Catalogne : Madrid traque (en vain) les urnes qui doivent servir au référendum d'indépendance
Le gouvernement catalan affirme disposer de 6 000 urnes pour le référendum d'autodétermination du 1er octobre. Mais personne ne sait où elles sont cachées.
C'est le secret le mieux gardé de Catalogne. Où sont cachées les milliers d'urnes qui doivent être utilisées pour le référendum d'autodétermination, dimanche 1er octobre ? Depuis plusieurs semaines, le gouvernement, les juges et les policiers espagnols sont à leur recherche. Sans succès. De quoi alimenter les rumeurs autour de cet objet indispensable au bon déroulement du scrutin, jugé illégal par le Tribunal constitutionnel espagnol.
En fin de semaine dernière, la garde civile croit enfin tenir une piste sérieuse. Des urnes auraient été livrées à une entreprise de fabrication d'emballages, située à 65 kilomètres au nord-ouest de Barcelone. C'est une photo, diffusée sur WhatsApp qui leur met la puce à l'oreille. On peut y voir une large palette de 290 kg de cartons et une fiche indiquant : "Emballages urnes et bulletins." Bingo. Les policiers pensent qu'une partie des 6 000 urnes revendiquées par le gouvernement catalan doivent se trouver là-bas.
Descente de militaires à l'usine
Le 22 septembre à 8h45, une vingtaine de militaires débarquent devant l'immense hangar d'InnovaPack, situé dans une zone industrielle d'Odena. Les membres de la garde civile bloquent les entrées et les sorties du hangar avec leurs deux véhicules. Une petite délégation monte dans le bureau du gérant, situé au bout d'un escalier, au-dessus de l'entrepôt. "Ils sont arrivés et ils m'ont montré leur carte d'agent de la garde civile, raconte le gérant, Llorenç Vilanova, à franceinfo, mardi 26 septembre. Il nous ont expliqué qu'ils voulaient inspecter et perquisitionner l'usine."
Les policiers semblent très pressés de récupérer la palette suspecte. "Je leur ai demandé s'ils avaient une autorisation du juge pour réaliser une perquisition et ils m'ont répondu que non", explique Llorenç Vilanova, en chemise à pois et mocassins devant son usine. Le temps est compté avant le référendum et la pression du gouvernement maximale. Alors, pour ne pas faire de vagues, ni se mettre à dos les autorités, l'entrepreneur les laisse entrer.
"Ils m'ont demandé si je n'avais rien à déclarer, en insistant sur le fait que j'aurai moins d'ennuis si je leur disais maintenant", explique le patron. Mais rien à faire, Llorenç Vilanova ne voit pas ce que la garde civile pourrait trouver de compromettant dans son usine spécialisée dans les emballages de bières, de pâtes ou de calendriers de l'avent.
"Ils ont mis leur gilet 'Guardia civil' et ils ont passé plus d'une heure à tout inspecter, se rappelle le gérant, en montrant du doigt les centaines d'emballages toujours amassés. Ils ont ouvert des cartons, demandé aux employés de sortir certaines palettes..." Alertés de la perquisition, le maire indépendantiste de la ville voisine d'Igualada, Marc Castells, la députée Maria Senserrich et plusieurs dizaines de militants indépendantistes se rassemblent devant l'usine pour protester.
Mais à l'intérieur du bâtiment, la garde civile fait chou blanc. Les militaires découvrent des paquets de pâtes par milliers... mais pas la trace d'une urne. Et pour cause : la fameuse palette suspecte ne contient en réalité que des emballages de cosmétiques.
Selon Llorenç Vilanova, la fiche indiquant du matériel électoral n'était en fait qu'une mauvaise blague d'un fournisseur de l'entreprise, prise en photo par des employés. "Les militaires ont rempli un acte précisant qu'ils n'avaient rien trouvé, me l'ont donné et sont repartis" bredouilles, raconte le gérant, un peu amer.
Moi, je ne sais pas où sont ces urnes, mais une chose est sûre : avec toutes ces opérations de police, le gouvernement va réussir à faire voter pour l'indépendance.
Llorenç Vilanovaà franceinfo
"Le trésor démocratique le mieux gardé du pays"
Ce raté de la garde civile a provoqué les moqueries de nombreux militants indépendantistes sur les réseaux sociaux, jusqu'à l'Assemblée nationale catalane (ANC), une association indépendantiste très engagée dans l'organisation du référendum. "Ils passent des milliers d'heures à chercher le trésor démocratique le mieux gardé du pays : les urnes", a nargué le président de l'ANC, Jordi Sànchez, lundi. Ils ne les trouvent pas, monsieur Rajoy, parce que – écoute bien – lorsqu'un peuple veut préserver le trésor de la démocratie, il n'y a aucun garde civil, ni procureur, ni juge, qui peuvent le trouver."
Et de fait, aucune urne n'a encore été découverte. De quoi en déconcerter plus d'un. "Nous n'avons ni les urnes ni les bulletins. Ils vont nous arriver d'un moment à l'autre, mais je ne sais pas quand ni d'où parce que c'est complètement caché", confie à France Bleu Roussillon Domingo Mora, adjoint au maire de Puigcerda, une petite ville de 10 000 habitants située dans les montagnes pyrénéennes, à la frontière avec la France. "Tout est prêt", rassure l'un des maires de l'Association des municipalités indépendantistes auprès de franceinfo, sans en dire davantage.
Pour multiplier les chances de mettre la main sur ce précieux matériel électoral, les autorités ont décidé de mettre les bouchées doubles. Le 25 septembre, le procureur général de Catalogne a demandé aux Mossos d'Esquadra, la police catalane, d'agir, eux aussi, contre la préparation du référendum, interdit par la justice. Ils sont ainsi appelés à saisir toutes les urnes qu'ils pourraient trouver dans les bureaux de vote prévus par le gouvernement catalan.
Des urnes... en carton ?
Malgré tous les moyens déployés, toujours rien. Alors, face à cette absence de résultat, les interrogations sont de mise. Les urnes sont-elles transparentes ou en carton ? Selon le quotidien El Pais (en espagnol), le décret d'application du référendum, voté par le Parlement catalan, indique que chaque bureau de vote aura "une urne en matière résistante avec un couvercle prévoyant une rainure au centre par où pourra être introduit un bulletin de vote".
La phrase reprend les conditions de vote utilisées habituellement pour les élections en Catalogne. A une exception près : le texte ne prévoit pas que les urnes puissent être "transparentes", comme c'est normalement le cas, afin d'éviter toute fraude. De quoi relancer les rumeurs sur la possibilité de se retrouver avec des urnes en carton dimanche, comme le 9 novembre 2014, lors de la précédente consultation.
Quant au lieu où les urnes pourraient être conservées, certains médias évoquent la piste de l'étranger, dans les pays baltes, comme l'Estonie, la Lettonie ou la Lituanie. Mais cette hypothèse nécessiterait une logistique importante pour les répartir ensuite dans toute la Catalogne... Bref, pas une piste sérieuse à l'horizon. Quoiqu'il en soit, les responsables indépendantistes continuent d'afficher leur sérénité, au moins en façade. "Nous pouvons garantir que tout le matériel nécessaire pour voter existe", assure Raul Romera, responsable des relations internationales de la région.
De leur côté, les militants indépendantistes se préparent déjà à protéger ces biens électoraux jusqu'au bout. Des messages circulent sur WhatsApp pour appeler les électeurs à se déplacer dès l'ouverture des bureaux de vote, dimanche, afin de "protéger" les urnes de la police. L'assemblée paysanne de Catalogne a même appelé à une "veille des urnes", le jour du vote. "Nous vous invitons à garer tous les tracteurs du pays près des bureaux de vote", a-t-elle annoncé. Encore faut-il que lesdites urnes soient réapparues en Catalogne d'ici là.
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