Pollution chimique et plastique : quatre questions sur la dernière "limite planétaire" franchie par l'humanité
Selon le Stockholm Resilience Center, les rejets par les êtres humains de matières chimiques et plastiques, sur les continents et dans les océans, ont désormais atteint un point critique.
"On meurt étouffés de nos produits chimiques et plastiques." Voilà le message choc rédigé sur Twitter par Olivier Fontan, ancien directeur du Haut Conseil pour le climat, le 18 janvier. Il réagissait à l'annonce du Stockholm Resilience Center. L'instance suédoise a affirmé, le 18 janvier, que nous avions officiellement franchi une cinquième "limite planétaire" (document en anglais), celle de "l'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère". Franceinfo détaille les enjeux et les conséquences de cette annonce.
1Qu'est-ce qu'une "limite planétaire" ?
Cette notion scientifique a été créée en 2009, comme l'explique Nature (article en anglais) et a été portée par le Stockholm Resilience Center. Elle a ensuite été reprise par l'ONU et la Commission européenne. Au total, neuf "limites planétaires" ont été définies par l'institution suédoise : le changement climatique, l'érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore, les changements d'utilisation des sols, l'acidification des océans, l'utilisation mondiale de l'eau, l'appauvrissement de l'ozone stratosphérique, l'augmentation des aérosols dans l'atmosphère et l'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère, comme l'a expliqué franceinfo dans cette vidéo.
"Le concept de 'limite planétaire', c'est l'idée que si la planète franchit un certain seuil en termes de pollution, nous allons avoir un changement d'état de l'écosystème planétaire", explique à franceinfo Natacha Gondran, coautrice du livre Les limites planétaires (éditions La découverte, 2020). "Ce nouvel état sera probablement beaucoup moins agréable pour l'Homme que l'état que l'on connaît avec l'Holocène, l'ère géologique qui a débuté il y a 10 000 ans", poursuit la professeure en évaluation environnementale à l'école des Mines de Saint-Etienne (Loire).
Jusqu'à maintenant, quatre limites sur neuf avaient été franchies : le changement climatique, l'érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore, les changements d'utilisation des sols.
2Que représente la dernière "limite planétaire" dépassée ?
La dernière à avoir volé en éclats est "l'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère". Plus simplement, on parle également de "pollution chimique" ou encore de "pollution plastique". "Il s'agit d'éléments introduits par l'Homme, qui n'existent pas à l'état naturel", résume Natacha Gondran. "Le plus grave, ce sont les emballages en plastique, d'où l'importance de la réduction du plastique à usage unique", glisse Pascale Fabre, directrice de recherche au CNRS et directrice du groupe de recherche Polymères et océans.
"Dans le plastique, il y a le polymère, son constituant principal, mais aussi tous les additifs qui sont des produits chimiques beaucoup plus solubles et nocifs."
Pascale Fabre, directrice du groupe de recherche Polymères et océansà franceinfo
Ces additifs peuvent être des anti-UV, pour que le plastique ne s'abîme pas au soleil, ou encore des "retardateurs de flamme", qui empêchent le plastique de prendre feu, précise à franceinfo la physico-chimiste. Ils constituent, selon la spécialiste, "un gros problème car les industriels ne donnent pas forcément leur composition exacte".
Le franchissement de cette "limite planétaire" n'est pas étonnant. "Vu les taux d'augmentation de produits chimiques et de plastique, ce n'est pas une surprise", estime auprès de franceinfo Carlos Marques, chercheur au CNRS et à l'université de Strasbourg. En 2016, les humains rejetaient 11 millions de tonnes de plastique par an dans les océans. Un chiffre qui ne cesse d'augmenter. "Avec les politiques actuelles, la quantité de ces déchets plastiques solides urbains sont destinés à doubler d’ici à 2040, la quantité de plastique rejetée dans les océans devrait presque tripler et celle de plastique présente dans les océans, quadrupler", écrit l'ONU.
3Que se passe-t-il lors d'un franchissement de "limite planétaire" ?
Passer une "limite planétaire" ne se traduit pas par un basculement net et franc. "Cela ne change pas du jour au lendemain. Il va y avoir tout un tas de petits signaux, des alertes précoces", explique Natacha Gondran. Surtout, franchir une "limite planétaire" est considéré comme irréversible, insiste-t-elle.
"Si on franchit une 'limite planétaire', on ne peut plus revenir en arrière. C'est trop tard. Nous allons avoir des phénomènes d'emballement, d'accélération. Cela veut dire qu'il faut s'adapter."
Natacha Gondran, ingénieure et professeure en évaluation environnementaleà franceinfo
Ce phénomène d'emballement, les scientifiques le constatent avec le réchauffement climatique qui s'accélère, s'accentue et s'aggrave.
>> Changement climatique : ce qu'il faut retenir du sixième rapport des experts du Giec
4Quelles sont les conséquences de cette pollution chimique et plastique ?
Sur les milieux aquatiques. Selon l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), 95% des déchets plastiques flottants à la surface de l'eau finissent dans les fonds marins. Pour ces derniers, il est déjà trop tard : il n'est plus possible de les ramasser car cela reviendrait trop cher, ont affirmé, en février 2021, des chercheurs du groupement de recherche Polymères et Océans, rapportait France 3 Bretagne. Le plastique est même devenu un nouveau type de sédiment. Des chercheurs de la Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (CSIRO), soit l'organisme gouvernemental australien pour la recherche scientifique, estiment que les fonds marins de notre planète sont recouverts de 8 à 14 millions de tonnes de microplastique, rapportait le site Futura Sciences, en octobre 2020.
Si des images de déchets plastiques à la surface des océans ont fait le tour du monde, que l'on sait que des tortues marines s'étouffent en avalant des sacs plastiques qu'elles confondent avec des méduses, une grande partie du problème est effectivement invisible à l'œil nu. Il vient de la dégradation du plastique dans l'eau qui devient donc du microplastique puis du nanoplastique, des morceaux dont la taille est inférieure au millième de millimètre.
Dans l'estuaire de la Seine, la première étude sur la pollution par les microplastiques, relayée par France 3 Normandie, a relevé jusqu'à 45 particules par mètre cube d'eau, et de 300 à 3000 microplastiques par kilo de sédiments en 2021. Les chercheurs ont également trouvé, en moyenne, une fibre de microplastique par gramme de chair de moule.
Sur les sols. La situation est dramatique également pour les sols. Le plastique utilisé pour les cultures, comme le recours à une simple bâche, a des conséquences à long terme, relève Thierry Lebeau, professeur à Nantes université, rattaché au Laboratoire de planétologie et géosciences. En plus des sols maraîchers, il mentionne ceux des décharges et les sols urbains, qui sont "des mélanges de sols naturels avec du remblai et des déchets".
Comme dans les océans, les innombrables morceaux de plastique présents dans les sols se dégradent en éléments de plus en plus petits. Ils peuvent alors se retrouver dans les vers de terre et les autres organismes, illustre ce spécialiste de la pollution des sols. Il peut également y avoir un échange de ces plastiques dégradés entre les sols et l'eau, des rivières jusqu'aux mers et aux océans.
Concernant la pollution chimique, Thierry Lebeau estime que "la pression est importante" sur les sols utilisés pour les cultures. "La viticulture, c'est 3% des terres agricoles françaises, mais c'est 20% des ventes de produits phytosanitaires en France", illustre le scientifique. Une concentration qui affaiblit la santé des sols.
Sur les humains. Cette fois, les effets de cette pollution sont encore peu connus. "La recherche commence à peine dans ce domaine, explique Pascale Fabre, tout en rappelant que des microplastiques ont été découverts dans du placenta humain.
Carlos Marques, chargé de recherche au CNRS, a travaillé sur "la menace cachée des oligomères", ces éléments chimiques qui se composent d'un petit nombre d'unités. Il a montré, en 2021, que des résidus microscopiques issus de polystyrène étaient capables d'affecter le fonctionnement de nos cellules en se logeant dans les couches membranaires. "C'est grave parce que c'est générique, insiste le scientifique, toutes les cellules ont des parois membranaires. Nous sommes faits de cellules." Potentiellement, cela pourrait perturber des cellules neuronales ou intestinales, ou des cellules de n'importe quelle autre partie du corps. Ses prochains travaux devraient étudier la vitesse et la facilité avec laquelle les oligomères entrent dans les cellules. Il faudrait également, selon lui, réaliser des mesures afin de pouvoir quantifier les oligomères dans les êtres vivants.
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