association auraient aussi été usurpées. À chaque fois, pour des avis favorables aux éoliennes. "C'est une tromperie de l'opinion, dénonce aujourd'hui le président du collectif d'associations pour la défense du bois de Lens. Ce que tout le monde a pensé, c'est que des trolls agissaient dans cette enquête publique."
"Ce que tout le monde a pensé, c'est que des trolls agissaient dans cette enquête publique."
Thierry Gaugne, président du collectif d'associations pour la défense du bois de Lens
À la suite de plusieurs dépôts de plaintes, les gendarmes enquêtent et remontent rapidement jusqu’à l’ordinateur personnel du maire du petit village de Moulézan. L’élu est soupçonné d’avoir rédigé 700 faux avis et sera jugé en mai pour faux, usage de faux et usurpation d’identité. C’est à Moulézan que les éoliennes pourraient être construites et pourraient rapporter près de 100 000 euros au budget communal chaque année. "Dans notre pays, on parle beaucoup de transition énergétique. À Moulézan aussi, mais ici, on la fait", déclarait l'élu il y a deux ans, dans une vidéo mise en ligne par l'association France renouvelables. Pierre Lucchini n’a pas répondu à nos sollicitations. Dans une lettre aux habitants diffusée le mois dernier, il annonce sa démission, sans pour autant expliquer les raisons de ses gestes. "J'assume entièrement mes actes et leurs conséquences (...). J'en suis le seul responsable", écrit-il dans le courrier que nous nous sommes procuré.
700 avis falsifiés en quelques semaines
Mais alors, comment l’élu serait-il parvenu en quelques semaines à falsifier près de 700 avis ? Ce qu’il s’est passé à Moulézan peut-il se reproduire ailleurs ? Pour comprendre, nous nous sommes rendus sur le site qui a hébergé l’enquête publique. Des dizaines d’autres consultations pour des projets partout en France sont accessibles. Si l’on veut participer, on peut cocher anonyme, nul besoin de justifier de son adresse ou de son identité pour exprimer son avis. Des observations ensuite automatiquement versées à l’enquête publique. Ce qui peut mener à des dérives, reconnaît cette commissaire enquêtrice jointe au téléphone. "Ce qui a changé avec le registre dématérialisé, c'est l'ampleur que peuvent prendre ces observations anonymes, souligne une commissaire enquêtrice. Pour déposer de manière anonyme ne serait-ce que cent observations sur un registre papier, ça veut dire qu'il faut venir cent fois en mairie et ça finit par se remarquer." Contactée, la préfecture du Gard indique qu’une nouvelle enquête publique va être lancée mais qu’il sera toujours possible de déposer anonymement un avis. C’est une garantie inscrite dans le code de l’environnement.
Parmi nos sources (liste non exhaustive):
Un maire devant la justice pour avoir fabriqué 700 faux avis lors d'une enquête publique
Enquête truquée et aigles menacés : un parc éolien remue le Gard, Reporterre.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.