Espionnage : "Il n’y a plus d’amis réels, seulement de vrais ennemis"
Alain Juillet, spécialiste de l'espionnage économique, est "effaré qu’on semble découvrir ce que les Américains ont mis en place comme système d’écoute".
C’est un des rares hauts fonctionnaires à s’être toujours préoccupé des systèmes d’espionnage économique. Alain Juillet est d’ailleurs le président de l’Académie d’intelligence économique. Les révélations sur l’écoute des bureaux de l’Union européenne par la NSA américaine l’ont fait bondir. Interview.
Francetv info : Que l’Union européenne soit espionnée via le système Prism de la NSA, cela vous a-t-il surpris ?
Alain Juillet : Vraiment pas ! Je dirais même que je suis effaré qu’on semble découvrir ce que les Américains ont mis en place comme système d’écoute et d’espionnage en général. Cela montre bien que nombre de responsables politiques ou économiques n’ont rien compris ou rien appris. En fait, depuis le 11 septembre 2001, sous couvert de lutte antiterroriste, les Etats-Unis se sont mis à écouter tout le monde. C’est un système d’espionnage planétarisé. Et qui s’est intensifié au début des années 2000, mais qui existait déjà depuis longtemps.
Comment expliquez-vous alors la surprise des responsables actuels ?
Par un excès de naïveté. Une incroyable candeur et cela tout spécialement en Europe. Les éléments que révèle le Spiegel montrent que nous sommes face, non pas seulement à une affaire politique, mais bel et bien économique. Il s’agit pour les Américains de tout faire et donc de tout recueillir pour favoriser leurs entreprises. C’est bien la caractéristique de notre monde actuel. Il n’y a plus d’amis réels, seulement de vrais ennemis ! L’intrusion peut donc venir de nos alliés, fussent-ils américains. Et ce n’est pas une histoire nouvelle. Il y a vingt ans déjà, l’entreprise Thales a perdu d’importants contrats avec le Brésil parce qu’elle avait été espionnée par les Américains. C’est George Bush père qui, après la chute du mur de Berlin, a réorienté le système Echelon (les grandes oreilles américaines) sur les économies du monde entier. Bien sûr, les Russes ont ensuite fait de même, les Chinois aussi. Mais les Américains sont particulièrement puissants en la matière.
Comment se prémunir face à une telle ampleur de moyens ?
Nous devons durcir nos législations. Il faut être particulièrement rigoureux dans nos appels d’offres. Par exemple, quand nous achetons du matériel informatique, des téléphones, des logiciels, veiller à établir des cahiers des charges particulièrement sévères. Car il faut savoir que nos matériels sont truffés de "back doors" (portes de derrière) ! D’ailleurs les Américains ne s’y trompent pas. Ils ont interdit sur le territoire l’acquisition de matériel chinois - des centraux téléphoniques – parce qu’ils redoutaient ce genre de malversations. C’est l’ensemble du système numérique qui est vulnérable. Nous avons là un formidable bras de levier pour notre développement, mais aussi une redoutable capacité d’intrusion, car les Anglo-Saxons possèdent les clés pour y entrer.
Mais nous aussi, nous écoutons ?
Certes, les Français ne s'en sont jamais cachés. Nous possédons effectivement des stations d’écoute. Cependant, notre budget alloué à la totalité de nos services de renseignement est à des années-lumière de celui de la seule NSA, par exemple. Avec cette affaire, j’ose espérer qu’une prise de conscience européenne va avoir lieu. Que l’on prendra effectivement des décisions. Et pas seulement en faisant les gros yeux, tout en disant : "c’est mal ce que vous avez fait là !"
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