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Chlordécone : "La justice ne peut pas laisser sans réponse des faits aussi irresponsables", s'indigne l'avocat Harry Durimel

Les magistrats ont pour l'instant annoncé leur intention de clore le dossier de l'empoisonnement au chlordécone aux Antilles sans prononcer de mise en examen, l'orientant ainsi vers un non-lieu au motif qu'"'il serait trop tard pour agir".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Harry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, et avocat historique des victimes du chlordécone (photo prise lors des européennes de 2004). (MAXPPP)

"Pour nous, ce n'est pas terminé", a indiqué mercredi 6 avril sur franceinfo Harry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, et avocat historique des victimes du chlordécone aux Antilles françaises, alors que les juges ont décidé qu'il n’y aurait pas de mise en examen dans ce dossier qui s’oriente vers un non-lieu. "Le motif invoqué, ce n'est pas qu'il n'y a pas de coupable, c'est qu'il serait trop tard pour agir (...) mais l'empoisonnement massif que le chlordécone provoque dans nos sols, dans nos corps et dans nos os, est une infraction continue", a dénoncé Harry Durimel, qui pointe le fait que plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par cet insecticide utilisé contre le charançon du bananier jusqu’en 1993. Si cela reste impuni cela "laissera des traces dans la relation historique qu'il y a entre les Antilles et l'Hexagone".

franceinfo : Pas de mise en examen, pas de procès. Comment accueillez-vous cette décision des juges ?

Harry Durimel : Pour nous, ce n'est pas terminé. Le procureur a deux mois pour prendre ses réquisitions et même si une ordonnance de non-lieu intervient dans quelques mois, nous allons interjeter appel. Si la Cour d'appel confirme l'ordonnance de non-lieu, nous irons devant la Cour de cassation, car le motif invoqué, ce n'est pas qu'il n'y a pas de coupable, c'est qu'il serait trop tard pour agir.

Les juges d'instruction du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris estiment que, le chlordécone ayant été utilisé jusqu'en 1993, les poursuites sont impossibles. Qu'en pensez-vous ?

Nous considérons que les faits ne sont pas prescrits puisque l'intoxication, l'empoisonnement massif que le chlordécone provoque dans nos sols, dans nos corps et dans nos os, est une infraction continue. Le temps ne commence pas à courir tant que les faits et les effets sont encore en cours. Il y a aussi la dimension intemporelle du chlordécone.

"On ne peut pas opposer le temps aux victimes du chlordécone quand on sait qu'il persiste dans les sols pendant 700 ans. Comment un empoisonnement non achevé peut ne pas être poursuivable ?"

Harry Durimel, avocat historique des victimes du chlordécone aux Antilles françaises

à franceinfo

D'autant plus que la Cour de cassation a dit que lorsque l'infraction a été dissimulée, lorsqu'elle est occulte, les victimes ne sont pas en mesure d'agir tant qu'un certain nombre de faits ne sont pas révélés et avérés. On ne peut pas être déjà en retard alors que le lien de causalité entre cancers de la prostate, autres cancers, et le chlordécone n'est pas établi. Nous allons faire valoir tous ces arguments et nous ne désespérons pas qu'il y aura la reconnaissance de ce lien de causalité et que le temps n'est pas achevé pour nous défendre.

Si ce non-lieu devait être confirmé dans les mois qui viennent, quelle serait pour vous la réaction de la population guadeloupéenne ?

J'essaie d'évaluer quel autre crime, inattaquable, nous a fait autant de mal. Il n'y a que l'esclavage qui soit pire et qui soit aujourd'hui prescrit. Donc ça va laisser des traces dans la relation historique qu'il y a entre les Antilles et l'Hexagone, entre les Antilles et l'Europe. Ce n'est pas une façon de menacer, mais imaginez bien que c'est pour pouvoir faire concurrence à la "banane dollar" que la France et des élus guadeloupéens et martiniquais réclamaient du chlordécone, pour pouvoir faire du fric. La justice ne peut pas laisser sans réponse des faits aussi irresponsables. La finalité n'est pas d'envoyer des gens en prison ou de faire prononcer des condamnations financières, c'est que justice soit rendue, qu'on parle de réparation, de prévention, de dépollution.

L'année dernière, les cancers de la prostate liés à ce pesticide ont été reconnus comme maladie professionnelle pour ceux qui travaillaient à l'époque dans les bananeraies. Est-ce qu'on peut aller plus loin ?

Bien sûr. C'est restrictif de considérer qu'il n'y a que les gens qui sont dans la banane qui ont été contaminés. Chacun sait que dans l'eau du robinet, l'eau potable, l'année dernière, on a constaté la présence de chlordécone à Gourbeyre, en Guadeloupe. Il faut élargir le spectre de l'indemnisation à toutes les personnes qui consomment du chlordécone. Ceux qui travaillent aujourd'hui encore dans la banane continuent à transporter du chlordécone chez eux, sur leurs vêtements, sur leurs bottes, en mangeant leur sandwich. C'est une infraction qui continue. Ce crime d'empoisonnement et la reconnaissance comme maladie professionnelle, c'est une avancée. Il faut l'admettre. Aucun avant ne l'a fait. Nous avons eu des ministres guadeloupéens de droite et de gauche dans des gouvernements précédents et personne ne l'a reconnu. Mais nous disons que ce n'est pas suffisant.

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