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Organisation, candidats, rôle dans le futur hémicycle... Le casse-tête des Britanniques face aux (probables) élections européennes

Si le scrutin n'est pas organisé et que l'accord de Theresa May prévoyant une sortie de l'UE le 22 mai se heurte une nouvelle fois au refus des députés, le Royaume-Uni devra sortir le 1er juin sans accord, conformément aux conclusions du sommet qui s'est tenu le 10 avril, à Bruxelles. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Theresa May à l'issue du sommet européen qui s'est achevé dans la nuit de mardi 10 à mercredi 11 avril, à Bruxelles.  (SUSANA VERA / REUTERS)

Un énième sursis pour le Royaume-Uni. Dans la nuit de mercredi à jeudi 11 avril, les dirigeants européens et Theresa May sont tombés d'accord pour un report du Brexit pouvant aller jusqu'au 31 octobre. Ce compromis est intervenu la veille du 12 avril, date butoir à laquelle le Royaume-Uni devait sortir brutalement de l'Union européenne, faute d'avoir validé un accord de retrait au Parlement. Si cette issue, inédite et risquée pour les 28, a été évitée de justesse, la situation reste incertaine. Et pour cause : en contrepartie de cette extension, Theresa May a concédé plusieurs engagements, parmi lesquels la tenue d'élections européennes, le 23 mai, si le Royaume-Uni ne parvient pas à quitter l'UE avant cette date. 

Theresa May espère qu'elle parviendra à convaincre les députés britanniques de valider l'accord qu'elle a longuement négocié avec Bruxelles. Ainsi, la sortie de l'UE (et l'entrée dans la période de transition prévue par ce texte) serait effective le 22 mai, rendant caduque la nécessité d'appeler les citoyens à élire leurs représentants à Strasbourg. Mais alors que les négociations patinent avec le Labour, le parti d'opposition, tout porte à croire que les Britanniques devront se rendre aux urnes. Et ce, un peu moins de trois ans après que les citoyens britanniques ont voté à 51,89% pour un divorce.   

Comment s'organiseront les européennes ?

Le gouvernement de Theresa May avait, dès lundi, pris les dispositions juridiques nécessaires à l'organisation d'élections européennes en validant la date du possible scrutin au jeudi 23 mai. Désormais, le Cabinet doit informer la Commission électorale ainsi que le Parlement européen de la participation de son pays au scrutin, au plus tard le 12 avril.

Compte tenu de la situation incertaine, la Commission électorale britannique s'était préparée à toute éventualité, présentant notamment sur son site internet la marche à suivre (document pdf en anglais) au cas où le Royaume-Uni devait organiser des élections européennes. Conformément à la loi électorale, tout se déroulera comme lors du précédent scrutin européen de 2014, dans les 12 régions (9 pour l'Angleterre, une pour l'Ecosse, le pays de Galles et l'Irlande du Nord) qui composent le Royaume-Uni.  

Publiée sur le site du bureau britannique au Parlement européen, cette carte montre les 11 circonscriptions du Royaume-Uni, lors des élections européennes.  (EUROPEAN PARLIAMENT LIAISON OFFICE IN THE UNITED KINGDOM)

Comme dans tous les pays de l'Union, l'organisation des élections revient aux fonctionnaires du Comité européen des régions et aux directeurs du scrutin : il s'agit d'élus locaux, ici britanniques, chargés de faire le lien entre les institutions européennes et le terrain. Ils devront, entre autres, s'assurer que les bulletins de vote soient imprimés et distribués aux différents bureaux, ou encore que les bureaux de vote disposent du matériel et du personnel nécessaires le jour J. Les Britanniques devront élire 73 eurodéputés (sur un total de 751). 

Combien vont-elles coûter ? 

A la louche, le coût de l'organisation de ces élections a été évalué à 109 millions de livres (environ 126 million d'euros), rapporte la BBC, se basant sur le coût du scrutin de 2014. Si les Britanniques ne parviennent pas à valider un accord avant le 22 mai, ils pourraient donc faire cette dépense pour, au final, ne siéger que quelques mois à Strasbourg, voire ne pas siéger du tout. On comprend mieux pourquoi Theresa May entend se battre pour imposer son "deal" au plus vite. 

Quels seront les partis en course ? 

Les listes des différents candidats devront être déposées au plus tard le 25 avril (24 avril pour la circonscription du Sud-Ouest qui comprend notamment Gibraltar). Mais les partis politiques avaient, semble-t-il, pris les devants. En Ecosse, le parti nationaliste SNP a commencé dès janvier à élaborer sa liste.

Côté travailliste, le parti avait donné jusqu'au 10 avril aux éventuels candidats. Cette liste de noms sera affinée les 11 et 12 avril par des officiels du parti. Les personnes sélectionnées seront auditionnées les 15 et 16 avril ("par téléphone, si possible", précise le site du Labour) avant d'être officiellement investies le lendemain. Pour se faciliter la tâche, le parti avait toutefois garanti aux députés sortants une place en tête des différentes listes régionales. Ainsi, 16 des 20 eurodéputés en poste ont pour l'instant prévu de briguer un nouveau mandat, selon la BBC. 

Côté conservateurs, les 18 députés sortants sont divisés. Sur Twitter, l'eurodéputé David Bannermam a ainsi annoncé dès mardi qu'il ne se représentera pas. "Je pense sincèrement que tenir ses élections serait mal et contreproductif", a-t-il argumenté, évoquant un "déshonneur". En prévision de ces renoncements, le parti s'est lancé à la hâte dans une campagne de recrutement. Il fallait se faire connaître avant mardi 17 heures. 

Pour les petits partis pro-européens, comme les Libéraux-Démocrates (centristes) ces élections sont l'occasion de ramasser les voix des anti-Brexit, frustrés par l'absence d'un quelconque projet de second référendum. De même, l'Independant Group, qui rassemble d'anciens députés Tories et Labors pro-Brexit, devrait proposer une liste Change UK-Independent Group, si la Commission électorale accepte de lui accorder le statut de nouveau parti, rapporte la BBC

De son côté, le Green Party (écologiste) espère mobiliser "l'un des mouvements pro-européens les plus forts jamais vu". Des opérations de financements participatifs ont d'ores et déjà vu le jour pour financer la campagne de leurs candidats. 

Les partis eurosceptiques ne sont pas en reste : le leader du Ukip, parti d'extrême droite pro-Brexit qui a conduit 24 députés à Strasbourg en 2014, a également lancé une campagne de financements participatifs. Son slogan : "Retrait unilatéral" et "no surrender", équivalent du français "on ne lâche rien."  Il devrait faire face à un parti rival, le Brexit Party, fondé par l'ancienne star du Ukip et député européen sortant, Nigel Farage. 

Comment vont réagir les électeurs ? 

Tous les observateurs de la vie politique britannique s'accordent à dire que ces élections pourraient déchaîner les passions (un comble !) outre-Manche, en proposant de rabattre les cartes au sein des principaux partis politiques. Cette séquence du Brexit a été ratée par les conservateurs au pouvoir et dans une moindre mesure par les travaillistes. Ces derniers mois, "deux parties – Change UK et The Brexit Party – ont été créés spécifiquement pour s'affronter sur le dossier européen", rappelle le politologue britannique Arnan Menon, dans un article. Selon lui, cette élection sera donc vue par beaucoup comme un échauffement en vue d'un second référendum. 

Dans ce cas de figure, les partisans de l'Union voteront pour les candidats bienveillants à l'égard des institutions européennes, quitte à se détourner des deux grands partis dont la ligne est confuse sur la question du Brexit. Reste à savoir si les pro-Brexit se mobiliseront en masse pour porter des candidats eurosceptiques à Strasbourg où si, lassés des reports successifs, ils bouderont un scrutin considéré par beaucoup comme une mascarade. 

Selon un sondage, publié mardi par l'institut indépendant OpenEurope, les intentions de vote prédisent une large victoire du Labour (37,8%) suivi des conservateurs (23%) et du Brexit Party (10,3%). Le Lib Dem arrive en quatrième position, avec 8,1%, suivi par le Ukip (7,5%), Change UK (4,1%), le SNP écossais (4,1), le Green Party (4%) et autres (notamment des partis locaux gallois et nord-irlandais) (1,2%). 

Comment vont se comporter les élus ? 

Difficile à dire. Mercredi 11 avril, personne n'est en mesure d'assurer que ces députés siégeront effectivement à Strasbourg. Si Theresa May parvient à faire valider son texte à temps par la Chambre des communes, les eurodéputés fraîchement élus verraient leur mandat révoqué par une sortie du Royaume-Uni de l'UE et ce, avant la première session du nouveau Parlement européen, le 2 juillet. Dans le cas contraire, les députés devraient siéger jusqu'au 31 octobre 2019, nouvelle date butoir du Brexit.

Par la voix d'un de leurs représentants, Jacob Rees-Mogg, les eurosceptiques ont fait savoir que leurs candidats, une fois élus, tâcheraient de mener la vie dure à l'institution européenne. "Si nous nous retrouvons coincés dans l'UE en raison d'une longue extension, nous devrons nous comporter de la manière la plus difficile possible", a-t-il déclaré. "Nous pourrions mettre notre veto à toute augmentation du budget, faire obstruction à la création d'une armée européenne et bloquer le projet intégrationniste d'Emmanuel Macron." 

Pour se préserver d'une telle attitude, l'UE a exigé du Royaume-Uni, en contrepartie de l'extension, une attitude "responsable et constructive", au sein de la Commission comme au sein du Parlement. Pendant la durée de ce report, "le Royaume-Uni demeurera un Etat membre avec la totalité de ses droits et devoirs", martèlent les 27 dans l'accord. "Le Conseil européen prend note de l'engagement du Royaume-Uni d'agir de façon responsable et constructive pendant la période d'extension (...) et attend du Royaume-Uni qu'il remplisse cet engagement" conformément "à son statut de pays sortant", précise-t-il. Le pays devra notamment "s'abstenir de toute mesure qui pourrait mettre en péril les objectifs de l'Union". 

Attention toutefois, ces vœux de sincères coopérations ne sont pas contraignants juridiquement. 

Que vont devenir les sièges censés revenir aux autres pays ? 

Avec le départ prévu des Britanniques, le nombre de députés au Parlement devait passer de 751 à 705. Par ailleurs, 27 sièges devaient être réattribués à 14 pays considérés comme sous-représentés. Ainsi, la France devait gagner cinq eurodéputés. Or, "tous les états-majors politiques français se sont jusqu’ici basés sur ce chiffre pour constituer leurs listes", rappelle Le Monde

Citée par le quotidien, la cheffe de file de la liste République en marche, Nathalie Loiseau, a indiqué que, le 26 mai, les Français éliront 79 eurodéputés, "mais 74 siégeront jusqu’à ce que les Britanniques quittent l’UE". "Cela n’a toutefois pas été formellement acté au Conseil de mercredi soir, et cela ­nécessitera de modifier la loi électorale nationale", poursuit Le Monde. "Un projet de loi sera déposé fin avril pour prévoir deux phases : l’une où siègent 74 députés, puis 79", lui a confirmé l’Elysée. 

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