: Reportage A Biscarrosse, la difficile relocalisation face à la #MontéeDesEaux : "Ce n'est pas le maire qui doit nous faire partir, c'est la mer"
Face à la montée des eaux et à l'érosion du littoral, le sable ne suffit plus. Dans la station balnéaire landaise, les autorités locales veulent relocaliser trois bâtiments construits sur la dune. Mais, en l'absence d'outils juridiques et financiers et face à l'opposition des propriétaires, le projet patine.
L'histoire d'André Laforêt peut se résumer en deux coups. Elle a commencé début 2019 par un "coup de cœur", lorsque le hasard d'un après-midi de surf l'a amené à pousser la porte d'un petit studio mansardé, au dernier étage de la villa des Embruns, construite sur la dune de Biscarrosse (Landes). "C'était marée haute, les vitres étaient ouvertes et on entendait le bruit des vagues et du vent. Je me suis dirigé de suite vers la fenêtre, j'ai vu le spectacle et je me suis dis : 'Je rêve, c'est trop beau cette vue sublime'", raconte cet ambulancier de 55 ans. Depuis ses fenêtres, on peut admirer l'océan Atlantique, dont les vagues semblent glisser sous la maison. Sans hésiter, il achète ce bien de 12,5 m2 – 30 m2 au sol – pour la coquette somme de 150 000 euros. "C'était le plus beau jour de ma vie, resitue cet homme originaire de Salles (Gironde), à quelques kilomètres de là. Je viens de la Ddass [devenue l'Aide sociale à l'enfance], j'ai beaucoup galéré, j'ai commencé tout en bas... Me retrouver dans un appartement avec vue sur mer, c'était inimaginable pour moi".
Un second coup, "de massue" cette fois, est venu rapidement briser ce rêve. Deux mois après son achat, des bruits commencent à courir dans la station balnéaire : face à l'océan qui grignote la dune, la mairie veut évacuer la villa des Embruns et sa jumelle, La Rafale, ainsi que le grand hôtel de la plage. Dans un premier temps, André Laforêt ne veut pas y croire. Des habitants historiques des villas avaient assuré que ces dernières étaient "encore là pour 50 ans". "Ces maisons ont fait couler tellement d'encre... Je me suis dit que c'était encore des conneries", raconte-t-il.
Avec leur silhouette singulière et leurs couleurs pastels, ces bâtisses de style arcachonais dominent depuis 1912 le paysage et les cartes postales de la station balnéaire. Rapidement, la menace se précise. La mairie organise des réunions avec les propriétaires et un arrêté de péril imminent* est pris en juin pour interdire toute occupation de la maison voisine, La Rafale, utilisée principalement pour des locations saisonnières, et d'une partie de la terrasse du grand hôtel. "J'ai bien compris qu'on gênait et qu'il allait falloir partir", se désole-t-il, en assurant que personne ne l'a prévenu du problème avant l'achat.
Le choix du repli pour échapper à l'océan
Depuis cet été 2019, la volonté des autorités locales d'organiser le "repli stratégique" des deux maisons et de l'hôtel n'a fait que se renforcer. En octobre 2020, des panneaux d'information ont été disposés le long du littoral. "Le maintien des bâtiments situés en première ligne est illusoire", peut-on lire sur celui planté devant les villas jumelles. Le 28 décembre, alors que la tempête Bella approchait, de nouveaux arrêtés ont été pris pour évacuer la seconde villa et le grand hôtel. Seul habitant à l'année des Embruns, André Laforêt a été relogé dans le bourg de Biscarrosse, à 8 km de l'océan, pendant trois semaines, avant la levée de l'arrêté le 14 janvier. Le "monsieur Littoral" de la communauté de communes, Vincent Bawedin, estime aujourd'hui qu'il y a "péril en la demeure" à horizon 2025. Ces bâtiments sont "sur la dune, et la dune recule. Donc il y a un risque de sécurité publique", explique le chargé de mission "Gestion du trait de côte" au sein de la communauté de communes des Grands Lacs.
En ce frais samedi matin de janvier, il trace une ligne imaginaire avec ses mains le long de la dune, jusqu'aux maisons. "Ici, c'est simple : vous regardez le trait de côte, il passe au milieu de ces bâtiments, qui sont devenus un cap vers le large", commente ce docteur en géographie, en poste depuis janvier 2019. Sous la double pression de l'érosion et du réchauffement climatique, provoqué par nos émissions de gaz à effet de serre, la côte recule en moyenne de "2 mètres par an à Biscarrosse", selon ses calculs, "parfois 10 mètres avec les tempêtes d'hiver".
Pour retarder l'inéluctable, des camions déversent, sous sa supervision, des mètres cubes de sable prélevés à quelques centaines de mètres au sud des villas. Le chantier, initié en 2001, dure chaque année de l'hiver au printemps, au gré des marées. Un travail de Sisyphe – ou de Shadoks – qui coûte de plus en plus cher à la collectivité (412 000 euros en 2020, financés majoritairement par l'Union européenne), à mesure que les volumes de sable augmentent année après année.
C'est pour cesser de dresser des châteaux de sable devant la dune que le "repli stratégique" a été décidé, dans le cadre d'une stratégie pilotée par le groupement d'intérêt public (GIP) Littoral aquitain, qui réunit les communes littorales, leurs départements, la région et l'Etat. L'objectif, dans la droite ligne de la position désormais défendue par l'Etat, est de se débarrasser des "points durs", comme le petit enrochement qui défend les maisons ou les blockaus échoués sur la plage, qui perturbent la circulation naturelle du sable. "Si, à terme, la relocalisation fonctionne et que la plage urbaine est renaturée, les échanges sédimentaires vont pouvoir se faire, la dune sera plus large et plus dense, il y aura moins besoin de faire des rechargements", explique Vincent Bawedin. Cette dune en meilleure santé doit permettre de mieux protéger la station balnéaire, alors que les scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) prévoient une montée des eaux d'un mètre en moyenne en 2100.
"Je ne comprends pas cette précipitation"
Ce changement de cap, Marie-France Carpentier, copropriétaire d'un appartement à La Rafale, ne l'a pas vu venir. En un trait de plume, son bien évalué en 2015 à 375 000 euros, a perdu toute valeur. "Cela nous est tombé sur la tête comme ça. Des locataires nous ont appelés pour nous dire que la mairie venait d'afficher des documents sur le portail", raconte par téléphone cette habitante de Meurthe-et-Moselle de 65 ans. Avec deux couples d'amis, elle et son mari ont acheté cette villa en 2005 et l'ont louée, depuis, pour la saison, afin de rembourser le prêt.
"Avant d'en faire l'acquisition, nous étions allés voir le service technique de la mairie, qui était des plus rassurants", complète sa voisine, Angelise Guerci, 62 ans, propriétaire d'un appartement à La Rafale et d'un studio aux Embruns. "C'est un peu comme un roman de Kafka : les personnes les plus rassurantes sont celles qui nous montrent du doigt à la fin en nous disant de ne pas rester dans cet endroit là".
"Je pense que ce n'est pas le maire qui doit nous faire partir, c'est la mer. En l'état actuel, je ne comprends pas cette précipitation."
Angelise Guercià franceinfo
Les deux femmes contestent le rapport d'expert qui a conduit à l'arrêté de péril sur leur villa. De fait, celui-ci conclut par exemple que "la maison n'est maintenue que par des étais" alors qu'un seul était visible lors de notre visite, pour soutenir le balcon abîmé. Une procédure pour contester cet arrêté auprès du tribunal administratif est toujours en cours. "L'ancien maire, avant de quitter le pouvoir, s'est refait une virginité en prenant des arrêtés un peu lourds, par peur du risque pénal. ll n'y a pas d'urgence, cela ne va pas tomber demain", estime leur avocat, Vincent Poudampa, en visant Alain Dudon, qui ne s'est pas représenté en 2020, après trois mandats successifs. Contacté par franceinfo, ce dernier balaye la critique : "Je ne le cache pas, j'ai craint d'être attaqué s'il y avait eu mort d'homme. On aurait dit : 'Le maire savait et il n'a rien fait'", resitue celui qui est toujours conseiller départemental des Landes. "Ce n'est pas l'avocat qui prend le risque, c'est facile à dire". Ces propriétaires ne contestent pas l'érosion dunaire. "On sait bien qu'elle est là, mais ce qu'on ne comprend pas, c'est que la commune n'ait rien fait pour les préserver. C'est une partie du patrimoine de Biscarrosse", rappelle Marie-France Carpentier.
Avant de jeter, en 2015, son dévolu sur un appartement aux Embruns, Pierre Mottet, amateur de surf, avait hésité à acheter à Lacanau, la station girondine située à 60 km au nord. "Avec ces villas face à la mer, Biscarrosse l'avait emporté. Et aujourd'hui, on voit que Lacanau décide de défendre son littoral et Biscarrosse de l'abandonner, c'est un peu énervant", confie cet ancien chef d'entreprise belge de 59 ans. Bien décidé à continuer de profiter de cet appartement pour lequel il a investi 500 000 euros, il a commandé à un professeur belge une contre-expertise. "En aucun cas, les villas ne sont sujettes à un risque d'effondrement immédiat", conclut ce dernier.
Il s'est surtout offert les services de l'avocat Pierre-Olivier Sur, ancien bâtonnier de Paris et défenseur de Benoît Bartherotte, un homme d'affaires connu pour avoir dépensé des millions d'euros pour construire une digue à la pointe du Cap Ferret. Comme ce dernier, Pierre Mottet se dit prêt à assumer une partie des coûts de défense contre la mer, comme l'entretien de l'enrochement au pied des villas, mais demande qu'on l'y autorise. Son avocat veut croire qu'un terrain d'entente avec la mairie est toujours possible. "Ce que nous voulons, c'est marcher main dans la main avec la mairie pour sauver ce qui s'apparente à la tour Eiffel de Biscarrosse", précise Pierre-Olivier Sur, en proposant la construction d'un épi, un ouvrage perpendiculaire à la plage qui retient le sable d'un côté mais accentue, selon les scientifiques, l'érosion de l'autre.
Une stratégie sans outil juridique ou financier
Cette proposition est balayée par Hélène Larrezet, élue maire (divers droite) de la ville en 2020. "Cet avocat ne veut pas reconnaître que les décisions sont déjà entérinées", martèle l'édile, pour qui il va falloir "repenser Biscarrosse et l'océan sans la silhouette familière des villas jumelles et de l'hôtel". "Il y a beaucoup d'effets de manche, mais son discours ne tient pas sur le plan scientifique", complète Vincent Bawedin.
Le géographe de la communauté de communes voit trois bonnes raisons de ne pas construire de digue ou d'épi. Il y a d'abord le coût, estimé à 4 millions d'euros pour 350 mètres de digue (sans compter l'entretien annuel) contre 400 000 euros par an pour les rechargements en sable sur un kilomètre, qui seraient sans doute nécessaires même avec une digue. Puis l'impact négatif des points durs qui "entraînent une érosion en aval", ainsi que l'histoire de ce département réputé pour ses plages sableuses. "La digue, c'est peut-être le littoral de Brest, mais ce n'est pas celui des Landes (...) Les gens ne viennent pas ici pour poser leur serviette sur des cailloux", analyse-t-il. Pour expliquer la différence de stratégie par rapport à d'autres stations balnéaires, Vincent Bawedin souligne aussi que seuls trois bâtiments sont menacés à Biscarrosse, contre 1 200 logements à Lacanau (Gironde).
Sûrs de leur décision, les pouvoirs publics le sont un peu moins sur les moyens à employer pour y parvenir. Si des projets innovants sont en cours en outre-mer, aucun plan de relocalisation n'a été mené à bien en métropole : l'affaire du Signal, qui s'est terminée en novembre dernier, comme le relate Rue89 Bordeaux, a surtout souligné l'absence de cadre juridique et financier pour traiter ce problème. Fruits d'une concertation des autorités locales, les stratégies comme celle de Biscarrosse ne sont pas contraignantes juridiquement et ne donnent pas droit à des subventions. C'est ce vide qui a conduit Lacanau à refaire sa digue pour maintenir le trait de côte "au moins jusqu'en 2050", "le temps de préparer la décision de long terme".
En attendant une éventuelle loi, le cas de Biscarrosse est vu par le GIP comme une "expérimentation". Des négociations sur cette relocalisation ont été entamées avec les copropriétaires. La mairie de Biscarrosse, qui veut lancer en parallèle une grande réflexion sur l'avenir de la station balnéaire, a identifié des terrains sur lesquels pourraient être relogés ces derniers. "C'est une opportunité généreuse. Je fais partie de ceux qui s'interrogent sur jusqu'où aller pour compenser cet aléa. Je suis une libérale. Les risques à ces emplacements sont connus", avertit Hélène Larrezet, qui estime que "l'argent public fait déjà beaucoup de choses".
Certains propriétaires, comme André Laforêt, sont ouverts à un arrangement à l'amiable. "Je veux retrouver mes billes. Soit ils me donnent des sous, à un prix raisonnable, soit ils me proposent un autre appartement ici", confie-t-il. Le directeur de l'hôtel, qui n'a pas souhaité accorder d'interview à franceinfo, lâche tout de même sur le pas de la porte : "Ça vaut 7 millions d'euros cette affaire. Qu'ils nous fassent un chèque et on s'en ira". D'autres, comme les Carpentier et les Guerci, ont entamé des démarches en justice pour retrouver la jouissance de leur bien. Pierre Mottet, lui, fourbit ses armes. "Le côté cobaye, c'est déplaisant au possible. Je ne vais pas rendre ce test facile pour les pouvoirs publics, je peux vous le dire."
* Ce reportage a été réalisé en janvier 2021. Depuis notre passage, les propriétaires de la villa La Rafale ont gagné une première manche judiciaire. Le 17 mai, le tribunal administratif de Pau a suspendu l'arrêté de péril, permettant une réouverture de la villa en attendant un jugement sur le fond.
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