: Cartes Brexit : on vous explique pourquoi les négociations patinent toujours à cause du "backstop" irlandais
Afin de comprendre pourquoi et comment le Brexit pourrait précipiter toute l'Europe dans l'inconnu, il faut se plonger dans le cauchemar du "backstop". C'est quoi ? Comment ça marche ? Franceinfo relève le défi.
Encore un jour crucial sur le front du Brexit. Alors qu'un sommet européen se tiendra les 17 et 18 octobre à Bruxelles afin de valider un tant attendu accord permettant d'encadrer la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, prévue le 31 octobre, les deux parties continuent de s'arracher les cheveux sur le sort de la frontière irlandaise. Les îles britanniques étant entourées par la mer, la seule frontière terrestre entre l'Union européenne et le Royaume-Uni se trouvera sur l'île irlandaise, entre l'Irlande du Nord, qui fait partie du Royaume-Uni, et la République d'Irlande, indépendante.
Or, il est inenvisageable d'installer une frontière physique entre ces deux pays, en vertu de l'accord du vendredi saint, signé en 1998 pour mettre un terme à trente ans de guerre civile entre les Nord-Irlandais "loyalistes", qui souhaitent appartenir au Royaume-Uni et dépendre de Londres, et les Républicains, qui souhaitent rejoindre la République d'Irlande. Ré-instaurer une frontière, afin de contrôler la circulation des biens et des personnes qui transitent entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, réveillerait de vieux démons, menacerait l'accord du vendredi saint et empoisonnerait la vie de dizaines de milliers d'Irlandais et Nord-Irlandais qui vivent et travaillent autour de cette zone.
Les négociateurs doivent donc composer avec un problème quasi insoluble : instaurer une zone de contrôle entre les deux Irlandes, sans mettre en place de frontière physique, alors que l'une sera dans l'UE et l'autre non. Et jusqu'ici, toutes les propositions sont tombées à l'eau.
Le "backstop"
Qu'est-ce que c'est ? Le "backstop" est une clause mentionnée dans l'accord de retrait, un document de 599 pages censé définir les conditions dans lesquelles le Royaume-Uni quitte l'UE. Cette clause définit la relation entre l'Irlande du Nord, qui reste britannique, et l'Irlande, qui reste dans l'UE. Objectif : garantir aux deux parties qu'il n'y aura pas de frontière terrestre entre les deux Irlandes.
Une fois le Brexit effectif, le 31 octobre, l'accord de retrait prévoit une période de transition qui courra juqu'au 1er janvier 2021. Durant ce laps de temps, Londres et Bruxelles devront définir leur nouvelle relation commerciale (droits de douanes, contrôles, etc.) S'ils n'y parviennent pas, le "backstop" s'appliquera. C'est pour cela qu'on le traduit par "filet de sécurité". Car il apporte une solution provisoire et permet de ne pas bloquer les échanges commerciaux pendant que les négociations se poursuivent.
Comment ça marche ? Le "backstop" prévoit que le Royaume-Uni reste temporairement dans l'union douanière, et ce jusqu'à ce qu'il noue un accord commercial satisfaisant avec l'UE. L'union douanière est un groupe de pays qui adopte ensemble la même politique commerciale vis-à-vis des pays extérieurs à ce groupe. En restant dans cette union douanière, le Royaume-Uni devra donc continuer à suivre les règles imposées par Bruxelles pour commercer avec les Etats-Unis, le Brésil ou la Chine, par exemple.
Contrairement au reste du Royaume-Uni, l'Irlande du Nord, elle, resterait dans le marché commun. Le marché commun est un groupe de pays qui peuvent commercer les uns avec les autres sans droits de douane et qui adoptent tous la même régulation (comme les normes appliquées aux constructeurs). En maintenant l'Irlande du Nord dans le marché commun, le "backstop" rend inutile, de fait, la construction de postes-frontières puisqu'il n'y aurait pas besoin de contrôler ni de taxer les biens qui circulent entre les deux Irlandes, toujours soumises aux mêmes règles.
Comme pour les contrôles entre la France et le Royaume-Uni, les contrôles entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni seraient effectués au niveau des ports ou sur les ferries qui transportent les marchandises.
Pourquoi les Britanniques n'en veulent pas ? Les Européens et les négociateurs de Theresa May ont discuté pendant trois ans avant d'accoucher de l'accord de retrait et de son "backstop". Quand l'ancienne Première ministre britannique a présenté le texte au Parlement, afin qu'il le valide, ce dernier l'a rejeté... trois fois de suite. Les députés ne s'opposent pas forcément à l'ensemble du texte. Mais souvent, ils rejettent la partie sur le "backstop".
Et pour cause, les Brexiters partisans d'un Brexit "dur" – qui marque une rupture nette avec l'UE – ne veulent pas que le Royaume-Uni reste dans l'union douanière. Pour eux, l'intêret de ce Brexit était justement d'en sortir, pour pouvoir nouer de nouveaux accords avec leurs partenaires, en premier lieu les Etats-Unis. Le "backstop" leur apparaît donc comme une fausse sortie de l'UE.
D'autant plus qu'il n'a pas été prévu de date de fin pour l'application de ce "backstop" et que l'UE devra donner son accord pour y mettre fin. En plus d'avoir peur de se retrouver coincés pour une durée indéterminée dans l'union douanière, les députés du Parti unioniste nord-irlandais (ultraconservateur) veulent s'assurer de pouvoir décider unilatéralement de mettre fin au "backstop". Contrairement à Dublin, les unionistes ne veulent pas rester dans le marché commun et souhaite être aligné sur Londres.
Le "backstop" alternatif
Comment ça marche ? Mercredi 2 octobre, Boris Johnson, le successeur de Theresa May, a proposé un "backstop" alternatif. Celui-ci prévoit que l'Irlande du Nord quitte l'union douanière européenne, comme le reste du Royaume-Uni. En revanche, la province britannique continuerait quand même à appliquer les règles européennes en matière de circulation des biens.
Pour permettre, dans les faits, à l'Irlande du Nord de rester dans le marché commun tout en quittant l'union douanière, ce plan crée une zone réglementaire englobant les deux Irlandes. Cette zone verrait le jour avec l'accord du Parlement et de l'exécutif nord-irlandais, qui devraient donner leur accord six mois avant la fin de la "période de transition" (soit en juillet 2020), et pourraient voter à nouveau pour ou contre tous les quatre ans.
Cette option éliminerait aussi tous contrôles entre l'Irlande du Nord et l'Irlande. La collecte des taxes douanières n'aurait donc pas lieu entre les deux pays. Le suivi des marchandises serait opéré grâce à une "coopération étroite entre le Royaume-Uni et l'Irlande", avec des vérifications ponctuelles, à distance, précise Le Monde.
Le Premier ministre britannique demande aussi à l'UE de signer un traité par lequel elle s'engagerait à ne jamais réinstaurer de frontière physique entre les deux Irlandes.
Pourquoi les Européens n'en veulent pas ? D'une part, les Européens estiment qu'il est, pour l'instant, impossible de mettre en place un système de contrôles dématérialisés tel que prévu dans le plan de Boris Johnson. Il n'y a donc, pour l'UE, aucune garantie que les contrôles soient suffisants pour que les produits qui entrent en Irlande (donc dans l'UE) via l'Irlande du Nord respectent bien les normes européennes.
Mais le plus gros frein, pour les Européens, consiste à donner au Parlement nord-irlandais la possibilité de sortir de la zone réglementaire, de manière unilatérale, avec ce fameux vote reconduit tous les quatre ans. Les négociateurs de l'UE y voient un droit de veto accordé à Stormont (le siège de l'exécutif et du Parlement nord-irlandais).
Enfin, si le Parlement nord-irlandais décidait un jour de quitter le marché commun en faisant éclater la zone réglementaire, l'UE serait piégée : elle ne pourrait pas contrôler les marchandises qui entrent dans l'UE via l'Irlande du Nord car elle ne pourrait pas instaurer de frontière entre les deux Irlandes. L'Union européenne serait, de fait, une véritable passoire. Un scénario qui diffère sensiblement de celui du "no deal".
Le "no deal"
Qu'est-ce que c'est ? Le "backstop", tout comme le "backstop" alternatif, sont des plans B, censés s'appliquer si Bruxelles et Londres ne parviennent pas à se mettre d'accord à l'issue de la période de transition. Or, pour qu'il y ait période de transition, il doit y avoir accord d'ici au 31 octobre.
Comment ça marche ? S'il n'y pas d'accord, alors le Royaume-Uni sortira brutalement de l'Union européenne. Dans ce cas, les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) régiraient les relations entre l'UE et le Royaume-Uni, le temps que les deux parties nouent de nouveaux accords douaniers.
Concrètement, le Royaume-Uni dans son ensemble, Irlande du Nord incluse, quitterait l'union douanière et le marché commun. Des contrôles seront donc indispensables à la frontière entre les deux Irlandes, ce qui devrait aboutir à l'élaboration d'une frontière physique, sans que l'on sache vraiment la forme qu'elle pourrait prendre. Une situation que tout le monde, parmi les Etats membres, au sein des deux Irlandes et dans l'ensemble du Royaume-Uni, semblent vouloir éviter.
Comment Européens et Britanniques tentent de l'éviter ? Pour débloquer la situation, les échanges se multiplient entre chefs d'Etat. Dimanche 13 octobre, Londres et Bruxelles se sont montré prudents sur leurs chances d'éviter un "no deal" qui serait sans aucun doute douloureux pour l'économie. Les négociations intensives durant le week-end n'ont pas permis d'enregistrer de percée sur la question clé de la frontière irlandaise.
Un accord reste "possible" entre le Royaume-Uni et l'UE pour permettre un divorce à l'amiable, mais il doit être bouclé au plus tard mercredi matin, pour être endossé lors du sommet européen de jeudi et vendredi. La France a salué mardi un "élan positif" dans les négociations. "Nous espérons un accord mais nous ne savons pas encore" s'il aboutira, "on l'espère d'ici ce soir", a dit un conseiller de l'Elysée. "Les Britanniques veulent un accord et ils ont bougé sur les points de blocage. Mais il faut rester prudent et voir si cela sera suffisant pour être traduit dans un texte juridique. Ce n'est pas encore fait", a confié mardi à l'AFP le représentant d'un Etat membre lors d'une réunion des ministres européens à Luxembourg.
"Un accord est encore possible cette semaine", a assuré de son côté le négociateur de l'UE, Michel Barnier, à son arrivée à Luxembourg pour informer les ministres de l'état d'avancement des discussions avec les Britanniques.
Enfin, les regards se tournent également vers Londres, où les opposants du Premier ministre continuent de lui mettre la pression pour l'obliger à demander un nouveau report en cas d'échec des négociations cette semaine, afin d'écarter le scénario du "no deal".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.