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Le docteur Paloma Herrero, médecin urgentiste à Madrid, envoyée en Haïti du 16 au 23 janvier, raconte son expérience

VERBATIM. "La situation sur place est chaotique. Quand nous arrivons à notre campement dans l'aéroport de Port-au-Prince vers 18h, heure locale, il fait sombre et il n'y a ni lumière, ni eau, ni toilettes. Nous n'avons que l'eau en bouteille apportée. On fait une toilette de chat et on se couche."
Article rédigé par Angel Herrero Lucas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Le Docteur Paloma HERRERO au chevet d'un enfant haïtien à l'hôpital de la Paix de Port-au-Prince (Paloma HERRERO)

VERBATIM. "La situation sur place est chaotique. Quand nous arrivons à notre campement dans l'aéroport de Port-au-Prince vers 18h, heure locale, il fait sombre et il n'y a ni lumière, ni eau, ni toilettes. Nous n'avons que l'eau en bouteille apportée. On fait une toilette de chat et on se couche."

Macaronis au petit déjeuner. "Levé à 5 heures. On se lave et on tente d'uriner discrètement, ce qui n'est pas facile. Ensuite nous mettons nos uniformes et prenons un petit déjeuner costaud. Il est alors près de 6h et le soleil se lève. Au menu: macaronis, riz sauce tomate ou encore pois chiche-ratatouille. Et après ça, café et viennoiseries."

Le convoi. "Nous quittons ensuite l'aéroport contrôlé fièrement par l'armée américaine pour nous rendre à l'hôpital universitaire de la Paix de Port-au-Prince. Le convoi est composé de 5 camions ou pick up de l'ONU et d'une ambulance mexicaine. Le tout escorté par six Casques bleus. Deux ouvrent la voie, deux derrière et deux avec nous (le personnel médical: 2 médecins, 3 infirmiers et 4 assistants médicaux). Le trajet dure une trentaine de minutes, aucun problème de sécurité et aucun cadavre dans les rues principales que nous empruntons."


Etiquette bleue. "A l'hôptial dès 7h30, nous utilisons un préau ouvert comme salle de premiers soins et de gare de triage des patients. Etiquette verte: blessé léger; jaune: blessure qui peut attendre; rouge: urgent; et bleue: quasiment impossible de sauver. Un exemple: un jour je reçois une petite fille dans le coma depuis plusieurs jours, fièvreuse et blessée. Qu'est-ce qu'on pouvait faire? Qu'est-ce qu'on pouvait dire à son père? Rien. 'Elle ne répond plus monsieur...' A ces patients nous donnons sédatifs, analgésiques et nous les mettons dans une salle spéciale pour soins palliatifs. Elle en a accueilli une quinzaine...

Dans une autre petite salle, fermée de l'intérieur pour éviter les vols, nous rangeons les médicaments et le matériel de premiers secours. Chaque matin, la première chose à faire est donc de démonter la vitre de cette salle pour récupérer et mettre en place notre matériel. Ensuite, nous accueillons les patients -1025 en une semaine- que nous installons sur des "lits" qui sont en réalité des tables. L'essentiel des actes médicaux que j'ai pratiqués étaient d'ordre traumatologique: sutures, plâtres... Un jour je reçois une jeune femme avec une plaie au front tellement énorme et profonde que l'on voyait sa cervelle. Je me dis que si l'on attend une place en chirurgie il y en a pour dix jours car les amputations des enfants sont prioritaires. On décide alors de la recoudre directement. Au bout de trois jours elle revient pour une visite de contrôle. Son front était impeccable. Je me suis dit avec mes collègues que rien que pour ça on avait bien fait de venir."

Bandana et lampe frontale. "Nous prenons une vingtaine de minutes de pause pour déjeuner. Il fait très très chaud. Nous suons en permanence. On porte des bandanas pour récupérer la transpiration. A la tombée de la nuit on s'occupe des patients à l'aide de lampes frontales. Nous terminons la journée vers 18h et repartons en convoi vers l'aéroport."

La nuit. "Au dîner: soupe de vermicelles, rations de l'armée mais jamais de pain. On se douche comme on peut à l'aide d'une piscine gonflable où l'on recueille l'eau dans un sceau puis on l'accroche à des douches de campagne. Les nuits durent entre cinq et six heures. Je dois dormir avec des boules quiès car il y a une absence totale de silence. Nous sommes à peine à cent mètre des pistes où décollent et atterrissent toute la nuit les avions d'aide humanitaire. Au petit matin, nous sommes réveillés par les prières d'un humanitaire musulman."

"J'ai pratiqué une médecine de guerre"

Quelle est votre première image sur place?
"Une photo prise avec un enfant d'environ 8 ans, le bras gauche amputé."

Qu'avez-vous appris?
"A pratiquer une médecine de guerre. Le système D. On se débrouille avec les moyens du bord. J'ai également pris conscience de la chance que l'on a de pouvoir prendre une douche chaude, aller aux toilettes, boire quand on a soif. C'est une expérience qui ferait du bien à tout le monde."
Etiez-vous préparez à une telle expérience?
"Je crois que oui. J'étais préparée. J'ai déjà vu de la cervelle d'hommes décapités dans des accidents de voiture."
Quel est votre meilleur souvenir de cette mission?
"La phrase d'une patiente: 'Que Dieu vous bénisse'."
Et le pire?
"La petite fille de 12 ou 14 ans dans le coma que j'ai du déclaré patiente 'bleue' à son père... Mais si je pouvais je repartirais."

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