Pourquoi un report du Brexit pourrait compliquer les élections européennes
Le Parlement britannique a approuvé le principe d'une sortie de l'UE au-delà du 29 mars. La durée de ce report du Brexit n'a toutefois pas encore été tranchée.
Le Royaume-Uni tente de s'offrir une bouffée d'oxygène. Le Parlement a massivement voté, jeudi 14 mars, en faveur d'un report du Brexit. La motion déposée par Theresa May a été approuvée par 412 députés britanniques et rejetée par 202 autres. La Première ministre doit désormais déposer une demande formelle d'extension de l'article 50 du traité de Lisbonne. Mais ce report, si tant est qu'il soit accepté à l'unanimité par les dirigeants européens, pourrait entraîner un véritable casse-tête pour l'organisation des élections européennes. Franceinfo vous explique pourquoi.
Parce qu'on ignore encore la durée du report
Theresa May a posé un ultimatum aux députés britanniques, dans l'espoir de les contraindre à voter pour son projet d'accord sur le Brexit. S'ils l'approuvent d'ici le mercredi 20 mars, elle demandera à Bruxelles une extension de l'article 50 du traité de Lisbonne jusqu'au 30 juin. Ce court délai doit permettre au Parlement britannique d'adopter la législation nécessaire à la ratification de l'accord. La situation sera en revanche bien plus compliquée si le texte est retoqué pour la troisième fois par la Chambre des communes. Dans ce cas, Theresa May a déjà annoncé qu'elle solliciterait un report de longue durée, ce qui impliquerait que le Royaume-Uni participe aux élections européennes.
En effet, le droit des citoyens de tous les Etats membres d'être représentés au Parlement européen est consacré dans le traité de Lisbonne. Si le Royaume-Uni sollicite plus qu'un report "technique", il devra donc envoyer des élus à Strasbourg. Sans cela, le nouveau Parlement ne pourra pas voter et "tout le fonctionnement institutionnel [européen] sera bloqué", affirment Les Echos. Le Royaume-Uni s'exposerait en outre à des risques de poursuites judiciaires devant les cours de justice de l'UE, ajoute le Financial Times (en anglais).
La question qui agite Bruxelles est donc de savoir jusqu'à quand le Brexit peut-être repoussé. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, estime que l'extension ne peut pas dépasser le 23 mai, premier jour des élections européennes, comme le rapporte Le Monde. Le service juridique du Conseil européen juge toutefois que la sortie de l'UE peut être reportée jusqu'à fin juin, juste avant la première session plénière du Parlement.
Parce que le Royaume-Uni pourrait participer aux européennes
Le Royaume-Uni risque donc de devoir organiser les élections européennes sur son territoire si le Brexit est reporté au-delà du 2 juillet, date de la première session plénière du Parlement qui sera élu en mai. Les délais pour mettre en place le scrutin seraient toutefois courts. "Comme avec tout événement électoral, plus la période en amont du scrutin est courte, plus il est difficile d'organiser correctement le vote", note la Commission électorale britannique dans le Financial Times. L'autorité a déjà commencé à se préparer à cette éventualité, selon le Guardian (en anglais). Elle a discuté d'un plan d'urgence pour "une élection européenne imprévue, afin de pouvoir prendre rapidement les mesures nécessaires si ce scrutin devait avoir lieu".
D'autres pistes sont toutefois avancées par certains experts. "La représentation n'est pas nécessairement la même chose que l'organisation d'élections", note la BBC (en anglais). Une solution pourrait être de prolonger le mandat des eurodéputés britanniques actuels jusqu'à la fin de l'extension de l'article 50, ou de leur accorder un statut "d'observateur". "On pourrait arguer qu'étendre [leur mandat] constitue une mesure transitoire", similaire à la période de transition prévue dans l'accord sur le Brexit, affirme Catherine Barnard, professeure de droit européen, citée par la radio publique britannique. Cela impliquerait toutefois que l'UE adopte temporairement une mesure dérogatoire au nombre maximal de sièges autorisés au Parlement, précise Le Monde.
Une autre piste est avancée par Le Parisien : "L'idée pourrait être d'envoyer comme parlementaires britanniques des députés désignés directement par Westminster de manière intérimaire, après avoir vérifié toutefois la validité juridique d'un tel dispositif", indique Thierry Chopin, conseiller spécial de l'Institut Jacques-Delors et professeur de sciences politiques à l'université catholique de Lille. Officiellement, la position de l'UE est que le Royaume-Uni devra organiser des élections en cas de report de longue durée. "Mais il est probable que ces eurodéputés siégeraient pour un maximum de deux ans, donc il serait dans l'intérêt des deux parties de trouver une solution créative", conclut Catherine Barnard.
Parce que les sièges britanniques ont déjà été redistribués
En mai 2019, 705 députés européens seront élus et non plus 750. Comme le Brexit devait à l'origine avoir lieu le 29 mars, c'est-à-dire deux mois avant le scrutin, il était prévu qu'une partie des 73 sièges du Royaume-Uni soient supprimés. Vingt-sept ont été redistribués au bénéfice de quatorze Etats, pour refléter l'évolution démographique européenne, indique Le Monde. La France passera ainsi de 74 à 79 élus dans le nouveau Parlement. "Les autres [sièges britanniques] ont été mis de côté dans l'hypothèse de l'arrivée de nouveaux membres (cinq sont officiellement candidats dont la Serbie, l'Albanie ou le Monténégro)", poursuit le quotidien.
En cas de participation du Royaume-Uni aux élections européennes, cette redistribution sera bien sûr caduque. Le texte de loi fixant la nouvelle répartition précise que les sièges britanniques disparaîtront "à compter de la date de retrait de ce pays", note Ouest-France. "Quoi qu'il arrive, les Français éliront 79 eurodéputés le 26 mai", assure le ministère de l'Intérieur au HuffPost. Mais tous ne pourront pas entrer en fonction en juillet. Il faudra donc déterminer lesquels devront patienter jusqu'au départ des Britanniques. Le ministère de l'Intérieur a déjà écarté la possibilité de recourir au tirage au sort, ou de choisir arbitrairement dans les listes qui ont obtenu le plus d'élus, pour trancher la question, précise le HuffPost.
Parce que les Britanniques auraient un poids au sein des nouvelles institutions
Dernier élément qui inquiète à Bruxelles : s'il est représenté au sein du nouveau Parlement, le Royaume-Uni aura un poids politique important sur les institutions alors même qu'il prépare son départ. "Ils auraient voix au chapitre sur la nomination de la prochaine Commission [et] sur l'exercice financier 2021-2027", rappelle Ouest-France. Le Parlement peut également mettre son veto à la nomination du prochain président de la Commission, alors que Jean-Claude Juncker doit quitter son poste cette année, rappelle Bloomberg (en anglais).
La question est d'autant plus sensible que certains à Bruxelles redoutent que les électeurs britanniques, lassés par un Brexit qui traîne en longueur, ne vote massivement pour les eurosceptiques. Sous couvert d'anonymat, un responsable européen s'est ainsi inquiété auprès de Bloomberg de voir débarquer en juillet "73 Nigel Farage", l'ancien leader du parti eurosceptique Ukip, qui siège lui-même actuellement au Parlement européen.
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