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Brexit : Londres organise la résistance

Alors que des Londoniens se prennent à rêver de l'indépendance de la capitale britannique, le pragmatique maire de Londres, Sadiq Khan, en profite pour réclamer plus d'autonomie.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des manifestants brandissent des pancartes anti-Brexit, lors d'un rassemblement pour protester contre la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, à Londres, le 25 juin 2016. (JUSTIN TALLIS / AFP)

Lors du référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l'Union européenne, Londres a fait bande à part, en Angleterre. La capitale britannique s'est démarquée en votant à presque 60% en faveur du "Remain". Et encore, il s'agit là des résultats dans le Grand Londres, qui s'étend sur 1 500 km² dont beaucoup de zones rurales. Dans les circonscriptions du centre de la mégapole, l'adhésion à l'Europe dépasse les 75%. Et les Londoniens ne comptent pas en rester là.

Depuis la victoire des pro-Brexit, la capitale est entrée en résistance, au point de questionner son avenir au sein du Royaume-Uni. Mardi 28 juin, le maire de Londres Sadiq Khan, qui a fait campagne pour rester dans l'UE, reprend même le slogan de ses adversaires à son compte. L'élu veut lui aussi "reprendre le contrôle" ("Take back control" en VO).

Vers une "Londépendance" ?

A côté des déçus qui réclament un improbable second vote, d'autres demandent l'indépendance de la capitale. James O'Malley, auteur freelance de 29 ans, qui se présente comme un "bourgeois de gauche qui vit dans le nord de Londres", a lui aussi lancé une pétition sur Change.org, au lendemain du référendum. Un texte dans lequel il demande à Sadiq Kahn de "déclarer Londres indépendante du Royaume-Uni et de poser sa candidature pour rejoindre l'UE".

"C'est fou, mais pas tant que ça", écrit-il dans un texte publié sur le site LittleAtoms (en anglais), citant pour exemple Singapour ou Monaco. "Il y a peu, on aurait également pensé qu'un Brexit était impossible", estime James O'Malley. Encouragé par "le succès gigantesque" de sa pétition, qui a récolté 175 000 signatures, il a même lancé une campagne de financement participatif, avant de faire marche arrière, "dépassé par les événements".

En une journée, il avait récolté 3 000 livres sterling (environ 3 600 euros), sans avoir eu à préciser ce qu'il avait l'intention d'en faire. Il a préféré rendre leur argent aux donateurs, écrit le quotidien londonien The Evening Standard (en anglais)Sur Twitter, le mouvement peine à prendre forme, mais les appels à faire sécession se multiplient, derrière les hashtags #Londependence, #independentLondon, #Londonout ou encore #Lexit.

Boris Johnson traité de "traître"

Dans les rues de la capitale aussi, le mécontentement se fait entendre. L'ancien maire de Londres, Boris Johnson, leader des partisans du Brexit, a pu goûter à la colère de ses opposants. Lors de sa première apparition publique, vendredi, après l'annonce des résultats, il a été hué et traité de "traître" sur le pas de sa porte, dans le quartier d'Islington. "Honte à toi Boris, honte à toi", aurait hurlé un cycliste excédé en tentant de lui bloquer la route. Samedi, une manifestation anti-Brexit spontanée a rassemblé quelques centaines de déçus. On nous a "volé notre avenir", clamaient  des jeunes proeuropéens.

Mardi, un grand rassemblement anti-Brexit devait aussi se tenir sur Trafalgar Square. La page Facebook de l'événement rassemblait plusieurs dizaines de milliers d'inscrits, mais la révolution n'aura pas lieu. La page a été supprimée, selon The Independent (en anglais). L'organisatrice, Jessica Rodgers, explique qu'elle pensait seulement réunir une vingtaine de copains et n'était pas préparée à voir "plus de 50 000 personnes se lever pour Londres", sur une place qui peut en accueillir 10 000. "Nous avons fait notre possible, mais il nous était impossible d'assurer la sécurité dans ces conditions", explique-t-elle.

Cette mobilisation, bien que balbutiante, est parvenue à interpeller des responsables politiques. Lord Spencer Livermore, membre du Parti travailliste, estime que l'indépendance de Londres "doit devenir un objectif". Selon lui, Londres pourrait atteindre un "PIB deux fois plus important que celui de Singapour".

Une ville-monde bientôt cité-Etat ?

De son côté, le maire de Londres Sadiq Khan ne rate pas une occasion de crier son amour pour l'Europe. Dès vendredi, il a réclamé, et obtenu, d'être associé aux négociations de sortie de l'UE, au même titre que l'Ecosse et l'Irlande du Nord, souhaitant que Londres "reste un membre du marché unique". Le lendemain, il s'est adressé directement au million d'Européens installés à Londres, pendant la Gay Pride, assurant qu'ils étaient "toujours les bienvenus". "Nous sommes reconnaissants de votre énorme contribution à notre ville et le résultat du référendum n'y changera rien", a-t-il insisté.

Une façon de chouchouter son électorat. Dans cette ville-monde de 8,6 millions d'habitants, 37% des habitants sont nés à l'étranger. "Londres est une ville cosmopolite, incomparable avec le reste du Royaume-Uni où on ne veut pas des immigrés. Ici, on ne sent pas marginalisé", témoigne Carmen Martinez, une Espagnole de 43 ans installée dans la capitale britannique, interrogée par l'AFP. "L'identité des Londoniens est différente de celle du reste du pays. Je me sens Londonienne d'abord, puis européenne, puis britannique", explique Beverley David, chasseuse de têtes de 33 ans.

La City au cœur des débats

Si Londres est déçue, c'est aussi parce qu'elle abrite la City, l'un des principaux centres financiers du monde. L'économie de la capitale dépend du secteur financier, qui dépend lui-même de l'accès au marché européen. Selon le site London First (en anglais), l'Union européenne représente 30 à 40% des exportations de Londres et la capitale britannique attire plus d'investissements que n'importe quelle autre ville d'Europe.

Sadiq Khan l'a bien compris aussi. Lors d'un discours devant des chefs d'entreprise, il a réclamé "plus d'autonomie pour la capitale, immédiatement (...) pour faire face à l'incertitude, pour protéger les entreprises du monde entier qui font des affaires ici, et pour protéger nos emplois, notre richesse et notre prospérité". Pour le moment, l'élu souhaite que Londres puisse avoir la maîtrise de la levée de l'impôt et des prérogatives élargies sur plusieurs secteurs, qu'il s'agisse des entreprises, des transports, du logement, de la santé et de la police.

Est-il prêt pour autant à créer les conditions de l'indépendance de Londres ? "Même si l'idée de faire de Londres une ville-Etat indépendante est séduisante, je ne parle pas aujourd'hui sérieusement d'indépendance. Je n'ai pas prévu d'installer des postes-frontières sur la M25 [le périphérique qui ceinture la ville]", assure-t-il. 

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