Cet article date de plus d'un an.

Elections législatives en Pologne : Donald Tusk, le libéral "tourné vers l'Europe" qui veut mettre fin à huit ans de règne ultraconservateur

Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Le leader du parti libéral Plateforme civique, Donald Tusk, fait son grand retour en politique nationale à l'occasion des législatives du 15 octobre 2023 en Pologne. (MICHAL FLUDRA / NURPHOTO / AFP)
L'ancien Premier ministre polonais, passé par le Conseil européen, veut incarner l'alternative face au parti Droit et justice, qui a verrouillé les institutions du pays.

Un autocollant rouge en forme de cœur sur la poitrine, les manches de chemise retroussées et l'œil rieur : voilà Donald Tusk prêt pour une nouvelle vidéo sur les réseaux sociaux. Ce jour-là, en pleine campagne législative, il est filmé lors d'une distribution de... pizzas à l'ananas, accompagné par un fond musical burlesque. Une nouvelle fantaisie pour cet homme de 66 ans, habitué à rompre avec la rudesse du combat électoral.

>> L'article à lire pour comprendre l'enjeu des élections législatives en Pologne

Dimanche 15 octobre, les Polonais sont appelés à renouveler leur Parlement. A l'issue de ce scrutin, la majorité désignera un président du Conseil des ministres, chargé de composer un gouvernement. Un poste visé par Donald Tusk, figure bien connue du paysage politique national et européen. Le libéral, qui a été député, sénateur, Premier ministre dans son pays, puis président du Conseil européen, mise à la fois sur son expérience et son aura internationale pour l'emporter. A la tête de sa Coalition civique, il va tenter de faire tomber un adversaire de taille : le parti ultraconservateur Droit et justice (PiS), au pouvoir depuis 2015 et légèrement en tête dans les sondages.

Un rival historique des conservateurs, avec qui il a failli gouverner

Donald Tusk entame sa carrière politique sur les cendres encore tièdes du bloc soviétique. En 1991, le natif de Gdansk, port industriel du nord de la Pologne, est élu député. Six ans plus tard, alors âgé de 40 ans, il devient sénateur et vice-président de la chambre haute polonaise. En 2001, il cofonde le parti Plateforme civique (Platforma Obywatelska en polonais, abrégé en PO).

Alors président de la Plateforme civique, Donald Tusk s'exprime face à la presse le 22 septembre 2005. (KRZYSZTOF MYSTKOWSKI / KFP / AFP)

Son ascension politique se poursuit au cours des années 2000, en parallèle de celle de Lech Kaczynski, fondateur du PiS. "En 2005, le PO et le PiS étaient censés gouverner ensemble", rappelle le politologue Cédric Pellen, spécialiste du pays. Mais faute d'accord politique, la campagne pour l'élection présidentielle de 2005 "voit tout cela partir en fumée", explique le chercheur. Donald Tusk concède alors la victoire à Lech Kaczynski, dont il devient néanmoins le Premier ministre en novembre 2007, remplaçant le frère jumeau du président conservateur, Jaroslaw Kaczynski.

Pour la Plateforme civique, c'est la consécration, et l'occasion d'accéder pour la première fois au pouvoir depuis le retour de la démocratie en Pologne. Cette victoire installe aussi Donald Tusk durablement dans le paysage politique national. A ce jour, il détient le record du plus long mandat de Premier ministre de la IIIe République (six ans et dix mois) grâce à une réélection en 2011.

Un bilan mitigé en tant que Premier ministre

En 2007, lorsque Donald Tusk prend les commandes du gouvernement, la Pologne est membre de l'UE depuis déjà trois ans. Mais le pays accuse un important retard économique sur ses voisins de l'Ouest. La compétitivité économique en guise de boussole, le dirigeant "déroule alors une série de mesures d'inspiration néo-libérale", relate à franceinfo Valentin Behr, chargé de recherche au CNRS, rattaché au Centre européen de sociologie et de science politique. Le Premier ministre "se félicitait à l'époque du fait que la Pologne avait une forte croissance économique et devenait un pays européen".

"Donald Tusk et la Plateforme civique ont laissé le souvenir d'un gouvernement très favorable aux logiques de marché, pas très soucieux des aspects sociaux."

Valentin Behr, spécialiste de la Pologne

à franceinfo

Pour de nombreux Polonais, cette période est synonyme d'inégalités grandissantes, "comme la précarisation du marché de l'emploi, la mauvaise insertion des jeunes", ajoute de son côté Cédric Pellen. Les années Tusk voient aussi apparaître des mesures impopulaires, comme l'allongement de l'âge légal de départ à la retraite (de 62 à 65 ans, puis 67 ans pour tous) ou la privatisation d'entreprises publiques. L'âge de départ à la retraite a depuis été rabaissé par les conservateurs à 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes.

Un europhile passé par Bruxelles

Favorable à l'entrée de la Pologne dans la zone euro (ce qui n'est pas arrivé), Donald Tusk rompt avec les anciens gouvernements et "se tourne davantage vers l'Europe", relate Cédric Pellen. Une attitude remarquée à Bruxelles, où il finit par être appelé en décembre 2014 pour présider le Conseil européen. Il y anime alors les rencontres entre chefs d'Etat, tout en assurant la représentation extérieure de l'UE.

Donald Tusk prend ses fonctions européennes dans un contexte tendu. Encore secouée par la crise financière de 2008, l'UE s'inquiète alors de l'annexion de la Crimée par la Russie. "Aujourd'hui, non seulement les eurosceptiques remettent en question la valeur de l'UE, mais l'Union a même des ennemis. L'Histoire est de retour et nous ne pourrons pas affronter cette période tumultueuse sans unité politique", déclare-t-il lors de son premier discours à Bruxelles en décembre 2014.

Lors de son premier discours en tant que président du Conseil européen, le 1er décembre 2014, Donald Tusk met l'accent sur "l'unité de l'Europe". (EMMANUEL DUNAND / AFP)

"Le fait qu'un Polonais soit désigné a marqué les esprits", retrace auprès de franceinfo un diplomate passé par le Conseil européen. Son arrivée consacrait l'entrée d'un pays de l'ancien bloc communiste comme un acteur majeur dans les affaires de l'UE". Donald Tusk n'hésite d'ailleurs jamais à convoquer le passé de la Pologne lors de ses prises de parole. "L'UE n'est certainement pas le meilleur des mondes possibles. Mais je suis sûr qu'elle est le meilleur des mondes existants", assure-t-il à Bruxelles en septembre 2015, en mettant en avant son expérience d'homme ayant "vécu sous un régime communiste durant la moitié de [sa] vie".

"Donald Tusk n'est pas un technicien qui aime les chiffres, les détails. Ce qu'il adore, c'est la grande politique entre les Etats. C'est un enfant de la Pologne, marqué par le combat entre le communisme et la démocratie."

Un responsable européen

à franceinfo

Décrit comme "obsédé par la menace russe", Donald Tusk milite aussi pour un durcissement de la position européenne vis-à-vis de Moscou. "Chaque semaine ou presque, je devais publiquement rappeler que la Russie n'était pas notre 'partenaire stratégique', mais notre 'problème stratégique", écrit-il lui-même dans la page du Conseil européen revenant sur son bilan. "Il s'est aussi investi dans la crise migratoire, avant de participer aux négociations du Brexit", relate à franceinfo un autre responsable européen, familier des dossiers du Conseil.

Sauver la Pologne du déclin de l'Etat de droit

A la fin de son mandat, en novembre 2019, le Polonais prend la tête du Parti populaire européen, de sensibilité droite et centre-droit. Mais en parallèle, il réfléchit surtout à se relancer dans son pays d'origine. "Sa motivation, c'est de sauver la Pologne de ce qu'il perçoit comme étant le déclin de l'Etat de droit, de la démocratie, des médias libres", confie cette même source.

Après avoir repris les rênes de la Plateforme civique en 2021, il s'active à refaire de son parti la principale force d'opposition du pays. Mais il est loin d'incarner le renouveau et peine à convaincre l'opinion au-delà de ses électeurs historiques, analyse Dorota Dakowska, professeure à Sciences Po Aix.

"Avec son rival Jaroslaw Kaczynski, Donald Tusk est l'une des personnalités les plus détestées du paysage politique polonais, abonde même Valentin Behr. Cette élection montre le faible renouvellement du personnel politique polonais, avec des personnages centraux qui l'étaient déjà à la fin des années 1990." Pas de quoi attirer les électeurs, dans un pays où le taux d'abstention tourne souvent autour de 50%.

"C'est comme si, en France, nous avions un duel entre Nicolas Sarkozy en François Hollande, mais qui durerait depuis plus de vingt ans."

Cédric Pellen, politologue

à franceinfo

Pour capter les votes progressistes, Donald Tusk a posé une condition claire à ceux qui désirent rejoindre sa Coalition civique : l'IVG doit être autorisée pour toutes les femmes qui le demandent, jusqu'à 12 semaines de grossesse, après consultation d'un médecin. Une façon de creuser un fossé avec les ultraconservateurs du PiS, qui ont rendu l'avortement presque impossible en 2020. Par ailleurs, loin de ses plans d'austérité passés, le libéral promet désormais d'augmenter les allocations familiales, déjà gonflées par le PiS ces dernières années.

Bête noire du gouvernement

Même s'il n'a pas réussi à réunir tous les partis d'opposition, il reste le principal rival du PiS, qui entend le battre par tous les moyens. Fin mai, les ultraconservateurs ont ainsi voté la création d'une "commission d'enquête sur l'influence russe", capable de bannir de la fonction publique pendant dix ans toute personne reconnue proche de Moscou. Cette mesure controversée a été surnommée "Lex Tusk", ou "loi Tusk", tant elle semble viser l'intéressé. Pour avoir fait acheter du gaz russe à la Pologne lorsqu'il était Premier ministre, il est en effet accusé de collusion par le PiS, ce qui a suscité l'indignation du Parlement européen

Mais les attaques ne s'arrêtent pas là. Ce dimanche, en parallèle des élections, le gouvernement polonais organise un référendum. Les quatre questions posées aux votants reprennent toutes les principales critiques du PiS envers Donald Tusk, comme "Etes-vous favorable au retour de la retraite à 67 ans pour tous ?", ou encore "Etes-vous favorable à l'admission de milliers d'immigrants illégaux du Moyen-Orient et d'Afrique (…) imposée par la bureaucratie européenne ?". Un "coup tordu qui a tout de même des chances d'influer sur le vote", alerte Cédric Pellen.

Impuissant face à ces coups politiques, Donald Tusk reste néanmoins confiant. Le 1er octobre, sa grande marche anti-gouvernement a fait le plein à Varsovie. "Quand je vois ces centaines de milliers de visages souriants, je sens bien qu'un moment décisif de l'histoire de notre patrie arrive", a-t-il déclaré, avant de menacer directement les cadres du PiS. "Beaucoup d'entre eux iront en prison pour vol, pour avoir violé la loi et la Constitution", a-t-il promis.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.