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Allemagne : cinq questions sur le scandale financier autour de la société Wirecard

La référence allemande du paiement électronique a déposé le bilan après des révélations sur un maquillage de comptes présumé. L'affaire met les autorités allemandes sur le gril, car elles n'ont pas réussi à identifier et empêcher ce scandale.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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L'ex-PDG de Wirecard, Markus Braun, lors d'une conférence de presse en avril 2019 à Aschheim (Allemagne). (PETER KNEFFEL / DPA)

C'est un vaste scandale qui met en difficulté les autorités de contrôle du secteur financier allemand. Wirecard, une société de paiement en ligne, vient de déposer le bilan sur fond d'accusations de "fraude de grande envergure" par l'auditeur de ses comptes. Le cabinet EY (Ernst & Young) a même refusé de certifier les comptes 2019 de l'entreprise, convaincu de disposer "d'indices clairs" sur une "volonté de tromperie" impliquant "plusieurs parties dans le monde et diverses institutions".

Cette affaire de maquillage de comptes présumé dépasse désormais les frontières du pays, puisque l'agence européenne de supervision des marchés financiers (ESMA) demande une enquête, vendredi 26 juin, sur les éventuels manquements de la supervision allemande dans ce scandale

1Quel est le point de départ du scandale ?

La société Wirecard garantit des règlements de transactions effectuées en ligne par des entreprises, telles que des compagnies aériennes, des agences de voyage ou des pharmacies en ligne, encaissant au passage une prime de risque. La société a révélé qu'une somme de 1,9 milliard d'euros inscrite à son bilan, et censée provenir de banques aux Philippines, n'existait en fait "très probablement" pas. Les fonds devaient se trouver sur des comptes basés dans le pays asiatique, mais à Manille, la Banque centrale assure que cet argent n'est jamais arrivé dans le pays.

"Je ne peux pas croire qu'une entreprise comme Wirecard n'ait pas su qu'une somme de près de deux milliards d'euros ne figurait pas dans ses comptes", s'étonne Gunther Friedl, qui enseigne l'administration des entreprises à l'université de Münich.

Qu'ils aient besoin d'un audit est incroyable. Je me demande si leur contrôle interne fonctionne. Apparemment, pas du tout.

Gunther Friedl

à franceinfo

Ce n'est pas la première fois que l'activité de l'entreprise fait naître des soupçons de fraude. De premières rumeurs étaient apparues dès 2015 et le Financial Times évoquait en 2019 (en anglais) des manipulation des bilans, avec l'Asie comme épicentre des malversations. Aucune conséquence pourtant n'en a été tirée. Le fondateur et ancien président de la société, Markus Braun, soupçonné d'avoir "gonflé" artificiellement le bilan, a démissionné. Il a également été mis en examen et laissé en liberté sous caution de 5 millions d'euros. 

2Quelles conséquences pour Wirecard ?

Après la démission de Markus Braun, l'effondrement du cours de l'action et les poursuites judiciaires enclenchées, se profile désormais la menace de liquidation. Wirecard a annoncé jeudi déposer le bilan devant le tribunal de commerce de Münich, où elle a son siège, en raison de "la menace d'insolvabilité et de surendettement" affectant sa maison mère. En clair, les banques créancières qui la maintenaient sous perfusion ont décidé de fermer le robinet. Elles ont le droit d'annuler des prêts de plus de deux milliards d'euros, dès lors que Wirecard n'est pas en mesure de présenter un bilan certifié pour l'année précédente, ce que lui a refusé le cabinet EY.

La justice peut désormais opter pour l'ouverture d'un règlement judiciaire, pouvant permettre à la société de se restructurer, ou bien sa mise en liquidation s'il n'y a aucun espoir de reprise. Par ailleurs, Wirecard étudie si des filiales, comme celle en Allemagne détenant une licence bancaire, ou une autre au Royaume-Uni émettant des cartes de paiement virtuelles, devront aussi se déclarer en faillite. La presse allemande évoque jeudi un mouvement de désertion de clients de Wirecard de nature à aggraver sa situation financière déjà précaire.

3Pourquoi cette affaire fait-elle tant de bruit ?

Parce que Wirecard est un géant du secteur. Avec 6 000 salariés et 26 succursales dans le monde, la société était devenue une référence du paiement numérique. S'ajoutant aux affaires du Dieselgate chez Volkswagen ou de malversations chez Deutsche Bank, la chute de ce prestataire de services financiers sur le segment en plein boom des paiements électroniques est "un désastre complet", a d'ailleurs tempêté en début de semaine Felix Hubeld, le président du gendarme financier allemand, la BaFin.

4Pourquoi les autorités allemandes sont-elles dans l'embarras ?

Malgré l'existence de rumeurs depuis plusieurs années, la BaFin a été incapable d'empêcher le scandale. Une "honte" pour l'Allemagne, un "déshonneur pour l'élite financière", selon la Süddeutsche Zeitung (article en allemand). Dans cette affaire, "l'ensemble du système financier allemand s'est couvert de honte", juge la presse allemande, mettant en cause indistinctement les instances de contrôle, les agences de notation, les auditeurs, banques et sociétés d'investissement, qui ont brûlé des milliards de fonds confiés par des épargnants privés. "L'Allemagne est le dernier endroit où nous aurions pu imaginer pareille situation", s'est encore agacé le ministre de l'Economie, Peter Altmaier, tout en appelant à "prendre des mesures énergiques" à la suite de ce scandale. Le gouvernement allemand a notamment annoncé un durcissement des contrôles de ce secteur encore peu surveillé.

5Pourquoi la Commission européenne suit-elle l'affaire de près ?

La Commission européenne a chargé l'Autorité européenne de supervision des marchés financiers (ESMA) de mener à bien une "analyse préliminaire" d'ici le 15 juillet. Dans un entretien au Financial Times, le vice-président de la Commission européenne Valdis Dombrovskis a déclaré que cette enquête devrait déterminer "s'il y a eu des manquements en matière de surveillance et, le cas échéant", permettre "de définir une ligne de conduite possible".

Selon les résultats de cette enquête préliminaire, il pourrait y avoir une investigation complète conduisant à la remise d'un rapport par l'ESMA, institution basée à Paris. Ce rapport énumèrerait les lacunes de la supervision et donnerait des instructions à la BaFin pour introduire des réformes dans ses méthodes de travail.

Cette affaire tombe en outre bien mal pour l'Allemagne, qui doit prendre la présidence tournante de l'UE au début du mois de juillet.

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