Espionnage d'internet : Edward Snowden a-t-il gagné son pari ?
L'Américain à l'origine du scandale "Prism" voulait "informer les gens de ce qui est fait en leur nom et de ce qui est fait contre eux". Mission accomplie ?
Le monde a découvert le programme Prism le 6 juin, dans les colonnes du quotidien britannique The Guardian. Mis en place par l'Agence de sécurité nationale américaine (NSA), il consiste à surveiller les télécommunications, aux Etats-Unis comme à l'étranger, notamment à travers les grands groupes internet. A l'origine de ces révélations : Edward Snowden, un Américain de 30 ans employé d'un sous-traitant de l'agence de renseignements et devenu le geek le plus traqué de la Terre.
Resté invisible depuis son départ de Hong Kong le 23 juin et bloqué dans la zone de transit d'un aéroport de Moscou (Russie), l'informaticien a demandé à rencontrer, vendredi 12 juillet, des avocats et défenseurs des droits de l'homme. Selon différentes sources, après cette rencontre prévue vers 17h heure française, il devrait faire une déclaration dans laquelle il compte dénoncer l'acharnement des Etats-Unis à son égard.
Dans l'interview qui a fait de lui "une honte", selon l'expression de Barack Obama, Snowden a confessé sa "plus grande crainte" : "Que ces révélations ne changent rien." Un mois après l'explosion du scandale, francetv info a tenté de savoir s'il avait accompli sa mission.
Oui, parce qu'il a (plutôt) convaincu les citoyens
Lorsque le scandale a éclaté début juin, les Américains ont eu du mal à se faire une opinion sur ce type au visage d'ado, venu leur annoncer que la NSA exigeait de Facebook, Google et consorts de leur communiquer des données privées. Dans un sondage du 17 juin, une petite majorité d'entre eux (54%) jugeaient alors qu'il méritait d'être poursuivi pour avoir révélé le programme.
Après avoir débattu plusieurs semaines de la démarche de Snowden, 55% d'entre eux estiment désormais qu'il n’est pas un traître, mais un lanceur d’alerte. Le 4 juillet, jour de la fête nationale, le visage d'Edward Snowden s'est ainsi inscrusté dans les cortèges, comme ici, à Santa Monica (Californie) et à New York.
Enfin, l'Américain a fédéré les défenseurs de la vie privée sur internet et de la liberté d'expression, peu mobilisés à l'échelle mondiale depuis que Julian Assange, papa de WikiLeaks, croupit à l'ambassade d'Equateur, à Londres (Royaume-Uni).
Non, parce qu'il reste décrié et peu influent
Accusé d'avoir fourni des informations au gouvernement chinois - il a nié mercredi, dans un nouvel entretien au Guardian (en anglais) -, il irrite en particulier les autorités américaines, ainsi que les citoyens se revendiquant les plus patriotes. Parmi eux, le hacker "The Jester" : fin juin, ce dernier s'en est pris à des sites équatoriens, pays susceptible d'accorder l'asile à Snowden. Sur son blog, l'"hacktiviste" qui affirme être un ancien soldat a rapidement taclé le "traître", qu'il présente en substance comme un crétin réformé, malintentionné et à côté de la plaque (en anglais).
Par ailleurs, les révélations de Snowden n'ont pas bouleversé les habitudes des internautes. Combien ont quitté Google, Yahoo!, Skype et les autres services auprès desquels la NSA se serait procuré des informations ?
Oui, car son action a des (petites) conséquences politiques
Si l'administration Obama assure que la surveillance est légale et s'inscrit dans le cadre du Patriot Act [ce texte rédigé post-11-Septembre par l'administration Bush étend les prérogatives des agences de renseignements], l'opinion a évolué sur cette question : 40 à 45% des Américains considèrent que le gouvernement a été trop loin dans la restriction des libertés sous couvert d'antiterrorisme. Ils étaient 25% en janvier 2010.
Pourtant, "aucun projet de loi n'a été déposé au Congrès pour régir les écoutes téléphoniques, la surveillance d'internet, la préparation de cyber-attaques, ni une quelconque autre prérogative gouvernementale révélée par Snowden", a noté le site américain Politico (en anglais), regrettant que les commissions sur le renseignement au Congrès aient pris la défense de Prism. "Le changement prend du temps", répond pour sa part le site The Atlantic Wire (en anglais). Il rappelle que, dans la foulée des révélations, une poignée de sénateurs et députés se sont prononcés en faveur d'une réforme de la Foreign Intelligence Surveillance Court, la chambre secrète qui a validé, entre autres, le programme Prism.
Sur le plan de la politique internationale, l'Europe s'est chargée de limiter les conséquences de l'affaire Snowden : en dépit des tensions, Bruxelles a fait pression pour que les négociations avec les Américains sur le traité de libre-échange démarrent. En revanche, la rupture est consommée avec les trois pays d'Amérique du Sud qui ont offert l'asile à Snowden.
Non, parce que l'indignation des pays espionnés est teintée d'embarras
Malgré la condamnation unanime de Prism par les nations espionnées, soucieuses d'obtenir "des explications", l'ancien de la NSA n'a pas le pouvoir d'infléchir la politique de renseignement. Et pour cause, Snowden a déclaré que les Etats étaient surveillés par la NSA, mais aussi qu'ils étaient appelés à collaborer avec l'agence américaine, toujours selon le fugitif, cité par Der Spiegel. Ainsi, la France aurait son propre Prism, a rapporté Le Monde.fr, une information depuis en partie démentie par le spécialiste Jean-Marc Manach.
Oui, parce qu'il soulève un nouveau débat sur les lanceurs d'alertes
Le Parlement européen a adopté "à une très large majorité" une résolution "visant à barrer la politique américaine en matière de surveillance électronique", a indiqué Numerama, précisant plus loin qu'"en premier lieu, il s'agit de protéger les lanceurs d'alertes".
Une commission parlementaire mène d'ailleurs une enquête sur "l'impact des activités de surveillance supposées sur le droit au respect de la vie privée et la protection des données des citoyens de l'UE, la liberté d'expression, la présomption d'innocence et le droit à un recours effectif", poursuit le site.
Enfin, aux Etats-Unis mais aussi en France, des pétitions ont été lancées pour demander la protection des lanceurs d'alertes.
Non, parce qu'il éveille des souvenirs de guerre froide
Réfugié à Hong Kong, puis en transit dans un aéroport moscovite depuis près de trois semaines, l'Américain - "invité du gouvernement russe", a écrit Slate.com (en anglais) - aurait déposé 21 demandes d'asile, dont seules trois auraient obtenu une réponse positive : par le Venezuela, la Bolivie et le Nicaragua.
Comme du temps de la guerre froide, la Russie cherche à se poser en rivale de Washington : "La venue, de sa propre volonté, d'Edward Snowden à Moscou est un cadeau inespéré pour le contre-espionnage russe", a expliqué à francetv info le correspondant de France 2 à Moscou, Alban Mikoczy. Pendant son escale, "tout porte à croire qu'en échange d'une protection juridique et sans doute physique, [Snowden] a dû raconter au FSB, les services secrets russes, tout ce qu'il sait des programmes d'écoute américains." L'Américain nie.
Quant au Global Post (en anglais), il estime que cette période d'incertitude donne l'occasion d'observer "la relation naissante entre Moscou et ces pays d'Amérique latine, critiques à l'égard des Etats-Unis".
Non, parce qu'il a dit adieu à la vie privée... (la sienne)
Tel le soldat Bradley Manning, poursuivi pour avoir transmis à WikiLeaks des documents confidentiels de l'armée américaine sur la guerre en Afghanistan, Edward Snowden paie déjà de sa liberté le prix de ses révélations. Mais selon le journaliste du Guardian à qui il a offert l'exclusivité de l'affaire Prism, "il est absolument heureux des choix qu'il a fait. Il est un peu anxieux sur la prochaine étape (...), mais il est très satisfait du débat qu'il a provoqué".
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