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Ça vous dirait un Smic à 3275 euros? Ne rêvez pas, c'est en Suisse

Fidèle à sa démocratie directe, la Suisse se prononce le 18 mai 2014 sur l’instauration d’un salaire minimum dans le pays. Les auteurs de l’initiative soumise à référendum fixent ce salaire minimum à 22 francs suisses de l’heure, soit environ 4000 francs suisses par mois (3275 euros)... pour 42 heures hebdomadaires.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Affiche en faveur du référendum pour la création d'un Smic en Suisse. (Union syndicale suisse)

L’initiative a été lancée par l’Union syndicale suisse (USS) et provoque dans la Confédération helvétique un vif débat dans toutes les couches de la société et mobilise la presse qui multiplie les points de vue et les analyses. Pourtant, cette démarche n'est pas unique, elle s’inscrit dans une tendance qui touche de nombreux pays. Dans la campagne pour les Européennes, plusieurs partis demandent l’instauration d’un salaire minimum dans chaque pays. 

En effet, si le oui l’emportait, ce serait une double révolution pour la Suisse. Premier changement, la notion de salaire minimum n’existe pas encore dans ce pays habitué aux conventions collectives négociées au niveau des branches, des régions ou des entreprises... Le deuxième point porte sur le niveau de ce «Smic» suisse… 

Dans ce pays qui est un des rares en Europe à connaître une véritable croissance et est capable d’afficher une balance commerciale positive malgré des salaires déjà élevés et une monnaie forte, les réactions politiques à cette initiative sont très tranchées. «D’un côté, le PS, les Verts et les syndicats bien sûr. De l’autre, la droite, UDC, PLR, PBD, Verts libéraux, PEV et PDC, ainsi que les milieux économiques et patronaux», note la Tribune de Genève

Un danger pour l’économie ?
Dans ce pays riche, donc, les syndicats ont fait le constat qu’il y avait tout de même des travailleurs pauvres. Ce qui oblige l’Etat à les soutenir. «Quelque 330.000 personnes travaillant à plein temps reçoivent moins de 4000 francs par mois, selon les statistiques», note la Tribune de Genève

Mais comme toujours dans ce genre de débat, l’idée de fixer un salaire minimum sème la tempête dans certains milieux. Pour eux, ce salaire, qui serait le plus élevé du monde, «menacerait donc les emplois, en particulier dans les petites entreprises, voire certaines branches comme le commerce de détail, le tourisme, l'agriculture ou la restauration». Pour la Fédération des entreprises suisses, «l’initiative populaire des syndicats pour la protection de salaires équitables est un exemple classique de mesure ayant un effet boomerang. Un salaire minimum de 22 francs de l’heure dicté par l’Etat non seulement sapera un partenariat social qui fonctionne, mais menacera également de nombreux emplois occupés par des travailleurs pas ou peu qualifiés. Ce salaire minimum, le plus élevé du monde, renchérira le coût de la main-d’œuvre en Suisse et accélérera la désindustrialisation.»

Des entrepreneurs témoignent sur le danger d’un tel niveau de salaire. Le patron d’une PME de 110 personnes fabriquant des cornichons (indispensables pour toute bonne raclette) installée dans le Vaud explique dans Le Matin : «En cas de oui, nous devrons probablement arrêter certaines productions et donc procéder à des licenciements. Ils toucheront d’abord les emplois non qualifiés.»

Pour certains, dans une Suisse encore traumatisée par la votation du 9 février, le passage du salaire minimum à 4000 francs suisses est une bonne réponse aux craintes exprimées lors de cette initiative anti-immigration : «Il y a un lien évident entre les conventions collectives de travail (CCT) et la capacité des travailleurs à accepter l’ouverture des frontières. Le 9 février, le Jura a été, parmi les cantons horlogers romands, celui où l’opposition à l’initiative de l’UDC a été la moins forte. Or, le Jura est aussi le canton où la proportion d’entreprises signataires de la convention horlogère est la plus faible (49% contre 85% à Genève)», écrit le député socialiste Jean-Claude Rennwald dans le journal de centre gauche l’Hebdo. Et il ajoute : «L’initiative de l’USS pour un salaire minimum à 4000 francs est le meilleur moyen de relancer la mécanique helvético-européenne, car la sous-enchère salariale serait alors réduite à la portion congrue.»

Les arguments des syndicats vont dans le même sens. Sur le plan social, les syndicats suisses estiment que «le salaire minimum légal de 22 francs de l’heure est le bon instrument pour mettre le holà aux employeurs qui font pression sur les salaires aux dépens des travailleurs et travailleuses. Tout le monde en profitera. Les patrons corrects n’auront plus à craindre de concurrence déloyale. Les contribuables n’auront plus à payer l’addition via l’aide sociale».


Voir aussi une vidéo des partisans de l'initiative sur le site du journal l'Hebdo.

3275 euros... un niveau à relativiser ?
3275 euros mensuels… Un chiffre à faire rêver la gauche française (Jean-Luc Mélenchon parlait lui pendant la campagne présidentielle d’un Smic à 1700 euros) et les bas salaires en France (sur le papier, cette somme représente 2,2 fois le Smic français) et en Europe. Une précédente votation avait déjà tenté de peser sur les écarts des salaires, mais elle avait échoué.

Mais quand on regarde de plus près, la somme est moins mirobolante qu’il y paraît. «Un salaire de 4000 francs suisses, ce n’est pas forcement facile de vivre avec ça, en raison du coût de la vie en Suisse», nous explique David Talerman, auteur d’un livre Travailler et vivre en Suisse. Cette somme est aussi à relativiser dans la mesure où elle est brute. En Suisse aussi, il y a des charges sur les salaires (avec notamment la retraite 4,2%, le chômage 1,1% et surtout une sorte de retraite complémentaire dont la cotisation minimale est de 7%). Mais le poste le plus important est l’assurance maladie qui est personnelle et non liée au salaire et à la charge intégrale des familles. «Pour une famille de quatre personnes, cela peut représenter facilement une somme de 700 francs suisses par mois», nous explique David Talerman.

La Suisse est un pays cher, mais les prix sont tout de même à relativiser, surtout que sur de nombreux produits la TVA est moins élevée que dans l'Europe communautaire. De plus, les prix des logements ne sont pas les mêmes selon les régions. «Cette somme est adaptée au niveau des prix, des loyers et des primes maladie en Suisse», estiment les partisans du texte. «4000 francs mensuels correspondent à 61% du salaire médian suisse. Ce qui hisserait notre pays au niveau européen (le Smic français représente 64% du salaire médian, le hollandais 56%, le portugais 67%)», rappelait Le Matin.

Quel que soit le résultat de la votation du 18 mai, le débat a déjà eu des conséquences. La chaîne de distribution Lidl a récemment monté son salaire minimum à 4000 francs suisses et l’entreprise H&M les promet pour 2015. Ses défenseurs relativisent le coût d'une telle mesure, estimant qu'elle équivaut à l’achat de deux avions Gripen dont veut s’équiper l’armée suisse. Or, le 18 mai, les citoyens suisses sont aussi appelés à se prononcer lors d’une deuxième initiative (il y en a quatre en même temps) sur la pertinence de cet achat d'avions de combat... Le Smic et/ou les avions ?

Affiche en faveur du oui aux Gripen, l'avion de combat dont veut se doter la Suisse.

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