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Bulgarie: Erdogan ne fait pas l'unanimité chez les Turcs du pays

Les Turcs établis en Bulgarie représentent 10% d'une population de 7,2 millions de personnes. Le référendum du 16 avril 2017 en Turquie voisine portant sur une réforme constitutionnelle controversée, qui étendrait considérablement les pouvoirs du président Erdogan, inquiète cette minorité musulmane.
Article rédigé par Dominique Cettour-Rose
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des musulmans bulgares prient dans une mosquée à Benkovski, municipalité du sud de la Bulgarie. (Dimitar DILKOFF / AFP)

«Pourvu qu’on ne ferme pas la frontière!» Cette phrase lâchée par un Bulgaro-Turc de 59 ans venu faire son marché à Dejbel, traduit le climat d'inquitétude qui règne à quelques jours du référendum turc, dans ce chef-lieu emblématique des Turcs de Bulgarie du Sud. Certains, comme lui, n’ont pas oublié l’épisode qui s’est produit juste avant les législatives bulgares du 26 mars: des militants nationalistes bulgares avaient bloqué la frontière turque pour empêcher des binationaux vivant en Turquie de venir voter. 

La double nationalité est un marqueur important pour les Turcs de Bulgarie, minorité musulmane la plus importante du pays depuis l’époque de la domination ottomane dans la péninsule des Balkans. Cette double citoyenneté permet à cette communauté transnationale de participer à la vie politique en exerçant son droit de vote à la fois dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil.  

Mais à la veille du référendum en Turquie, certains Bulgaro-Turcs de Djebel, localité de 3500 habitants, craignent un regain de tension entre les deux pays. Ce qui aurait inévitablement des conséquences sur le mode de vie d'une «communauté transétatique», c'est-à-dire qui «appartient à deux Etats et se déplace régulièrement de l’un à l’autre dans un effort pour préserver son ancien modèle culturel tout en cherchant à optimiser ses conditions de vie», comme le souligne la revue Balkanologie

L'ingérence de la Turquie dénoncée
En pleine campagne électorale pour les législatives anticipées de mars, le ministre turc des Affaires sociales, Mehmet Muezzinoglu, avait appelé les citoyens bulgares d’origine turque résidant en Turquie, à voter pour Dost, une nouvelle formation pro-turque en Bulgarie. Ce qui a valu à Ankara d’être accusée par Sofia d’«ingérence». Si Dost n'avait obtenu que 2,9% des voix, soit moins des 4% nécessaires pour entrer au Parlement, il en a recueilli 22% dans la région de Kardjali, où se trouve Djebel.

Ahmed Dogan, leader historique du principal parti turc bulgare MDL accuse ouvertement le président turc Erdogan de contribuer à la dégradation des liens entre les deux pays. Il lui a reproché de mener une politique «menaçante pour ses voisins», qualifiant le référendum du 16 avril de «menace pour la démocratie» visant à rétablir le «sultanat» ottoman.

«Il ne faut pas confondre l'attitude envers Erdogan et celle envers la Turquie, avec laquelle nous avons des liens biologiques», nuance pour sa part Sinasi Süleyman, maire MDL de Kirkovo, une commune proche de Djebel. 

Selon une récente étude de l'université NBU de Sofia, réalisée auprès de 1.200 musulmans bulgares, l'Allemagne et Angela Merkel recueillaient respectivement 65% et 44% de taux de popularité contre 68% et 49% pour la Turquie et M.Erdogan. Ces chiffres démontrent que «les musulmans sont inquiets par la poussée du nationalisme» bulgare et «comptent» in fine sur l'aide d'Ankara, explique la coordinatrice du sondage, Evguenia Ivanova. 

Aux dernières législatives, les Patriotes unis, une coalition nationaliste hostile aux migrants, musulmans, roms et minorités sexuelles, étaient arrivés troisièmes, avec 9,2% des suffrages et 27 sièges.

L'assimilation forcée des années 1980
Face à cette poussée nationaliste, «les gens ont peur, ils ont trop souffert des vagues d’assimilation et des expulsions» tout au long du XXe siècle, a expliqué Bahri Recep Ömer, maire de Djebel.

Au milieu des années 80, Djebel a en effet symbolisé la résistance turque face à la politique d’assimilation forcée à la majorité slave imposée par le régime communiste. Celui-ci avait lancé en 1984 une campagne de «bulgarisation» des noms d’origine turque et arabe. S’en était suivie l’interdiction de la langue turque dans les lieux publics, des habits et rituels traditionnels musulmans, tels que la fête du Kurban-Bajram, la circoncision et le mariage. Cette tentative d’assimilation par la violence avait conduit à une immense vague d’émigration de Turcs de Bulgarie, appelée «la Grande excursion». Plus de 350.000 Turcs ont ainsi été expulsés de Bulgarie.

Depuis 1989, les relations entre les deux pays se sont normalisées. Des lignes d'autobus régulières relient les deux pays, le tourisme est florissant et beaucoup de familles turques se partagent des deux côtés de la frontière.

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