: Récit Sur La Rambla, "les gens volaient de tous les côtés" : le soir où Barcelone a connu l'horreur
De Barcelone à Cambrils, au moins quatorze personnes sont mortes et une centaine ont été blessées dans ces attaques commises par des terroristes qui préparaient une "attaque de plus grande envergure". Récit des heures qui ont endeuillé l'Espagne.
La Rambla est bondée, comme d'habitude à cette époque de l'année. Jeudi 17 août, des milliers de personnes flânent sur cette avenue emblématique de Barcelone. Sur plus d'un kilomètre, de la place de Catalogne au vieux port, Barcelonais et touristes déambulent sur le terre-plein central, entre les fleuristes et les kiosques des marchands de souvenirs, dans une ambiance festive et estivale.
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Vers 17 heures, une camionnette blanche déboule à toute vitesse et vise la promenade piétonne, au centre de l'artère. "Soudain, j'ai entendu un fracas et toute la rue s'est mise à courir en criant", raconte Aamar Anwar à Sky News (en anglais). Tous les témoins se souviennent d'un "grand bruit", puis la "panique" et le "chaos". "La fourgonnette réalisait des zigzags pour atteindre un maximum de piétons", explique à BFMTV Henry, un touriste français en vacances à Barcelone. Le véhicule va poursuivre sa course folle sur plus de 500 mètres et s'arrête au niveau de la station de métro Liceu. Devant les roues, où est allongée une victime, une œuvre emblématique réalisée par l'artiste catalan Joan Miró, la Mosaic del Pla de l'Os.
#Barcelona Así ha quedado la furgoneta que ha arrollado a varias personas en las Ramblas. Se busca al autor de los hechos.
— AUGC Guardia Civil (@AUGC_Comunica) 17 août 2017
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"J'ai tout de suite pensé à Nice"
Hamid Houat, un touriste français qui déjeune avec son épouse, entend "des hurlements partout, des gens qui se jettent à gauche, à droite, pour essayer de ne pas être percutés", raconte-t-il à CNews. "J'ai couru le plus proche possible d'un lieu pour me protéger, le véhicule n'est pas passé loin de moi, la personne derrière moi a été percutée", poursuit Henry. "Les gens volaient de tous les côtés" au passage du véhicule, témoigne l'employé d'un restaurant situé en face de l'endroit où la camionnette a été abandonnée par son conducteur, qui a pris la fuite. "J'ai vu beaucoup de gens blessés, en sang. Des morts aussi", dit-il à France 2.
J'ai entendu des hurlements et un bruit d'écrasement. J’ai vu cette camionnette qui descendait La Rambla au milieu, à fond la caisse, et j’ai immédiatement compris qu’il s’agissait d’une attaque terroriste ou quelque chose d’approchant.
Tom Gueller, un riverain de La Ramblaà la BBC
Katia, une Française de 27 ans en congés à Barcelone, a "tout de suite pensé à Nice", dit-elle au Monde, dont la Promenade des Anglais a été visée par un attentat au camion le 14 juillet 2016. Un dix-neuf tonnes avait fauché des dizaines de personnes et fait 86 morts. La vacancière s'est "enfuie en criant à ceux qui marchaient vers La Rambla de partir".
Fuir l'horreur dans la bousculade, un réflexe de survie. Au sol, des corps inanimés et des flaques de sang. Un "véritable désastre", se désole Albert Tort, un infirmier de 47 ans qui vit sur La Rambla. Interrogé par El País (en espagnol), il raconte : "J'ai compté au moins six morts, j'ai tenté de ranimer un jeune, mais c'était impossible."
"On a interdiction de s'approcher des fenêtres"
Certains blessés sont emmenés sur des civières vers le Corte Inglés, un grand magasin, pour recevoir les premiers soins. Les gens qui fuient trouvent refuge dans les boutiques, bars et hôtels du quartier. Les policiers ordonnent aux commerçants de laisser entrer les passants et de baisser leurs rideaux derrière eux pour les protéger. La zone est bouclée, la foule de La Rambla est évacuée. Les stations de métro ferment. La chasse à l'homme commence, les forces de l'ordre quadrillent les rues alentours pour tenter de retrouver le conducteur.
Anita, touriste française venue sur les Ramblas pour faire du shopping avec sa fille, témoigne auprès de franceinfo : "Nous sommes une petite centaine, réfugiés dans un magasin. On est assis, on nous a distribué des bouteilles d'eau. On a interdiction de s'approcher des fenêtres." Eric, un vacancier français présent sur La Rambla, a "attrapé ses enfants, sa femme" et "réagi à l'instinct pour se cacher". "On est rentrés dans un restaurant qui fermait ses volets", dit-il. L'attente, insupportable, dure plusieurs heures.
#VIDEO Mossos en busca de unos de los terroristas cerca de la Boqueria #bcn #barcelona #atentado #terrorismo #catalunya #catalonia #Rambla pic.twitter.com/tSMyVWxZN5
— Adolfo Poveda (@adolfo_poveda) 17 août 2017
Depuis la boulangerie où il s'est réfugié, Steve Garrett, venu du Royaume-Uni, peut voir des policiers armés explorer le célèbre marché de La Boqueria, haut lieu de la gastronomie catalane, en retrait de La Rambla. "Ils semblaient chercher quelqu'un, ils avançaient avec une grande prudence, étal par étal", raconte-t-il à l'AFP. "On entend sur les talkies-walkies des policiers qu'un homme se serait retranché, les policiers sont très nerveux", ajoute Michael au micro de RTL. "Nous ne pouvons pour le moment pas en sortir, la police refuse", ajoute-t-il.
Flottements dans la communication
"Nos clients sont nerveux et pleurent, ils ne savent pas où se trouvent certains de leurs proches", se désole auprès de La Vanguardia (en espagnol) une employée de l'Hotel Lloret Ramblas. Pour tenter de rassurer les proches des gens présents sur place, Facebook et Google activent leur dispositif de signalement. Dehors, la confusion règne. Sur les réseaux sociaux, une rumeur fait état d'un homme retranché dans un restaurant turc avec des otages. Après un long moment de flottement, la police finit par démentir. Flottement aussi pour déterminer le bilan humain de l'attaque : plusieurs médias espagnols et catalans annoncent déjà 13 morts, quand le gouvernement catalan n'en dénombre qu'un seul.
A 18h50, les autorités confirment le caractère terroriste de l'attentat. Il sera revendiqué plus tard dans la soirée par l'organisation Etat islamique, via son organe de communication Amaq. Un premier bilan officiel finit par être dévoilé vers 20 heures par le responsable de l'Intérieur du gouvernement régional catalan : au moins 13 personnes sont mortes et plus de cinquante ont été blessées. Un bilan qui sera plusieurs fois revu à la hausse, pour s'arrêter sur "une centaine de personnes renversées" et hospitalisées.
Une heure auparavant, un peu après 17h30, à la sortie ouest de Barcelone sur l'avenue Diagonal, une voiture a forcé un barrage de police, fauchant au passage deux agents. Les policiers ouvrent le feu sur l'individu, retrouvé mort deux kilomètres plus loin au volant de son véhicule. Plusieurs zones d'ombre demeurent : s'est-il suicidé ou a-t-il succombé aux tirs des policiers ?
Et c'est sans compter la diffusion d'informations contradictoires dans les médias espagnols. Le portrait d'un homme est publié : Driss O., un Marocain de 28 ans, est désigné comme le conducteur de la camionnette. Son visage s'affiche à la télévision et sur les sites d'information. Les journalistes épluchent son profil Facebook à la recherche d'éventuels indices sur sa motivation. Les internautes y postent des bordées d'insultes. Finalement, La Vanguardia explique que la camionnette a été louée à son nom, mais qu'il s'est présenté au commissariat en accusant son frère d'avoir volé ses papiers d'identité, selon la radio Cadena SER (en espagnol).
Une attaque reliée à une explosion passée inaperçue
Dans la soirée, le ministre catalan de l'Intérieur et le responsable des Mossos d'Esquadra, la police régionale catalane, tiennent une conférence de presse commune pour aborder les premiers éléments de l'enquête. Ils évoquent la détention d'un homme à Ripoll, à une centaine de kilomètres au nord de Barcelone. Il n'en faut pas plus pour comprendre qu'il s'agit de Driss O., bien que son nom ne soit jamais prononcé. Les autorités annoncent l'interpellation d'une deuxième personne, un Espagnol dont l'identité n'a pas été révélée, arrêté à Alcanar, à 170 km au sud de Barcelone. Mais ni l'un ni l'autre n'ont été au volant de la fourgonnette, dont on comprend alors que le conducteur est toujours en fuite.
On apprend également, lors de cette conférence de presse, que l'attaque de La Rambla est reliée à un événement jusqu'alors passé inaperçu : l'explosion de bouteilles de gaz dans une maison d'Alcanar la nuit précédente. Si les enquêteurs avaient d'abord parlé de "fuite de gaz", ils révèlent qu'une personne est morte et qu'une autre a été grièvement blessée en fabriquant des explosifs. L'affaire se corse, le flou demeure.
Vers minuit, alors que le président du gouvernement Mariano Rajoy clôt les prises de parole officielles, l'étau se desserre sur La Rambla. Les policiers commencent à évacuer riverains et touristes confinés, et rouvrent partiellement l'accès à l'avenue. La nuit est tombée depuis longtemps, il faudra encore un peu de temps avant que le calme revienne dans les rues de Barcelone.
"C'était pan pan pan, des cris, encore des cris"
Quelques minutes plus tard, c'est à Cambrils, une station balnéaire à 120 km de là, que la quiétude de cette soirée estivale va être brutalement troublée. Près de huit heures après l'attentat de La Rambla, de nombreux vacanciers profitent de la douceur de la soirée sur la promenade en bord de mer. Soudain, une Audi A3 avec cinq personnes à bord tente de faucher des passants. "On était à l'entrée du port, il y avait un restaurant avec un orchestre… Une voiture a foncé sur un véhicule de police, puis s'est renversée", raconte Hassen, un Parisien de 49 ans, à l'AFP.
"Ils ont apparemment renversé plusieurs personnes avant de se heurter à une patrouille des Mossos d'Esquadra, et la fusillade a commencé", explique un porte-parole du gouvernement régional.
C'était pan pan pan, des cris, encore des cris. Moi je me suis jeté au sol sur la plage.
Joan Marc Serra Salinasà l'AFP
Les assaillants préparaient des attentats "de plus grande envergure"
Comme à Barcelone, chacun tente de se mettre à l'abri, sur la plage ou dans les bars et les restaurants qui longent le front de mer. "Nous avons entendu des tirs et on a pensé 'ça doit être des fusées'… Mais c'étaient des coups de feu", raconte le serveur d'un restaurant. Rapidement, la police annonce que les cinq occupants de la voiture ont été abattus. Ils portaient des ceintures d'explosifs qui s'avéreront factices. Un policier et six civils sont blessés lors de l'attaque. L'un d'eux, une femme, mourra à l'hôpital le lendemain matin.
L'hypothèse des enquêteurs est que les auteurs de l'attaque de Cambrils sont liés à celle de Barcelone. Vendredi après-midi, ils n'avaient pas tous été identifiés. Le conducteur de la camionnette de La Rambla pourrait donc se trouvait parmi eux. La police catalane a une certitude, néanmoins : l'explosion survenue dans la nuit de mercredi à jeudi à Alcanar "a permis d'éviter […] des attentats de plus grande envergure". Une vingtaine de bonbonnes de butane et de propane ont été retrouvées à l'intérieur du logement effondré. Ses occupants, qui fabriquaient au moins un engin explosif, "préparaient un attentat ou plusieurs".
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