Cet article date de plus d'onze ans.
L'Ukraine, une société clivée entre deux cultures
L'opposition ukrainienne, qui dénonce le revirement du président Viktor Ianoukovitch sur le rapprochement avec l'Union européenne, bat le pavé à Kiev en cette fin 2013. Ce mouvement populaire fait resurgir les clivages existant dans la société. Retour sur une fracture historique entre l’est et l’ouest du pays. Entre pro-Européens et pro-Russes.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Article initialement publié le 3 janvier 2013
Lors de l’élection présidentielle de 2004, l’Ukraine s’est montrée globalement coupée en deux. D’un côté, les pro-Occidentaux conduits par une partie de l’opposition, de l’autre, les pro-Russes à la tête desquels l’actuel président Viktor Ianoukovitch, revenu depuis (en 2010) aux affaires avec son clan.
Mais ce clivage ne date pas d’hier. Il s’était déjà manifesté en 1991, après le référendum d’indépendance (même si 90% des Ukrainiens s’étaient prononcés pour que l’Ukraine sorte de l’Union soviétique). Ou à la présidentielle de 1994 (le russophile Leonid Koutchma avait battu le dernier président de la République socialiste soviétique d’Ukraine, artisan de l’indépendance, Leonid Kravchouk).
En gros, les régions allant de l’ouest au nord du pays, berceaux du nationalisme, cherchent à s’inscrire dans une tradition occidentale. Les autres, de l’est au sud, se tournent résolument vers Moscou. Dès son arrivée au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine a d’ailleurs multiplié les investissements économiques russes pour garder une influence sur l’Ukraine.
Ce clivage prend racine dans l’Histoire et a perduré au fil du temps : la culture et l’identité ukrainiennes sont morcelées (mythes, religions, symboles, langues) entre l’Orient (qui a connu les conquêtes cosaques) et l’Occident (restes de l’Empire austro-hongrois).
En 1941, quand les nazis ont attaqué les Russes, ils ont été soutenus par des bataillons ukrainiens d’extrême droite. Après la fin de l’URSS, cette extrême droite est réapparue à l’ouest et au nord, là où la coalition Orange possède une large base électorale.
La corruption gangrène tous les niveaux de l'Etat
Les deux camps sont-ils prêts à cohabiter pour l’exercice de la démocratie, alors que seuls les intérêts économiques sont consensuels dans ce pays ? Les derniers heurts au Parlement de Kiev où les violences à la mairie d’Odessa, le 21 décembre 2012, permettent d’en douter. Dans ce dernier cas, les affrontements ont été provoqués par la privatisation de 1.200 entreprises d’Etat, lancée en 2012 sur fond de clientélisme et de corruption.
Depuis l’indépendance en 1991, les apparatchiks (qui appliquaient les directives de Moscou) ont eu beau se muer en «démocrates», la corruption et le manque de réformes ont entraîné le pays vers la crise. L’Ukraine, pourtant l’un des Etats les plus riches et les plus puissants de l’ex-URSS, était ainsi acculé à la faillite économique et politique dès 1994. Ce qui n’empêcha pas la réélection de Koutchma avec à la clé une transition ratée vers une économie de marché.
Les icônes de 2004 sont tombées en disgrâce
Bien que favorable à un rapprochement avec l’ouest, Viktor Ioutchenko (Premier ministre entre 1999 et 2001 puis président dès 2004) a été finalement désavoué dans les urnes à la présidentielle de 2010 (moins de 6% des voix). En cause, son immobilisme et son incapacité à régler tant les crises politiques que la corruption, selon ses détracteurs. Lui pense encore que l’esprit de la révolution continue de flotter au-dessus de l’Ukraine : «Durant les cinq années qui ont suivi la révolution, le pays a changé». Et d’ajouter : «La révolution Orange a été le premier événement qui nous a apporté la liberté de choisir.»
Certes, mais que reste-t-il du soulèvement populaire ? D’aucuns parleraient de désenchantement. Exemple significatif, Ioulia Timochenko, son égérie, qui avait fait tomber le régime pro-Russe, alors incarné par l’actuel président Ianoukovitch, est sous les verrous pour sept ans. La cause ? Abus de pouvoir autour d’un contrat gazier mené avec la Russie.
Les partisans de la pasionaria ukrainienne dénoncent un procès politique fait à l’ancienne Premier ministre de Ioutchenko. La politologue Alexandra Goujon, qui s’exprimait en 2011 sur France 24, estime qu’il s’agit de «nuire aux anciennes élites de la révolution Orange et saper l’opposition».
Certes, mais la blonde Ioulia n’est pas exactement celle que l’Occident et les Etats-Unis veulent bien dépeindre…
Le retour au pouvoir de la «Famille»
Aujourd’hui, les anciens apparatchiks, appelés aussi la «Famille» par leurs adversaires, sont revenus au pouvoir et, avec eux, les vieilles habitudes : corruption, népotisme, favoritisme, arrestations de membres de l’opposition (elle-même désunie), liberté d’expression muselée…
La mauvaise gouvernance a permis le retour des nationalistes de Svoboda («Liberté», en slave) qui font leur miel du mécontentement populaire, et gagnent du terrain dans l’opinion publique.
L’Ukraine, une des trois Nations les plus corrompues du monde avec le Brésil et la Colombie (Ernst&Young 2012), aura donc bien des défis à relever si elle veut rejoindre le cercle des démocraties du Vieux continent. A commencer par le retour de la sérénité en apaisant ses rivalités politiques, et en équilibrant ses relations avec Moscou, Bruxelles ou Washington.
Lors de l’élection présidentielle de 2004, l’Ukraine s’est montrée globalement coupée en deux. D’un côté, les pro-Occidentaux conduits par une partie de l’opposition, de l’autre, les pro-Russes à la tête desquels l’actuel président Viktor Ianoukovitch, revenu depuis (en 2010) aux affaires avec son clan.
Mais ce clivage ne date pas d’hier. Il s’était déjà manifesté en 1991, après le référendum d’indépendance (même si 90% des Ukrainiens s’étaient prononcés pour que l’Ukraine sorte de l’Union soviétique). Ou à la présidentielle de 1994 (le russophile Leonid Koutchma avait battu le dernier président de la République socialiste soviétique d’Ukraine, artisan de l’indépendance, Leonid Kravchouk).
En gros, les régions allant de l’ouest au nord du pays, berceaux du nationalisme, cherchent à s’inscrire dans une tradition occidentale. Les autres, de l’est au sud, se tournent résolument vers Moscou. Dès son arrivée au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine a d’ailleurs multiplié les investissements économiques russes pour garder une influence sur l’Ukraine.
Ce clivage prend racine dans l’Histoire et a perduré au fil du temps : la culture et l’identité ukrainiennes sont morcelées (mythes, religions, symboles, langues) entre l’Orient (qui a connu les conquêtes cosaques) et l’Occident (restes de l’Empire austro-hongrois).
En 1941, quand les nazis ont attaqué les Russes, ils ont été soutenus par des bataillons ukrainiens d’extrême droite. Après la fin de l’URSS, cette extrême droite est réapparue à l’ouest et au nord, là où la coalition Orange possède une large base électorale.
La corruption gangrène tous les niveaux de l'Etat
Les deux camps sont-ils prêts à cohabiter pour l’exercice de la démocratie, alors que seuls les intérêts économiques sont consensuels dans ce pays ? Les derniers heurts au Parlement de Kiev où les violences à la mairie d’Odessa, le 21 décembre 2012, permettent d’en douter. Dans ce dernier cas, les affrontements ont été provoqués par la privatisation de 1.200 entreprises d’Etat, lancée en 2012 sur fond de clientélisme et de corruption.
Depuis l’indépendance en 1991, les apparatchiks (qui appliquaient les directives de Moscou) ont eu beau se muer en «démocrates», la corruption et le manque de réformes ont entraîné le pays vers la crise. L’Ukraine, pourtant l’un des Etats les plus riches et les plus puissants de l’ex-URSS, était ainsi acculé à la faillite économique et politique dès 1994. Ce qui n’empêcha pas la réélection de Koutchma avec à la clé une transition ratée vers une économie de marché.
Les icônes de 2004 sont tombées en disgrâce
Bien que favorable à un rapprochement avec l’ouest, Viktor Ioutchenko (Premier ministre entre 1999 et 2001 puis président dès 2004) a été finalement désavoué dans les urnes à la présidentielle de 2010 (moins de 6% des voix). En cause, son immobilisme et son incapacité à régler tant les crises politiques que la corruption, selon ses détracteurs. Lui pense encore que l’esprit de la révolution continue de flotter au-dessus de l’Ukraine : «Durant les cinq années qui ont suivi la révolution, le pays a changé». Et d’ajouter : «La révolution Orange a été le premier événement qui nous a apporté la liberté de choisir.»
Certes, mais que reste-t-il du soulèvement populaire ? D’aucuns parleraient de désenchantement. Exemple significatif, Ioulia Timochenko, son égérie, qui avait fait tomber le régime pro-Russe, alors incarné par l’actuel président Ianoukovitch, est sous les verrous pour sept ans. La cause ? Abus de pouvoir autour d’un contrat gazier mené avec la Russie.
Les partisans de la pasionaria ukrainienne dénoncent un procès politique fait à l’ancienne Premier ministre de Ioutchenko. La politologue Alexandra Goujon, qui s’exprimait en 2011 sur France 24, estime qu’il s’agit de «nuire aux anciennes élites de la révolution Orange et saper l’opposition».
Certes, mais la blonde Ioulia n’est pas exactement celle que l’Occident et les Etats-Unis veulent bien dépeindre…
Le retour au pouvoir de la «Famille»
Aujourd’hui, les anciens apparatchiks, appelés aussi la «Famille» par leurs adversaires, sont revenus au pouvoir et, avec eux, les vieilles habitudes : corruption, népotisme, favoritisme, arrestations de membres de l’opposition (elle-même désunie), liberté d’expression muselée…
La mauvaise gouvernance a permis le retour des nationalistes de Svoboda («Liberté», en slave) qui font leur miel du mécontentement populaire, et gagnent du terrain dans l’opinion publique.
L’Ukraine, une des trois Nations les plus corrompues du monde avec le Brésil et la Colombie (Ernst&Young 2012), aura donc bien des défis à relever si elle veut rejoindre le cercle des démocraties du Vieux continent. A commencer par le retour de la sérénité en apaisant ses rivalités politiques, et en équilibrant ses relations avec Moscou, Bruxelles ou Washington.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.