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Dans toute l'Europe, on assiste à une montée de mouvements protestataires disparates

S'agit-il d'une nébuleuse d'extrême droite propre au Vieux continent, qui rappelle des heures très sombres de l'histoire du XXe siècle ? Ou s'agit-il d'un phénomène plus complexe, aux multiples racines, lié aux incertitudes de notre époque ?Quoi qu'il en soit, ceux qui s'en réclament ont en commun de s'en prendre à l'islam et au multiculturalisme?
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
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  (AFP - Mychèle Daniau)

S'agit-il d'une nébuleuse d'extrême droite propre au Vieux continent, qui rappelle des heures très sombres de l'histoire du XXe siècle ? Ou s'agit-il d'un phénomène plus complexe, aux multiples racines, lié aux incertitudes de notre époque ?

Quoi qu'il en soit, ceux qui s'en réclament ont en commun de s'en prendre à l'islam et au multiculturalisme?

Peut-on alors parler de populisme ? Pour en savoir un peu plus, nous avons rencontré deux spécialistes: Riva Kastoryano, directeur de recherche au CNRS, et Dominique Reynié, professeur à l'IEP de Paris et directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

Qu'est-ce que le populisme ?

Le "Petit Robert", d"habitude très précis dans ses définitions, en donne une définition très a minima, en l"occurrence une définition littéraire : "école littéraire qui cherche, dans les romans, à dépeindre avec réalisme la vie des gens du peuple". Le "Petit Larousse" est, lui, plus précis et note que le mot comporte plusieurs sens. Il commence par expliquer qu"il s"agit d"un terme "souvent péjoratif". Lequel renvoie à une "attitude politique consistant à se réclamer du peuple, de ses aspirations profondes, de sa défense contre les divers torts qui lui sont faits".

Par extension, populisme est synonyme de démagogie ou d'opportunisme politique.

Historiquement, le mot populisme, né en 1912, "se réfère d'abord à un mouvement politique qui a été créé dans la seconde moitié du XIXe siècle aux Etats-Unis par des agriculteurs", rapporte de son côté Wikipedia. Ceux-ci étaient alors "confrontés à des tarifs prohibitifs qu'un accès privilégié au domaine public avait permis aux compagnies de chemin de fer de leur imposer".

"Par la suite, dans la foulée des nationalismes, le thème de l'émancipation du peuple a inspiré de nombreux partis politiques dits populistes", poursuit Wikipedia. En France, le boulangisme et le poujadisme sont parfois définis comme des mouvements populistes. En Argentine, le mot est employé pour caractériser le péronisme.

Pour l"universitaire en sciences politiques Annie Collovald, qui a écrit "Le populisme du FN : un dangereux contresens" (éditions du Croquant, 2004), le mot est revenu en force aux début des années 80 avec un nouvel emploi, concomitant à la montée du Front national. Elle met ce nouvel emploi en parallèle avec la disparition progressive des classes populaires dans les appareils et dans les discours des partis politiques. Selon elle, l'usage croissant des mots "populisme" et "populiste" expriment une méfiance grandissante à l'égard des classes populaires.

Partout en Europe...

Le chef du Jobbik, Vona Gabor, arborant l'uniforme interdit de la "Garde hongroise" au Parlement à Budapest (AFP - ATTILA KISBENEDEK)

Même la Suède, connue pour sa tolérance, a élu 20 députés appartenant aux "démocrates suédois", qualifiés à tort ou à raison de "populistes". Si le parti se définit comme "national-démocrate centriste", le premier ministre, Fredrik Reinfeld, n"hésite pas à qualifier son programme de "xénophobe".

En Hongrie, le parti Jobbik, qui insiste sur la préservation des identités hongroises, défend des positions ouvertement antisémites. En Autriche, Jörg Heider, chef du Parti autrichien de la liberté (FPÖ), a fait l"objet de très vives polémiques en raison de ses déclarations sur les nazis et de campagnes contre l"islam et les immigrés. Mort en 2008 lors d"un accident de la route, il a reçu des funérailles nationales.

Aux Pays-Bas, le Parti pour la liberté (PVV) s"attaque lui aussi à l"islam. Son chef, Geert Wilders, n"hésite pas à dire: "Je n'ai rien contre les individus, mais nous avons un problème avec l'idéologie islamique. Je ne veux pas renvoyer ceux qui sont ici et veulent s'assimiler, mais je leur dis de se débarrasser de cette idéologie, que je qualifie de fasciste". Lors des élections européennes de 2009, le PVV est devenu la seconde force politique du pays.

En Belgique, Bart de Wever, dirigeant du Nieuw Vlaams Alliantie (Nouvelle alliance flamande), qui a obtenu 29,5 % des voix aux dernières élections, prône l'"évaporation" du pays. En Suisse, les 57,5 % des électeurs ont voté l"an dernier, lors d"un référendum, contre l"interdiction des minarets à l"appel du parti UDC (Union démocratique du centre). Cette formation voit dans ces édifices un "symbole politico-religieux".

La France n'est pas épargnée par le phénomène. Le FN y est parfois classé de "populiste", même si on caractérise plutôt ce parti de mouvement d'extrême droite. Pour ses adversaires et une partie de la presse internationale, les propos tenus l"été dernier par le président Nicolas Sarkozy sur la délinquance et les Roms relèvent du populisme. Pour certains, il en va de même pour l'Allemagne, où le poids de l'histoire est très fort. La chancelière Angela Merkel a évoqué en octobre les "racines chrétiennes" du pays. Elle a également estimé que "l'approche Multikulti", c'est à dire l'approche multiculturelle de l'immigration, avait "totalement échoué".

R. Kastoryano ou la crainte d'une confrontation


Riva Kastoryano (FTV)


Directrice de recherche au au centre d'études et de recherches internationales (CERI)-CNRS, Riva Kastoryano est enseigne à Sciences Po et à la New School for Social Research à New York. Elle a développé ses recherches en sociologie politique sur l'Europe, les nationalismes, les identités et les communautés. Elle est notamment dirigé la publication de "Quelle identité pour l'Europe ? Le multiculturalisme à l'épreuve" (Presses de Sciences Po, 2005).


Quelle analyse faites-vous de la montée du populisme en Europe ?

Je pense qu"il s"agit de l"expression d"un mimétisme électoral. Les partis politiques se livrent à une compétition électorale autour de l"islam et du multiculturalisme.. En pratiquant le populisme, les partis s"efforcent de se faire la voix du peuple censée s"exprimer sans tabou contre la classe politique qui a privilégié "le droit à la différence" au nom du traitement démocratique des populations issues de l"immigration. Auparavant, la chancelière Angela Merkel n"aurait jamais osé, par exemple, évoquer les "valeurs chrétiennes" de l"Allemagne en s"adressant aux populations musulmanes vivant dans le pays.

Et qu"est censé dire le peuple ?

Il entend mettre en avant, sans tabou, ses propres appartenances. Notamment celles liées à la religion. A1ors qu"en France, par exemple, tout le monde a assimilé la laïcité depuis 1905 et la loi de séparation des Eglises et de l"Etat, voilà que la religion occupe à nouveau l"espace public avec l"immigration et l"islam. On voit ainsi surgir la question du foulard, de la burka, de la religion dans l"espace public. En l"occurrence surtout la religion d"une minorité.

Dans ce contexte, une partie de l"opinion publique pense qu"on est trop indulgent. Elle dit vouloir retrouver ses valeurs chrétiennes, rejette le multiculturalisme, projet politique que ni la France ni l"Allemagne n"ont adopté. Dans ces deux pays, le terme "multiculturalisme" renvoyait en fait surtout à un constat : la société est multiculturelle, c'est-à-dire que plusieurs cultures y co-existent de fait.

Aujourd"hui, les questions soulevées autour de ces thèmes, autour du rejet de l"autre, ne sont plus taboues comme elles pouvaient l"être dans les années 80. Les poser n"entraîne plus de sanctions. C"est devenu une valeur qui paye. Et qui n"est plus punie. Dans ce contexte, on peut se demander ce que sont devenues les associations des droits de l"homme !

Pourquoi tout cela se focalise-t-il sur l"islam ?

Le phénomène est évidemment lié à l"immigration. En période de crise, la xénophobie augmente et l"islam est un bouc émissaire. Il y a eu l"affaire des foulards, celle des minarets, celle des caricatures de Mahomet. Cette dernière affaire opposant la question du respect des autres croyances à celle de la liberté d"expression.

De leur côté, les musulmans peuvent être influencés et renforcés dans leur refus d"intégration par des forces extérieures, notamment des mouvements islamistes, ce qui est source de méfiance réciproque dans nos sociétés.

Par ailleurs, il faut évoquer la mondialisation qui s"accompagne de replis identitaires.

C"est à dire ?

Le repli identitaire se traduit notamment en Europe par une opposition entre autochtones et immigrés, entre le nationalisme des Etats et celui des minorités qui peuvent être influencées de l"extérieur.

Comment voyez-vous la situation en France ?

Je pense qu"on a d"abord affaire à un échec social. A l"origine, les immigrés venaient ici pour trouver une vie meilleure. Mais cela n"a pas été le cas. Les gens sont restés confinés au même endroit sans que leur situation s"améliore. En Allemagne, l"intégration économique a été mieux réussie. En France, on s"est réfugié dans un discours sur l"égalité sans qu"on se donne les moyens de réaliser concrètement cette égalité. Notre pays a échoué par hypocrisie. Il doit donc s"attaquer aux problèmes sociaux.

Quelle analyse faites-vous du phénomène Sarkozy ?

Je ne veux pas penser qu"on trouve une idéologie derrière les propos de Nicolas Sarkozy.

D"une manière générale, la situation actuelle présente-t-elle des risques ?

Je redoute une confrontation entre une population hostile à l"immigration et les minorités. En soi, une minorité n"a pas envie d"en rester une. Elle a envie de se mêler au reste de la société. Le fait de rester en minorité signifie que quelque part, on se coupe de la société : c"est d"ailleurs ce que rejetaient les jeunes des banlieues lors des émeutes de 2005. Sinon, on cherche d"autres points de références, on se donne d"autres héros d"ailleurs, avec l"espoir qu"ils répondront mieux aux attentes de respect de soi et de justice Dans certains cas, très rares, les jeunes de banlieue peuvent se donner Ben Laden comme héros. Cet aspect-là des choses m"inquiète.

D. Reynié: les défis de l'Europe

Dominique Reynié est professeur à Sciences Po. Ses travaux portent sur les transformations du pouvoir politique, l'opinion publique et ses manifestations, les mouvements électoraux, en
France et en Europe. Il est aussi directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), qui se définit comme une fondation "libérale, progressiste et européenne". Il intervient régulièrement à l'émission "C dans
l'air", sur France 5.

Dominique Reynié (Fondapol)

Un peu partout en Europe, on constate une montée du populisme et de l"extrême droite. Mais peut-on parler de populisme ?

Je pense que oui. On constate clairement des positionnements populistes : remise en cause des mécanismes de représentation, remise en cause des élites politiques, culturelles, économiques, survalorisation de la dimension nationale.

Les électeurs envoient des séries de messages auxquels les politiques comme Angela Merkel ou Nicolas Sarkozy s"efforcent de répondre. Les responsables politiques tentent ainsi de canaliser les conflits, notamment de type inter-culturels, qui surgissent.

Idéologiquement, il ne s"agit clairement pas de fascisme. On peut parler d"extrême droite quand on considère l"ensemble de ces positions : elles se situent effectivement davantage à droite de la droite. Mais on commet un contresens si on ne voit pas qu"elles touchent la gauche, notamment à travers leur puissance d"attraction auprès des classes populaires (ouvriers) et des catégories intermédiaires (employés). Certains élus de gauche s"inscrivent dans une stratégie populiste. C"est par exemple le cas de Georges Frêche, l"ancien président [mort le 24 octobre 2010, NDLR] du Conseil régional de Languedoc-Roussillon, région où le Front national progresse, et qui a probablement pensé qu"il fallait contenir les risques de transferts de voix de gauche vers le FN.

Pourquoi dans toute l"Europe, le populisme se focalise-t-il sur l"islam et le multiculturalisme ?

Il y a des distinctions à faire. Il faut mettre à part l"Europe centrale et orientale. En Pologne, les mouvements populistes ne s"en prennent pas à l"islam. En Hongrie, le Jobbik est ouvertement raciste et antisémite. En voulant réaliser la grande Hongrie, il se place dans une tradition historique. Il s"est juste régénéré. Je ne dirais donc pas qu"il défend des positions populistes.

En Europe de l"Ouest, les choses sont différentes. Aux Pays-Bas, Pim Fortuyn, assassiné en 2002, attaquait l"immigration et l"islam. Mais il défendait par ailleurs des positions philosémites et pro-israëliennes. De plus, son libéralisme culturel était bien connu.

Les choses sont en train d"évoluer. Le prochain pays touché sera peut-être l"Espagne où l"on pourrait voir apparaître un mouvement type Ligue du Nord italienne, constitué de riches de telle ou telle région qui ne veulent pas payer pour les pauvres.

En Europe de l"Ouest, la question de l"immigration est récurrente…

Absolument ! En raison de la présence d"une immigration méditerranéenne de religion musulmane, on assiste à une modification profonde de l"environnement culturel des Européens, avec par exemple le problème de la burka dans l"espace public. Les gouvernements et les élites ont sous-estimé l"importance d"un changement qui a commencé il y a au moins 25 ans.

Pour un parti de gouvernement, la réponse à apporter à ces interrogations est très complexe. On peut tenter de répondre de manière musclée, au risque de légitimer les mouvements protestataires. On peut aussi refuser d"aller sur ce terrain, au risque de se faire dépasser par ces mouvements. On a déjà tenté des réponses d"ordre juridique, par exemple avec la loi sur la burka. Soit dit en passant, je ne suis pas sûr que ce texte soit de nature à dégonfler le problème. Car il ne peut être efficace que si il est applicable. Or, à mon sens, il ne l"est pas. Un parti comme le FN aura ensuite beau jeu de dire : "Le gouvernement ne peut rien faire. Nous, on peut !"

Quel rôle jouent des phénomènes comme la mondialisation ou le vieillissement de la population ?

Cela fait partie des variables favorisant la montée du populisme. L"Europe se trouve entraînée aujourd"hui dans la grande révolution culturelle qu"est la mondialisation. Dans le même temps, elle n"a jamais été confrontée à un tel problème démographique. Un problème qui a des effets déjà visibles et qui vont l"être de plus en plus.

Une société vieillissante est plus inquiète, elle se sent plus fragile, elle demande plus de sécurité. Les générations plus âgées sont aussi plus riches et attachées à leurs biens dans la mesure où elles ont accumulé du capital tout au long de leur vie. De plus, elles ont plus tendance à voter à droite. Il faut bien comprendre que le phénomène du vieillissement est irrattrapable par la croissance naturelle de la population. La seule solution sera d"accepter une immigration plus forte.

Je pense que si l"on associe ces éléments aux chocs culturels, comme celui de voir des femmes voilées dans le supermarché du coin, alors les groupes sensibles au populisme pourraient bien y basculer tout à fait.

Comment voyez-vous l"avenir ?

Je suis pessimiste à court et moyen terme. Je pense cependant qu"on finira par trouver des équilibres. Mais auparavant, on risque de connaître des chocs et des conflits.

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