Mondial de foot en 1982 à Séville: le traumatisme des bleus face à l'Allemagne
Cinquante-septième minute. Michel Platini fait une passe à Patrick Battiston qui se retrouve seul face au gardien allemand Harald Schumacher. Ce dernier s’élance alors sur le Français qu’il percute violemment à la mâchoire. Battiston reste à terre et est évacué sur une civière alors que Platini lui tient la main. Aucune sanction ne viendra de l’arbitre néerlandais, Charles Cover. Pendant ce temps, Schumacher reste à l’écart en mâchant un chewing-gum.
Schumacher contre Battiston
Quatre-vingt-dix-huitième minute, pendant les prolongations. La France mène 3-0. La finale se profile. Mais c’est sans compter la persévérance germanique : en quelques minutes, les Allemands marquent deux fois. Le match se termine par les tirs aux buts. Et l’Allemagne l’emporte sur le fil grâce à Horst Hrubesch.
«Celui qui n’a jamais vu ce match n’a jamais vu un match de football. Celui qui n’a jamais vu ce match n’a jamais vu un match de Coupe du monde», expliquera ultérieurement Michel Platini. Qui ajoute : «Aucun film au monde, aucune pièce ne saurait transmettre autant de courants contradictoires, autant d'émotions que la demi-finale perdue de Séville.»
Dans les tribunes, la tension est à son comble. Dans le monde entier, grâce à la télévision, on a regardé la rencontre avec une rare intensité. Et dans les semaines qui suivent, que ce soit en Roumanie ou en Chine, on vient voir le Français lambda de passage pour lui parler du match.
Un résumé du match
Vidéo mise en ligne le 2 novembre 2007
«1914», «1940»… et «1982»
En France même, la joie la plus intense laisse la place à l’abattement. Et à la fureur. Le résultat réveille des pulsions passionnelles que l’on croyait disparues depuis des lustres. «Tout est guerre. De 1914 et de 1940. De 1982, où pour la troisième fois en un siècle, la France rencontrait l’Allemagne dans un match capital et sur le champ de bataille de Séville. Je sais que nous dirons vite que, là, c’était du sport, mais… Mais le fascinant, l’étrange et le troublant spectacle ! D’un côté, l’Allemagne dans la force et la puissance de ses divisions blondes et rousses. De l’autre, la France et ses héroïques ‘‘petits’’», écrit dans Paris Match le journaliste Jean Cau. Schumacher va jusqu’à être comparé à un SS…
Il faut dire que le gardien allemand a réussi à mettre de l’huile sur le feu. Interviewé après le match, il répliquera : «Et bien, je lui paierai ses couronnes»… Peut-être convient-il de resituer les choses dans leur contexte si l’on accepte de croire la version de Schumacher. Un journaliste «m’annonce que Patrick (Battiston) a perdu deux dents. Spontanément, je lui réponds que, pour me faire pardonner, je lui paierai des couronnes. Perdre deux dents, ça arrive dans le foot. Mais il n’y avait aucune moquerie de ma part, aucune provocation (…) ni arrogance (…). J’étais alors dans un autre monde, il y avait tellement d’adrénaline en moi», affirmera-t-il plus tard.
Mais le mal était fait. Et on pourrait lui rétorquer sans passion que ce qui a aussi fortement choqué de ce côté du Rhin, c’est son attitude apparemment indifférente pendant la rencontre au moment de l’évacuation de Battiston… Rien n’y fera malgré des excuses publiques et une poignée de mains entre les deux joueurs organisée par le Républicain Lorrain.
L’affaire atteint un tel niveau émotionnel en France (on parle de Schumacher comme du «tueur de Français», certains crient que «le peuple aura (sa) peau», pour ne pas citer des propos plus crus ! ) que le chancelier ouest-allemand, Helmut Schmidt écrit un télégramme au président français François Mitterrand pour tenter d’apaiser les passions gauloises. «Le jugement de Dieu qui, selon la mythologie classique, entre en jeu dans chaque combat entre deux peuples a voulu que cette chance échoie au camp allemand dans ce match. Nous sommes de tout cœur avec les Français qui méritaient d’aller de l’avant tout autant que nous», y écrit-il. Par la suite, les deux dirigeants publieront un communiqué commun pour pacifier les esprits.
Pour autant, les passions ne retombent pas facilement. Et ce dans tous les milieux. «Ce pourquoi Cyrano, Molière, Jean Moulin en France sont morts : le panache. Contre la brute aveugle, contre la bêtise de la force, contre la masse de muscles sans faille, vous avez jailli avec votre poésie, votre imagination, votre finesse, votre inspiration, et tu sais quoi Michel, votre humilité», écrit le comédien Francis Huster dans une Lettre ouverte à Michel Platini.
«Dans la mémoire collective de la Grande Nation»
Les réactions françaises d’alors intéressent aujourd’hui encore les chercheurs en sciences humaines. «Pour le football français, cette défaite a représenté un véritable traumatisme, qui n’a pu être lavé que par la victoire (de la France) lors de la Coupe du monde 1998 (…). Pour autant, ce match reste, aujourd’hui encore côté français, lié à des émotions très variées», explique un article universitaire publié en 2006 sur le site h-net.org. Trente ans après, «le parfum doux amer de l’échec (de Séville) surpasse l’explosion libératrice du triomphe du Stade de France en 1998», pense de son côté le journaliste Yannick Cochennec.
Des émotions que l’on a visiblement du mal à comprendre côté allemand. La rencontre de Séville appartient certes à ces matchs de «légende», comme le relève le site www1.sportschau.de. Mais aujourd’hui outre-Rhin, l’affaire ne suscite guère de réactions. Celles-ci sont parfois amicales. «La France offrait alors (en 1982) un football champagne, (comparée à) l’Allemagne qui n’avait à offrir qu’un jeu d’eau stagnante», écrit ainsi le site du journal Rheinische Post. Mais un tel commentaire lne prend pas en compte l’aspect très émotionnel de l’affaire côté français.
«Pour de nombreux Français, le KO contre l’Allemagne lors de la Coupe du monde de 1982 est encore aujourd’hui une raison pour pousser des cris de guerre», écrivaient en 2005, incrédules, deux journalistes de Focus pour rendre compte du livre de Pierre-Louis Bas, grand spécialiste de football et ex-journaliste à Europe 1, Séville. France-Allemagne : le match du siècle (chez Privé). «Ce qui remue les âmes françaises, n’est pas seulement la défaite (à l’époque encore habituelle) contre ‘‘les Allemands’’ (en français dans le texte). (Au-delà, l’épisode de Schumacher) est un épisode qui s’enfonce profondément dans la mémoire collective de la Grande Nation (en français, là encore, dans le texte)», analysent Manfred Weber et Inge Kutter. La «Grande Nation», «surnom mi-méprisant mi-envieux donné à la France par les Allemands, traumatisés par les guerres napoléoniennes», explique Le Monde.
Pour le mot de la fin, citons quand même quelques lignes de Pierre-Louis Bas qui parle des joueurs de l’équipe de France de 1982, «génération d'artistes» privée d'une finale de Coupe du monde. «A force de les voir jouer, de les entendre, de les revoir aussi, je me suis progressivement débarrassé de mon chagrin de Séville. Comme si, près de vingt-cinq ans après ma colère dans le jardin d'Epinay-sur-Orge, je venais enfin de comprendre les raisons de cette défaite.»
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