Ex-alcoolique, grande gueule et polyglotte : qui est Martin Schulz, le socialiste qui veut détrôner Angela Merkel ?
L'ancien président du Parlement européen compte empêcher l'actuelle chancelière, au pouvoir depuis 2005, de remporter un quatrième mandat à la tête du gouvernement fédéral.
Angela Merkel va-t-elle rester au pouvoir en Allemagne ? La chancelière allemande a du souci à se faire. La campagne pour les élections législatives de septembre 2017 est lancée. Et pour la première fois depuis 2006, les sociaux-démocrates allemands (SPD) devancent les chrétiens-démocrates, menés par Angela Merkel, selon un sondage publié dans Bild (en allemand), dimanche 19 février.
Le rebond est historique. Il y a encore un mois, différentes études d'opinion comptaient une quinzaine de points d'écart entre les deux formations. A l'origine de cette dynamique, la nomination de Martin Schulz à la tête du SPD pour faire face à Angela Merkel et l'empêcher de décrocher un quatrième mandat à la tête du gouvernement fédéral. Franceinfo dresse le portrait de cet homme de 61 ans qui redonne des couleurs aux sociaux-démocrates d'outre-Rhin.
L'espoir du foot qui devient libraire
Il est peu connu en France mais Martin Schulz n'est pas un débutant en politique. Il a été notamment président du Parlement européen de 2012 à 2017. Pourtant, rien n'indiquait une telle trajectoire. A l'adolescence, il est renvoyé de son lycée catholique après avoir redoublé deux fois, rappelle Le Temps. Résultat, il quitte l'enseignement secondaire sans le bac.
Pas un drame pour le jeune Martin qui ne rêve que de ballon rond. Talentueux, il tente d'embrasser une carrière de footballeur. Mais en 1975, une grave blessure au genou met fin à ses ambitions. Le supporteur du FC Cologne noie alors son chagrin dans l'alcool, rapporte encore le quotidien suisse.
A 20 ans, j’étais le jeune homme le plus déjanté de toute l’Allemagne… Le pire, c’était d’avoir chaque jour le sentiment d’avoir échoué.
Martin Schulzau magazine people "Bunte"
Après de nombreuses tentatives, Martin Schulz parvient à sortir de la boisson, épaulé par son frère, précise Paris Match. Depuis, il ne boit plus une goutte d'alcool.
Le plus jeune maire allemand
Décidé à se reprendre en mains, le jeune homme passionné de littérature occupe plusieurs petits postes dans le monde de l'édition, détaille Arte. Ce fils de policier finit par suivre une formation de libraire. Il ouvre, en 1982, une librairie dans la ville dans laquelle il a grandi, Würselen, à la frontière avec la Belgique et les Pays-Bas.
Sa vie en ordre, il souhaite concrétiser son engagement politique chez les Jusos [les jeunes sociaux-démocrates], débuté dès l'âge de 19 ans. En 1987, il se présente à l'élection municipale de sa ville et la remporte. A 31 ans, il devient le plus jeune édile de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Fort de cette première expérience, il poursuit son parcours politique mais à une autre échelle. En 1994, le maire, qui n'est pas diplômé du supérieur mais parle cinq langues – dont le français et l'anglais, d'après RFI – est élu député européen. Il lâche alors sa libraire et gravit les échelons au Parlement européen. Il intègre notamment la sous-commission des droits de l'homme et la commission des libertés civiles et des affaires intérieures.
Une grande gueule au Parlement européen
Son influence au Parlement européen ne cesse de croître mais il n'oublie pas de garder un pied en Allemagne en intégrant le bureau du SPD en 1999. L'année suivante, il arrive à la tête du groupe du SPD dans l'hémicycle européen. Puis il franchit un nouveau seuil, quatre ans plus tard, en dirigeant le groupe "Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen", formation qui regroupe notamment le PS français et le SPD.
Au fil des ans, Martin Schulz a imposé un style musclé et bruyant. "J’ai été un président de groupe très contesté par les autres groupes", a-t-il reconnu dans les colonnes de Paris Match. "J’ai interrompu les autres, j’ai hurlé, j’ai protesté", a-t-il concédé.
Si tu as une controverse avec ton voisin, est-ce que tu dis : 'Cher monsieur, permettez-moi peut-être d’essayer de vous convaincre que vous avez tort' ? Ou est-ce que tu lui dis : 'Mais tais-toi, toi, c’est complètement faux ce que tu racontes !'
Martin Schulzà "Paris Match"
Certaines passes d'armes l'ont rendu célèbre. Parmi elles, un échange, en 2003, avec Silvio Berlusconi, alors président du Conseil italien. Martin Schulz compare notamment le cavaliere à Jörg Haider, qui est à l'époque le leader de l'extrême droite autrichienne. "En Italie, un producteur prépare un film sur les camps de concentration. Je vous recommande pour un rôle de 'kapo'", répond Silvio Berlusconi. Tollé général. L'affaire est telle que Gerhard Schröder, alors chancelier allemand, demande des excuses au président du Conseil italien.
Son style agité lui a valu d'autres prises de bec, comme en 2010, lorsque Daniel Cohn-Bendit lui lance un un cinglant "Ta gueule !" en pleine séance (vers 1'14'').
Mais ces échanges ne l'empêchent pas de continuer à prendre du galon. Il devient président du Parlement européen en 2012 et se fait réélire en 2014. Au total, il passe cinq ans à la tête de cette institution : un record. "On ne peut pas dire qu'il soit très charpenté sur le plan idéologique, mais il est doté d'un grand sens tactique", commente auprès du Monde l'eurodéputée française Pervenche Berès. Challenges raconte ainsi qu'il possède les numéros directs des chefs d'Etat et de gouvernement européens, qu'il tutoie François Hollande et envoie des SMS à Angela Merkel ou Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne.
Il arrive à convaincre l'électorat de gauche
Après avoir connu le sommet de l'Union européenne, Martin Schulz regarde vers l'Allemagne, à la fin de l'année 2016, où il n'a exercé qu'un mandat de maire. En janvier dernier, Sigmar Gabriel, qui devait être le candidat naturel du SPD pour les élections législatives, jette l'éponge. Il est découragé par son impopularité. "Si je me présentais, j'échouerais et le SPD avec moi", explique-t-il dans une interview accordée au magazine Stern (en allemand).
Martin Schulz, qui a démissionné de la présidence du Parlement européen, est alors désigné à sa place, le 24 janvier. Lors de son premier discours de campagne, il présente sa ligne. Il affirme vouloir lutter "pour une Allemagne plus juste", dénonce les "bonifications" des patrons et épingle les "paradis fiscaux". L'ancien président du Parlement européen promet également de défendre les classes populaires et leurs "soucis quotidiens", mettant en avant ses origines modestes.
En ligne de mire, il a également le parti nationaliste Alternative pour l'Allemagne (AfD), qu'il qualifie de "honte pour la République". "Nous savons en Allemagne à quoi peut mener un nationalisme aveugle", lance-t-il, alors que la formation enregistre un succès croissant.
Depuis la désignation de Martin Schulz, les intentions de vote pour le SPD ont grimpé en flèche. S'il a un long parcours politique, son image en Allemagne, sur le plan national, est préservée. "Il n’a pas siégé au Bundestag, il n’a jamais fait partie d’un parlement régional et encore moins du gouvernement fédéral. (...) Il a l'avantage d'avoir toujours eu bonne presse jusqu'ici", analyse Frank Decker, politologue à l’université de Bonn, auprès d'Arte. Et comme il n'a pas participé au gouvernement actuel de "grande coalition", il a les moyens de critiquer la politique d'Angela Merkel.
Pour le politologue Thomas Jäger, qui enseigne à l'université de Cologne, "la façon dont Schulz a reconquis un grand nombre d'anciens électeurs du SPD qui avaient tourné le dos au parti est absolument inattendue". "Il parle leur langage, il leur ressemble. Il y a subitement beaucoup d'enthousiasme", ajoute-t-il. Reste à voir si cet engouement est dû à un effet de nouveauté et s'il est durable. Il reste encore sept mois de campagne à tenir.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.