Gaz de schiste : trois questions sur une méthode d'extraction présentée comme moins polluante
Selon "Le Figaro" de mardi, un rapport recommandant l'expérimentation d'une méthode d'extraction des gaz de schiste à base de fluoropropane, une alternative à la controversée fracturation hydraulique, aurait été enterré par le gouvernement.
Le débat sur le gaz de schiste doit-il être relancé ? Le Figaro révèle, mardi 7 avril, l'existence d'un rapport commandé par le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg en 2012 et rendu deux ans plus tard, recommandant d'expérimenter l'exploitation de cette ressource via une autre méthode que la très controversée fracturation hydraulique : une méthode à base de fluoropropane. Le texte, reproduit dans son intégralité par Le Figaro, n'a jamais été rendu public et aurait été "enterré" par le gouvernement, assure le journal.
Mais ce mode d'extraction alternatif fait-il vraiment disparaître tous les inconvénients de la fracturation hydraulique ? Francetv info fait le point.
Quelle est la différence avec la fracturation hydraulique ?
La fracturation hydraulique est la principale technique utilisée pour récupérer les gaz de schiste, des gaz naturels piégés dans des couches d'argile situées entre 2 000 et 3 000 m de profondeur. Comme l'explique cette vidéo, on fracture d'abord la roche avec des explosifs avant d'y injecter de l'eau mélangée à du sable et à des adjuvants chimiques, pour faire remonter le gaz de schiste à la surface.
La technique est contestée et interdite en France, principalement parce qu'elle fait courir un risque de pollution des nappes phréatiques, par les adjuvants chimiques mais aussi par des éléments présents naturellement dans le sol et libérés par la fracturation, comme les métaux lourds, qui peuvent être cancérigènes. En France, le conseil constitutionnel a approuvé une loi interdisant l'exploitation du gaz de schiste et même l'expérimentation à ce sujet.
Le rapport cité par Le Figaro recommande d'expérimenter une technique similaire, mais dans laquelle le mélange utilisé pour la fracturation hydraulique serait remplacé par du fluoropropane, un gaz liquéfié.
Les fluorocarbones sont-ils moins polluants ?
A en croire un premier rapport, rendu par deux parlementaires en 2013, l'usage de ce gaz ne nécessiterait pas de le mélanger à des additifs chimiques pointés du doigt par les défenseurs de l'environnement.
Mais Philippe Pezard, directeur de recherche au CNRS au sein du laboratoire de Géoscience de Montpellier (Hérault), lui-même favorable à l'expérimentation de cette technique, estime que le fluoropropane ne résout pas le problème de la toxicité : "Quelle que soit la technique utilisée, on va toujours mobiliser des choses qui sont là, au milieu de la terre, des alcanes cycliques comme le benzène, qui sont hautement cancérigènes", explique-t-il à francetv info. D'autres problèmes liés à la fracturation hydraulique subsistent, comme le risque sismique lié à l'utilisation d'explosifs et l'impact sur les paysages.
Le rapport parlementaire de 2013 reconnaît aussi que ce gaz "n’est pas sans danger pour le climat" et participe à l'augmentation de l'effet de serre. Son utilisation nécessite donc "de prévenir et de contrôler les fuites susceptibles de survenir à tous les stades de la chaîne de production", explique le texte. Pour Pierre Thomas, professeur de géologie à l'Ecole normale supérieure de Lyon (Rhône), interrogé par francetv info, impossible d'écarter tous les risques : "Il y a toujours des fuites. Il suffit d'un tuyau percé, d'une faille que les géologues n'ont pas vue" pour que le gaz s'échappe dans l'air ou dans le sol.
Cette technique résout, en revanche, la question de l'utilisation de l'eau : chaque fracturation hydraulique en nécessite près 15 000 m3, et cette opération peut être reproduite une dizaine de fois par puits, ce qui alourdit de façon considérable son empreinte énergétique. Autre avantage : le fluoropropane, fruit de l'introduction d'atomes de fluor dans du propane, n'a pas les propriétés inflammables de ce gaz, de quoi éviter les accidents, estime le rapport.
Cette technique verra-t-elle le jour en France ?
Ce n'est pas gagné. Le professeur de géologie Pierre Thomas est dubitatif sur la quantité de fluoropropane nécessaire pour la mettre en place, et donc sa rentabilité : "S'il faut une quantité de gaz comparable à la quantité d'eau nécessaire pour la fracturation hydraulique, soit 15 000 tonnes de gaz, est-ce viable ? Est-ce qu'on récupère 15 000 tonnes de gaz de schiste ?" Le rapport souligne cependant que "le fluide de fracturation au propane est récupérable à 95%", et donc réutilisable.
Quoi qu'il en soit, la réaction du gouvernement à la publication de ce rapport est sans équivoque. "Les gaz de schiste ne sont plus d'actualité. (...) Je refuse toutes les demandes d'autorisation de forage pour gaz de schiste malgré la pression de lobbies canadiens", a réagi la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal sur Twitter, mardi. Mais légalement, la porte reste ouverte : la loi interdit uniquement l'exploitation du gaz de schiste par la technique de la fracturation hydraulique.
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