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"Bien sûr que nous allons voter !" : à Sant Ramon, bastion indépendantiste catalan, les habitants guettent le référendum

Article rédigé par Robin Prudent - Envoyé spécial à Sant Ramon,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une affiche indépendantiste à Sant Ramon, en Catalogne, le 25 septembre 2017. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Dans ce petit village catalan, 80% des électeurs ont voté pour des partis indépendantistes lors des derniers scrutins. Ils réclament aujourd'hui le droit de voter au référendum d'autodétermination du 1er octobre. Reportage. 

"Votons pour être libres." A Sant Ramon, au beau milieu de la campagne de Catalogne, le ton est donné dès le panneau d'entrée d'agglomération. Pas de "bienvenue", de "ville fleurie" ou d'indication sur le monastère du village : seulement ces quatre mots en catalan affichés à la vue de tous ceux qui traversent la bourgade de 500 âmes.

Il faut dire qu'ici, les habitants ont été 80% à voter pour des partis indépendantistes aux dernières élections, contre 47,7% au niveau régional. Alors, à quelques jours du référendum d'autodétermination organisé dimanche 1er octobre, les Sanramoninos sont bien décidés à aller voter, malgré l'interdiction de la justice. Lundi, franceinfo est allé à leur rencontre.

Le panneau d'entrée d'agglomération de Sant Ramon, en Catalogne, le 25 septembre 2017. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Dans le café du village, où flotte un drapeau catalan, Alberto, 49 ans, finit sa tasse en regardant une chaîne d'information espagnole, en ce jour férié catalan. Les images tournent en boucle sur les Mossos d'Esquadra, la police catalane, obligée d'intervenir contre l'organisation du scrutin, sur ordre de Madrid.

Pas de quoi perturber ce Catalan, habitant d'un village tout proche. "Bien sûr que nous allons voter ! assène Alberto avec impatience. Et si ce n'est pas possible d'accéder au local où doit être installé le bureau de vote, nous irons ailleurs." Où ? A l'église s'il le faut. Il évoque l'abbaye de Vallbona, à quarante kilomètres de là, et la promesse de son abbesse, qui s'est dite prête à installer des urnes entre ses murs.

"On ne peut pas sauter en marche"

"De toute façon, ils ne pourront pas mettre un policier devant chaque électeur", réfléchit Alberto. Le village est à plus d'une heure de Barcelone et les bourgades alentour dépassent difficilement la centaine d'habitants. Alors, les Sanramoninos ne s'inquiètent pas des opérations de police spectaculaires des derniers jours. Ici, ni manifestation, ni confrontation ne sont prévues dimanche. "Cette fois, le processus est lancé et on ne peut pas sauter en marche", martèle Alberto.

Alberto, dans un bar de Sant Ramon, en Catalogne, le 25 septembre 2017. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Même détermination dans la voix de Meritxell. Pour cette habitante de Sant Ramon, ce serait même anticonstitutionnel d'empêcher la tenue du référendum. "Aujourd'hui, la question, c'est : 'a-t-on encore le droit de voter ?' lance-t-elle devant sa porte d'entrée recouverte d'affiches pro-indépendantistes. Que ce soit pour le 'oui' ou le 'non', nous devons pouvoir voter !"

Ras-le-bol politique et "culture catalane"

Et le "oui" s'annonce comme la tendance locale. Chacun des habitants croisés expose ses arguments pour prouver, à qui en doute encore, que l'indépendance est la bonne solution. "Madrid ne nous traite pas bien. On lui donne toute notre richesse et elle ne nous rend que des miettes, juge Alberto. Je ne suis pas contre la solidarité, mais quand d'autres mangent mieux avec mon argent, ce n'est pas possible." Comme lui, beaucoup se plaignent de voir d'autres régions d'Espagne "profiter" de la redistribution de la richesse catalane.

L'horloge du bar affiche 11 heures. Il est temps pour Alberto de retourner à son entreprise de construction. Sur sa route, il croise Celestino, le gérant de la station essence voisine. Lui se dit fatigué par les longues années de conflit entre Barcelone et Madrid. "Je ne suis pas contre les Espagnols : je parle castillan, alors que ma langue est le catalan. Je ne suis pas contre Madrid, je suis contre les politiques", soupire ce Catalan depuis toujours, en profitant d'une pause pour trier des amandes dans sa brouette. Pour lui, le référendum permettra surtout d'exprimer son ras-le-bol des politiques et de la corruption. Alors tant mieux si ce vote fait enrager le gouvernement.

Celestino, à Sant Ramon, en Catalogne, 25 septembre 2017. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"Ils nous ont colonisés", attaque de son côté Vicente, qui dirige le magasin de fourrure et de cuir du village. Pêle-mêle, ce quinqua rasé de près condamne "les Espagnols des autres régions qui viennent se soigner dans nos hôpitaux", "les étrangers qui ne respectent pas nos coutumes" ou encore "les hommes politiques qui ont oublié qu'ils doivent travailler pour le peuple, et pas l'inverse". Face à ces "colons", Vicente défend lui aussi l'indépendance. "Ceux qui ne veulent pas de l'indépendance sont soit des incultes, soit des sadomasochistes", tranche-t-il, en insistant sur la défense de la "culture catalane" lors du référendum.

Avec l'indépendance, on veut revenir à nos racines. On veut que notre mémoire soit conservée.

Vicente, commerçant à Sant Ramon

à franceinfo

Le village de Sant Ramon, en Catalogne, le 25 septembre 2017. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"On retourne simplement chez nous"

Comme lui, la majorité des habitants de Sant Ramon veut exprimer sa colère contre l'Etat central. Et contre une emprise historique de Madrid dont ils espèrent enfin s'émanciper. Nombreux sont ceux qui évoquent le début du XVIIIe siècle, quand le roi d'Espagne Philippe V a aboli les institutions catalanes et imposé le castillan comme langue exclusive dans l'administration et le gouvernement. Un crève-cœur que les Catalans n'ont toujours pas digéré, à l'instar d'Alberto.

La Catalogne a été placée sous domination espagnole depuis 300 ans. Avec le référendum d'indépendance, on ne quitte rien, on retourne simplement chez nous.

Alberto

à franceinfo

La porte d'entrée d'une maison, recouverte d'affiches indépendantistes, à Sant Ramon, en Catalogne, le 25 septembre 2017. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Cette défiance envers l'Etat central, Meritxell l'exprime à travers une métaphore. "Madrid est un parent avec 17 enfants, les communautés autonomes d'Espagne. Il laisse faire ce qu'ils veulent à 12 ou 13 d'entre eux et en martyrise trois ou quatre autres. Au bout d'un moment, on en a marre d'être maltraité, s'agace-t-elle. On a essayé de dialoguer des dizaines de fois avec le gouvernement central, ça n'a pas fonctionné. Il ne nous laisse pas d'autre option…"

Le référendum, et après ?

Mais personne ne semble certain de l'issue du scrutin dans toute la Catalogne. Aux dernières élections, les partis indépendantistes ont pu accéder au pouvoir pour la première fois, mais sans obtenir une majorité absolue en nombre de voix. "Si le gouvernement avait laissé le référendum se dérouler tranquillement, je pense que le 'non' l'aurait emporté dimanche, avance même une commerçante de la rue principale du village. Mais là... Les jeunes sont très mobilisés pour l'indépendance."

Pour Meritxell, il faudra de toute façon prendre en compte le vote des Catalans. "Le dernier référendum, le 9 novembre 2014, était une simple consultation. Cette fois, si le 'oui' l'emporte, on quitte l'Espagne !" s'exclame cette indépendantiste.

Ana devant un bar à Sant Ramon, en Catalogne, le 25 septembre 2017. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

De quoi faire naître quelques craintes chez Ana, l'une des serveuses du bar et une des seules habitantes à nuancer le discours radical des indépendantistes. "Que va-t-il se passer après le vote ? s'interroge-t-elle discrètement, en assurant vouloir se déplacer dimanche. Si les grandes entreprises partent de Catalogne, comment va-t-on trouver du travail ?" A l'heure où le bastion indépendantiste somnole, plus personne n'est là pour répondre à ses inquiétudes.

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