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L'Allemagne fâche Erdogan sur le génocide des Arméniens
Le 2 juin 2016, les parlementaires allemands doivent se prononcer sur une résolution qualifiant de «génocide» les massacres d’Arméniens dans l’empire ottoman en 2015. A Istanbul, le nouveau Premier ministre turc, Binali Yldirim, a prévenu que ce vote «ridicule» des députés allemands nuirait aux relations bilatérales entre les deux pays. Une attitude constante d'Ankara.
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La résolution, qui est soutenue par le bloc conservateur CDU-CSU de la chancelière fédérale, les sociaux-démocrates du SPD et par les Verts, emploie le terme de «génocide» à la fois dans son titre et dans le corps du texte, à propos de la mort de quelque 1,5 million d'Arméniens à partir de 1915. «Le sort des Arméniens est emblématique de l'histoire des exterminations de masse, de la purification ethnique, des déportations et, oui, des génocides qui ont marqué le XXe siècle de terrible façon», lit-on dans cette résolution.
«Si l'Allemagne se laisse duper, les relations bilatérales diplomatiques, économiques, commerciales, politiques et militaires – nous sommes tous deux membres de l'OTAN – seront affectées », a déclaré Recep Tayyip Erdogan. Le président turc avait auparavant fait part de son inquiétude à la chancelière Angela Merkel, lors d'un entretien téléphonique, selon la présidence turque. Pour protester contre ce genre de vote, Ankara a l'habitude de symboliquement rappeler son ambassadeur, sans que les protestations aillent beaucoup plus loin.
Ce vote s’inscrit dans un contexte particulier où l’Allemagne avait beaucoup milité auprès d’Ankara pour aboutir à un accord sur les migrants, qui a soulevé de nombreuses critiques en raison de la politique intérieure turque. La chancelière avait été critiquée pour avoir accepté l’ouverture d’une procédure judiciaire contre un humoriste qui s’était moqué d’Erdogan.
Côté turc, la question arménienne a toujours été compliquée. Alors que plus de vingt pays, dont la France, l'Italie et la Russie, ont reconnu un génocide, la Turquie continue de refuser ce terme. Aux Etats-Unis, des résolutions ont été votées, sans devenir des lois. En 2007, George W.Bush s’était opposé à un de ces textes.
En 2014, les «condoléances» de la Turquie
Ankara récuse en effet le terme de «génocide». La Turquie évoque pour sa part une guerre civile en Anatolie, doublée d'une famine, dans laquelle de 300 à 500.000 Arméniens et autant de Turcs ont trouvé la mort. Pourtant, la Turquie a fait des gestes vers un début de reconnaissance du massacre des Arméniens pendant la guerre de 14-18 dans laquelle le gouvernement turc était allié du reich allemand.
Le 23 avril 2014, la Turquie, dans un communiqué officiel publié sur le site du Premier ministre, a présenté ses «condoléances» aux descendants des Arméniens massacrés il y a près d'un siècle par les troupes ottomanes. «Nous souhaitons que les Arméniens qui ont perdu la vie dans les circonstances qui ont marqué le début du XXe siècle reposent en paix et nous exprimons nos condoléances à leurs petits-enfants», avait déclaré Recep Tayyip Erdogan dans cette longue mise au point, qui a été rendue publique la veille du 24 avril, le jour annuel de commémoration des massacres. Une annonce faite en huit langues, dont l’arménien.
«Les condoléances ne sont pas des excuses», avait souligné dans Le Monde l'universitaire Ahmet Insel. «C'est un petit pas, mais pas une rupture profonde. C'est le pas en avant, très lent, de la société turque sur la question». Dans un précédent article, Géopolis revenait sur les raisons des difficultés de la Turquie actuelle à reconnaître ce génocide vieux de 101 ans aujourd'hui.
«Il y a une élite intellectuelle qui a compris qu'il y avait un devoir de se saisir du refoulé, d'envisager certaines questions interdites, comme le génocide arménien ou la nature du kémalisme. Pour le gouvernement turc, le fait que des universitaires se décident à étudier ces pans du passé constitue une menace pour l'Etat. Il ne peut plus incriminer un complot de l'étranger, même s'il essaie par tous les moyens de discréditer ces recherches», expliquait l’historien Vincent Duclert en 2011.
Le mot génocide reste donc tabou en Turquie et le raidissement actuel du président turc, qui n'avait pas hésité à prendre partie dans les récents incidents du Haut-Karabagh, et de son régime (le Premier ministre parlant du massacre des Arméniens comme de «faits ordinaires») ne risque pas de voir le pays changer de position.
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