Cet article date de plus de huit ans.
Faut-il juger les derniers criminels nazis? Le sentiment de Serge Klarsfeld
A l’occasion de la Journée des victimes de l’Holocauste, le 27 janvier 2016, le centre Wiesenthal a publié une liste de neuf hommes et une femme qui vont ou pourraient se retrouver devant des juges en 2016 pour leur implication présumée dans des crimes nazis. Le point de vue de Serge Klarsfeld, président de l’Association des fils et filles des déportés juifs de France, sur ces jugements tardifs.
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Temps de lecture : 4min
De tels jugements ont-ils encore un sens plus de 70 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale ?
Il y a 40-50 ans, la société allemande, composée de personnes qui avaient vécu le nazisme, ne voulait pas qu’on juge les criminels de cette période. Elle n’avait pas conscience des crimes commis contre les juifs. Les juges se sont donc montrés dociles vis-à-vis d’elle et des pouvoirs publics allemands. Alors qu’à cette époque vivaient encore des criminels importants pour lesquels on pouvait trouver des témoins et des documents.
Aujourd’hui, la situation a changé. La société allemande a pris conscience des crimes commis pendant la période nazie, et elle les assume. Elle entretient une amitié solide avec Israël, elle paye des réparations pour les survivants de l’Holocauste. Elle l’assume aussi du point de vue des criminels. C’est ainsi que se trouvent impliqués des gens très âgés, qui avaient entre 17 et 24 ans au moment des faits et occupaient des fonctions subalternes.
Les magistrats se soumettent ainsi aux souhaits de la société et trouvent les moyens juridiques de juger : on se trouve là face à un fait de société. Le problème, c’est qu’il s’agit de crimes pour lesquels il n’y a plus aujourd’hui ni témoins ni documents.
Précisément sur quels fondements juridiques la justice allemande se base-t-elle ?
Ils ont changé. Avant le procès Demjanjuk en 2009, les accusés étaient jugés pour leur implication personnelle dans les faits incriminés. Mais depuis ce procès, il suffit, pour les juger, qu’ils aient appartenu à une organisation criminelle. On n’a plus à prouver leur implication personnelle. Ils sont automatiquement accusés sauf s’ils réussissent à prouver leur innocence.
Demjanjuk a fait appel de sa condamnation. Mais il est mort (en mars 2012, NDLR) avant que la Cour fédérale (Bundesgerichtshof, plus haute instance judiciaire en Allemagne, NDLR) ne rende sa décision. Et ne donne son point de vue sur les fondements juridiques de ce type de procès.
Le fait que les Allemands veuillent juger les anciens criminels nazis est positif. Le problème, c’est que cela se fait sans preuve et ne relève pas des principes d’une justice équitable. On s’intéresse ainsi à des gens qui ont occupé des fonctions subalternes, comme des gardiens de camp, pour des faits pour lesquels il existe très peu de témoins survivants. Et si l’on en trouve encore, ceux-ci ont souvent une mémoire défaillante. Il manque aussi des preuves écrites en raison du caractère subalterne des personnes incriminées.
En 2014, la justice allemande a renoncé à juger un ancien mitrailleur impliqué dans le massacre d’Oradour-sur-Glane en juin 1944. Elle n’a pas voulu se prononcer. Il faut dire que si ce dernier avait été acquitté, l’affaire aurait pu créer un incident diplomatique entre la France et l’Allemagne. Alors que même l’ex-RDA avait jugé un homme (Heinz Barth, NDLR) dans ce dossier pour crimes de guerre. Pourtant, il y a 50 ans, Lammerding (général SS commandant la division das Reich qui a commis le massacre d’Oradour-sur-Glane en juin 1944, NDLR) était encore vivant.
Quelle conclusion en tirez-vous ?
On assiste aujourd’hui à la fin d’un processus, avec des accusés très âgés, qui ont parfois plus de 95 ans. C’est un processus maladroit qui va continuer jusqu’à la disparition des dernières personnes impliquées. Je ne sais pas s’il y aura une décision de la Cour fédérale allemande. Il se peut qu’elle annule les précédentes décisions de justice.
Dans ce contexte, l’évolution de ces affaires ne peut pas donner une pleine satisfaction à ceux qui veulent voir des jugements aboutir. Il en restera toujours un sentiment de malaise.
Il y a 40-50 ans, la société allemande, composée de personnes qui avaient vécu le nazisme, ne voulait pas qu’on juge les criminels de cette période. Elle n’avait pas conscience des crimes commis contre les juifs. Les juges se sont donc montrés dociles vis-à-vis d’elle et des pouvoirs publics allemands. Alors qu’à cette époque vivaient encore des criminels importants pour lesquels on pouvait trouver des témoins et des documents.
Aujourd’hui, la situation a changé. La société allemande a pris conscience des crimes commis pendant la période nazie, et elle les assume. Elle entretient une amitié solide avec Israël, elle paye des réparations pour les survivants de l’Holocauste. Elle l’assume aussi du point de vue des criminels. C’est ainsi que se trouvent impliqués des gens très âgés, qui avaient entre 17 et 24 ans au moment des faits et occupaient des fonctions subalternes.
Les magistrats se soumettent ainsi aux souhaits de la société et trouvent les moyens juridiques de juger : on se trouve là face à un fait de société. Le problème, c’est qu’il s’agit de crimes pour lesquels il n’y a plus aujourd’hui ni témoins ni documents.
Précisément sur quels fondements juridiques la justice allemande se base-t-elle ?
Ils ont changé. Avant le procès Demjanjuk en 2009, les accusés étaient jugés pour leur implication personnelle dans les faits incriminés. Mais depuis ce procès, il suffit, pour les juger, qu’ils aient appartenu à une organisation criminelle. On n’a plus à prouver leur implication personnelle. Ils sont automatiquement accusés sauf s’ils réussissent à prouver leur innocence.
Demjanjuk a fait appel de sa condamnation. Mais il est mort (en mars 2012, NDLR) avant que la Cour fédérale (Bundesgerichtshof, plus haute instance judiciaire en Allemagne, NDLR) ne rende sa décision. Et ne donne son point de vue sur les fondements juridiques de ce type de procès.
Le fait que les Allemands veuillent juger les anciens criminels nazis est positif. Le problème, c’est que cela se fait sans preuve et ne relève pas des principes d’une justice équitable. On s’intéresse ainsi à des gens qui ont occupé des fonctions subalternes, comme des gardiens de camp, pour des faits pour lesquels il existe très peu de témoins survivants. Et si l’on en trouve encore, ceux-ci ont souvent une mémoire défaillante. Il manque aussi des preuves écrites en raison du caractère subalterne des personnes incriminées.
En 2014, la justice allemande a renoncé à juger un ancien mitrailleur impliqué dans le massacre d’Oradour-sur-Glane en juin 1944. Elle n’a pas voulu se prononcer. Il faut dire que si ce dernier avait été acquitté, l’affaire aurait pu créer un incident diplomatique entre la France et l’Allemagne. Alors que même l’ex-RDA avait jugé un homme (Heinz Barth, NDLR) dans ce dossier pour crimes de guerre. Pourtant, il y a 50 ans, Lammerding (général SS commandant la division das Reich qui a commis le massacre d’Oradour-sur-Glane en juin 1944, NDLR) était encore vivant.
Quelle conclusion en tirez-vous ?
On assiste aujourd’hui à la fin d’un processus, avec des accusés très âgés, qui ont parfois plus de 95 ans. C’est un processus maladroit qui va continuer jusqu’à la disparition des dernières personnes impliquées. Je ne sais pas s’il y aura une décision de la Cour fédérale allemande. Il se peut qu’elle annule les précédentes décisions de justice.
Dans ce contexte, l’évolution de ces affaires ne peut pas donner une pleine satisfaction à ceux qui veulent voir des jugements aboutir. Il en restera toujours un sentiment de malaise.
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