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La Macédoine, nouvelle pierre d’achoppement entre l’Occident et la Russie
La crise politique qui secoue la Macédoine depuis 2015, inquiète de plus en plus l’Union européenne. Une crise qui a pris un tour ethnique: la droite nationaliste, soutenue par la Russie, en appelle à la rue et à l’unité nationale face au réveil de la minorité albanaise, soutenue par Tirana.
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Tous les soirs depuis fin février, des sympathisants du parti VMRO-DPNE, droite nationaliste au pouvoir depuis 2006, descendent dans les rues au rythme des sifflets et des chants patriotiques. Tout en se parant des couleurs rouge et or du pays. Disant s’inquiéter d’une «fédéralisation», ces personnes, souvent d’âge mûr, entendent «sauver l’unité du pays». Dans ces rassemblements s’exprime aussi une défiance envers l’Union européenne, à laquelle la Macédoine est candidate.
«Il n'y a pas de fin aux exigences des Albanais. Etape par étape, on va vers une Grande Albanie. Et il n’y aura plus de Macédoine», redoute Lidija Vasileva, styliste de mode de 60 ans, citée par l’AFP. «Ceci est notre patrie, nous n'en avons pas d'autre», dit la chanteuse à succès Kaliopi Bukle.
Alors que l'UE s'est dite préoccupée par la «déstabilisation» des Balkans, ces manifestants ont reçu le soutien de Moscou qui accuse Tirana d'agir avec, en tête, «le plan d'une grande Albanie», accusation rejetée à Tirana. Des minorités albanaises sont aussi installées au Monténégro, en Grèce et en Serbie. Dans le même temps, la Macédoine, où vit une minorité de 20 à 25% d’albanophones, est frontalière du Kosovo, peuplé en immense majorité d'Albanais.
Pourtant, la question communautaire semblait close depuis 2001. Cette année-là, au terme de mois d’insurrection marqués par 100 à 200 morts, les accords d’Ohrid avaient octroyé des droits accrus à la minorité albanaise. Ce qui avait épargné à ce pays pauvre, majoritairement slave orthodoxe, l'un de ces conflits intercommunautaires qui ont ponctué l'éclatement de l'ex-Yougoslavie.
La vie politique en Macédoine, une vraie salade…
Depuis 2015, la vie politique se résume à des anathèmes ainsi qu’à des accusations de corruption et d’écoutes illégales échangées entre VMRO-DPNE et les sociaux-démocrates du SDSM. Ces écoutes concerneraient 20.000 citoyens. Soit 1% d’une population de 2 millions de personnes! Apparemment pratiquées par les services secrets et révélées en feuilleton par Zoran Zaev, chef du SDSM, elles impliquent Nikola Gruevski, le Premier ministre de l’époque, ancien boxeur amateur et acteur de théâtre. Ce dernier, patron du VMRO-DPNE et tout puissant personnage de la politique macédonienne, est lui-même accusé de corruption.
En décembre 2016, des législatives sont organisées sous l’égide de l’UE. Objectif: sortir le pays de la paralysie. Problème: aucun vainqueur n'est alors sorti des urnes. La droite de Nikola Gruevski n’a devancé le SDSM que d'une courte tête (51 sièges contre 49). Un écart minime qui a offert un rôle de faiseurs de rois aux élus albanais.
Après plusieurs réunions à Tirana, dans le bureau du Premier ministre du grand frère albanais, Edi Rama, ces derniers ont bâti début janvier 2017 une plateforme de revendications communes. Notamment l'octroi du statut de langue officielle à l'albanais sur tout le territoire. Actuellement, ce n’est le cas que dans les municipalités peuplées d’au moins 20% d’albanophones.
De son côté, solide alliée de l'Otan, l'Albanie se défend de toute ingérence. Son ministre des Affaires étrangères, Ditmir Bushati, a ainsi affirmé à l'AFP que se préoccuper de «la situation des Albanais au-delà des frontières (était) une obligation constitutionnelle».
Pas de deux
«Pour préserver la paix intercommunautaire, les gouvernements sont (traditionnellement) formés du parti macédonien qui gagne les élections et d’une formation albanaise», rappelle The Economist. Mais au vu des résultats du scrutin de décembre, le principal parti albanais, le DUI, conduit par Ali Ahmeti, un ancien rebelle au pouvoir en coalition avec Nikola Gruevski depuis 2008, a d’abord négocié avec la droite. Pour ensuite discuter avec les sociaux-démocrates. Zoran Zaev a vu là l’occasion de s’emparer du pouvoir et son parti a alors accepté la revendication linguistique. Désormais, fort du soutien des élus de la minorité albanaise, il peut compter sur 67 députés sur 120.
Mais le président Gjorge Ivanov, proche du VMRO-DPMNE au pouvoir depuis 2006, refuse de le laisser former un gouvernement. A ses yeux, l'unité nationale de la Macédoine serait mise en danger par les revendications des partis albanais, notamment celle sur la langue. L'albanais «n'est pas la langue de l'ennemi mais la langue d'un peuple constitutif de la Macédoine», a réagi sur Facebook le Premier ministre de Tirana, Edi Rama. Tout en ajoutant : «Sans les Albanais, il n’y a pas de Macédoine.»
«Les dirigeants du VMRO-DPMNE doivent immédiatement (…) cesser de provoquer des incidents, (...) de la violence», ont expliqué, le 17 mars, les sociaux-démocrates. En demandant «un transfert pacifique du pouvoir». De son côté, Tirana a exhorté «les Albanais de Macédoine de ne pas tomber dans les pièges des provocations». Tandis qu’Ali Ahmeti lançait un appel à «la retenue». Il a cependant pris soin de préciser qu'il avait toutes les peines du monde à contenir les revendications des ultras de son camp...
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